Fuir ou prendre les devants
Il est 7 heures 45 lorsque j'ai terminé mon premier tour, c'est-à-dire conduit aux arrêts de bus Arthur à qui j'ai préparé deux sandwiches, Louise, Lili et Mylène, tous dans la 807 que Sandra me laisse cette année le mardi et le jeudi.
J'entame alors un second tour, à pied cette fois, par le refuge de Ropraz, le chemin aux copeaux, la Moille au Blanc, avec le désagréable sentiment pourtant que mes soucis me précèdent, et que ce sont eux qui commandent. Je n'aime pas ça, d'autant plus que je sais d'expérience qu'il suffirait que je les précède de quelques pas pour que j'en fasse mon affaire, à la manière du dernier des Horaces survivants, Publius Horatius qui, après s'être enfui, tua les trois Curiaces l'un après l'autre. Je m'avise en passant qu'il y a bien moins de différence que je ne le pensais entre fuir et prendre les devants.
Malgré cette grogne qui ne me lâchera pas totalement, je parviens à rassembler dans une arborescence quelques triolets : Inuit, Mentawai et Korubo ; Arctique, Indonésie et Amazonie ; découvertes, colonisation et mondialisation ; exploitation, domination et tourisme. Pour fêter cela, je regarde la première partie de Nanouk l'Esquimau de Flaherti (1922).
Je prépare à manger et une tarte aux pruneaux. Sitôt rentrée Lili se dépêche de monter dans sa chambre où l'attendent ses playmobil, Louise joue de la guitare comme ce matin avant de partir à l'école. Je les redescends à l'arrêt de bus pour 14 heures 20.
Deux heures sont à ma disposition, je regarde la fin de Nanouk l'Esquimau, une merveille, les premières minutes des Derniers Rois de Thulé (1969) de Jean Malaurie que j'ai visionnés il y a quelques jours. Mets de côté les Premiers contacts avec les Korubo (2000) de Richard Charles Wawman mis à la disposition du public sur Daylimotion, et Rendez-vous en terre inconnue (2006) chez les Mentawaï de Natacha Quester-Semeon. Télécharge pour faire bon poids le Kuessipen de Naomi Fontaine. Me voilà paré.
Louise et Lili reviennent comme des boomerangs à 15 heures 45. La grande prend sa guitare, la cadette enfile ses bottes, ses pantalons, sa bombe et ses gants. C'est une voisine qui l'emmène à 16 heures avec sa fille au manège de Curtilles.
Ramasse Arthur à l'arrêt de bus de Corcelles à 16 heures 28, file au Mont pour y être à 16 heures 45. Y suis à 16 heures 50, c'est une réunion obligatoire autour des examens, elle se termine à 17 heures 15. Me demande à la fin à quoi elle a bien servi. A chacune de ces rencontres il me semble qu'apparaît une nouvelle fuite dans la coque de notre vénérable institution. On a beau écoper, la ligne de flottaison se rapproche du bastingage, le bâtiment pris dans la mélasse s'alourdit, on s'agite sur le pont pour faire bon poids, chacun veut l'alléger et il s'enfonce. Est-il bien prudent de continuer ainsi ?
Pour calmer mon humeur maussade, nous allons, Sandra et moi, faire un tour sous la pluie. Jean-Jacques a dégagé le lit du ru qui se jette dans le Riau. On parle de la reprise scolaire de nos enfants. Descends à Ropraz à 20 heures récupérer Arthur que Sandra a déposé en rentrant du Mont. Il est 21 heures 30 lorsque je ferme les écoutilles. Arthur passe encore à la bibliothèque, il souhaiterait un troisième sandwiche pour son pique-nique, je lui propose une pomme, pas sûr que cela lui suffise.
Jean Prod’hom