Tout s’est déplacé d’un coup
Ne pas fermer l’oeil, reprendre, saluer encore ce à quoi j’ai attaché mes jours. Faire tourner une fois encore la clé qui a assuré l’équilibre de ce que j’ai, lisant, vécu, avant qu’il ne disparaisse dans son propre axe. Refaire le trajet qui y a conduit, étape par étape. C’est cela peut-être que traduire, dans sa propre langue ou dans une autre.
Accepter alors, parce que je tiendrai ma promesse, que ce qui fut à l’avant de moi s’estompe et que ce que j’ai écrit s’éloigne, tandis que se dresse un nouveau chantier que je ne soupçonnais pas et qu’il me faudra mener à terme.
Tout s’est déplacé d’un coup.
Les accès de l’amont et leurs abords se sont resserrés, je ne sais rien de l’aval, rien de ce nouveau paysage que je survole dans un avion de papier, pétales d’un autre ciel. Mon embarcation est retenue depuis soixante jours, j’ai parcouru les trois quarts de mon périple, je vois la fin. Je perçois le souvenir qui pâlit, le détachement qui s’installe, comme une brume, et le dehors qui perce, comme la pointe d’une aiguille. Reprendre bientôt chacune des apories, les réorienter vers ce qu’elles contiennent. Charger en attendant une vingtaine de sacs dans la nacelle avant de couper les fils et l’envoyer au ciel. Ne rien garder si je veux demain aller encore les mains nues.
Jean Prod’hom