Dimanche 19 septembre 2010
Ce ne sont pas tellement les bras nus de Rachel Kolly d’Alba sur la scène de la place de l’Europe rejoignant les premières mesures du concerto pour violon de Tchaïkovski avec devant le soleil et derrière les ombres de la foule frigorifiée, ni non plus l’insouciance des jours fériés flottant tout autour des tables dressées devant le refuge des Fontaines à midi, ni l’or des vignes entre l’Avançon et la Gryonne un peu avant qu’elles ne se jettent sans se retourner dans le Rhône, sous Antagnes, à deux pas de Saint-Triphon, ni le lac qui écartait les bras cette après-midi-là comme jamais, au large de Treytorrens avec en face Meillerie, ni la présence de Ramuz ni les géraniums sur le ponton sous la voie ferrée, mais d’être là dedans avec les autres, un peu perdu sans projets ni regrets, les pieds attachés et la tête perdue à égale distance de la terre et du ciel, flottant, confondu aux forces d’en haut et à celles d’en bas, d’avoir été invité le même jour et à plusieurs reprises à la table de ce qui se suffit, sans rien souhaiter retenir sinon la possibilité même de tenir debout, soutenu par rien, avec pour voisins des inconnus auxquels on sourit et des noms de lieux qu’on murmure pour gagner par le détour des cols et des montagnes à petits pas l’invisible lieu, y demeurer sans fin avec le soleil et le ciel violet dont on dira plus tard que, s’ils avaient bel et bien facilité l’accès à la sagesse rédemptrice de celui qui n’a rien, n’interdisaient pas qu’on songe en contrepoint à la pluie et aux bourrasques qui reviendraient, qu’il serait toujours temps de se rappeler qu’on s’était dit alors avec la voix du dedans que le temps qu’il fait, ce qu’on est et le lieu qu’on occupe n’y sont pour rien, et que cela il ne fallait si possible pas l’oublier.
Jean Prod’hom