Dimanche 21 mars 2010
Il y a du grabuge dans l’existence de cet ami. Il se débat, s’enlise, peine à passer. Alors il parle sans compter à ceux dont il est l’hôte, il parle de ce dont il n’arrive pas à se défaire, d’images, d’une image, d’une image qui lui colle à la peau, de l’image d’une femme et des circonstances de son règne. Il essaie, en filant d’innombrables métaphores qui l’enchantent, se croisent et se mêlent, de faire barrage à la douleur qui a colonisé son existence et à laquelle la raison prête son concours.
Il sourit de pouvoir prendre ce soir un peu de hauteur, heureux que des mots puissent l’élever au-dessus du champ sans ailleurs des opérations qui le rongent depuis des mois, dans lequel il a tourné et s’est retourné. S’il s’offre une vacance en inventant l’interminable récit de ce qui l’a rendu aveugle, celui-ci lui offre en même temps la plus belle et raisonnable des justifications, la raison poétique est devenue sa pire ennemie. La nuit avance.
Mais voilà qu’un petit garçon, dix ans peut-être, interrompt le compte-rendu de ce désastre. L’ingénu court-circuite ce qui aurait pu ne jamais finir. Mais de quoi parlez-vous, je ne comprends pas. L’ami marqué par des nuits sans sommeil lui répond que c’est de la vie qu’il parle. Le garçon fronce les sourcils, la vie? la vie? L’ami se baisse et lui tend la main, et pour toi pour toi, c’est quoi la vie? Un rond? un carré? Le visage du garçon s’éclaircit, il prononce voix douce un seul mot : nénuphar.
Et la vie recomposée acquiesce.
Jean Prod’hom