(Ecoles à Berne 5) L'Aar
Cher Pierre,
Les oiseaux chantent le long de l'Aar, ils prennent garde de ne toucher à rien. L’Aar lisse et glisse sous les ponts, mutité large et mate gorgée de soleil, avec au fond une partie du ciel et l’or qui entoure la ville. Deux cygnes noirs, un verdier sur la berge, des corneilles qui prennent un bain. Ici, c’est tous les jours dimanche, et c’est pour cela que j’aime les dimanches.
Si on entend, lointaines, les cloches du Münster, ici en-bas on ne se sent pas concernés, on passe. D’ailleurs les bancs publics sont rares ; j’en trouve finalement un devant le Stürlerspital des Diakonissenhauses, là où l’Aar termine sa boucle, c'est-à-dire son travail, et se lance en direction du lac de Bienne. Je reste pour la voir passer, sans regret, le soleil nous a manqué au début de la semaine. Bien sûr, c'est difficile de dire ce que la ville doit à l'Aar, plus facile de dire ce que l'Aar doit à la ville, pas grand chose, l'impression d’avoir été utile en la bordant. Il faudrait rester ou revenir, refaire, reprendre à la même place pour mieux comprendre la confiance qui habite les cours d’eau et reconnaître tout ce qu’on leur doit. L’Aar n’appartient pas à la ville, elle est l’envers de sa légende. Qu’on lui laisse son lit.
Porte fermée au centre Rober Walser où sont exposés quelques-uns de ses microgrammes, me rabats sur Nakis Panayotidis au Kunst Museum. Du monde dans les rues de Berne, c'est carnaval avec la nouvelle question qui l'accompagne, celle du seuil. Les déguisements ne se distinguent guère de nos habillement quotidiens. Il y a un continuum, et cette absence de coupure inquiète au même titre que toutes les manifestations qui ont voulu ou dû s’en passer.
Passe en rentrant par le CHUV. F cherche quelque chose de plus solide que la barrière du lit à laquelle elle s’accroche. Je discute à la cafète avec Valérie.
Jean Prod’hom