Cendrars à Rumine
Je m’étais indirectement plaint de l’absence de l’entrée professionnalisme dans l’Apostille de Gérard Genette, qui n’est, rappelons-le, qu’un codicille à son bardadrac. J’espérais pourtant ce matin, sans la chercher, une entrée pour les usages du mot Ressenti qui m’a si souvent fait tourner les talons. Le mot n’a malheureusement pas d’entrée privée, il la mériterait pourtant. Je me satisfais toutefois de ce que le renard du formalisme en dit dans le médialecte de sa dernière livraison.
Ressenti. Méd. propre à désigner tout ce que l’on éprouve, avec ou sans raison objective, avec ou sans connotation péjorative : «Je vous sesns très ému, comme si cet événement vous avait douloureusement marqué au niveau de votre ressenti.» Je crains que ce participe substantivé ne rejaillisse sur l’usage du verbe ressentir, appelé dès lors à supplanter sentir, et n’entre en collision avec le nom ressentiment, dont la signification classique, héritée de Nietzsche et de Max Scheler, me semble pourtant précieuse. Mais il est sans doute trop tard pour intervenir. Le «vécu» a déjà, et depuis belle lurette, remplacé la vie.
L'affiche est immense, l'homme aussi. Ça n'empêche qu'on aura laissé au bonhomme qu’une bien maigre place dans le hall de la salle de lecture de la bibliothèque universitaire de Rumine. A moins que je ne me trompe et que le gros de l'exposition soit ailleurs. Me contente toutefois du repas servi : quatre vitrines, dans chacune d'elles des merveilles, un autoportrait du début, un exemplaire de l'édition de la Prose du Transsibérien et de la Petite Jehanne de France pris dans les couleurs de Sonia Delaunay, une page manuscrite de La Main Coupée, le J’ai tué avec Fernand Léger à la Belle édition.
On remonte au Riau, soleil de forge, on déplace à l’abri les deux stères que F. nous a amenées ce matin. Lili nettoie la 807, Louise des vitres, Sandra l’ancienne place du bois de chauffe. Demain elle part avec les enfants à Berlin, les filles se baignent, Arthur termine son travail sur Hugo, je rédige cette note.
Jean Prod’hom