Sans-grade
Il est assis à même le sol, une trentaine d'années, désoeuvré parmi ceux qui sont de la partie. On ne lui dit rien, il ne leur demande rien, il ne compte sur rien, ne compte pour rien. Appuyé au montant d'une barrière de fer blanc qui borde la pelouse, il regarde au-delà des enfants qui vont dans tous les sens sous les projecteurs de ce dimanche matin, du côté de la ferme foraine qui se lève, son verger en fleurs, le troupeau qui paît, la première fauche. Il tend l'oreille au-delà des cris, des noms qui fusent, des rires, et il croit entendre le chant des oiseaux qui ont fui, il les devine régnant lorsque les hommes sont absents.
C'est à peine si ce inconnu a un nom, sorti d'un roman peut-être, comme l'enfant qui fugue, le vieux abandonné. Il occupe le foyer d'ombre de la grande ellipse, à quelques pas seulement du foyer de lumière qui éclaire ceux de l'autre versant. Il songe peut-être à l'effort vain de l'art, à la présomption de la musique. Ou rien de tout cela, il se repose.
Jean Prod’hom