Voici ce que j'ai tiré de quelques mots décousus
Cher Pierre,
Voici ce que j'ai tiré de quelques mots décousus, tapotés à la va-vite sur mon natel ce matin, derrière l'Ecole hôtelière du Chalet-à-Gobet :
Les récits usent les plus résistants, le fil sur lequel on a pris l'habitude de pincer les événements dépérit, le présent ne remorque plus le passé, l'avenir est sur nos talons, voilà que les événements se mettent à tournoyer sur eux-mêmes comme des samares, et donnent naissance à autant d'îles que d'érables. Difficile d'y consentir sans inquiétude, mais on a tant besoin d'un peu d'éternité.
L'idée de destin a depuis toujours offert ses lettres de noblesse à la liberté, en rétrocédant le mince filet de l'histoire à l'étendue qui la borde, en rabattant la fin sur le commencement, en établissant ainsi la possibilité de la durée.
Pour le reste peu de choses à signaler, sinon ce mail que les enseignants de l'établissement dans lequel je travaille ont reçu ; qui les invite, avec les gamins dont ils ont la charge, à réfléchir à ce qu'ils pourraient bien mettre dans la capsule temporelle (50 x 50 x 72) qui sera mise en terre lors de l'inauguration du complexe scolaire dans quelques mois ; et qui sera réouverte dans 25 ans.
On ne peut que se réjouir, se réjouir que l'on pense à ceux qui viendront après nous, mais il convient qu'on s'interroge aussi sur la valeur de ces réjouissances. Car c'est vouloir encore garder la main sur l'avenir que d'exiger le jour et l'heure, que d'imaginer qu'il nous revient de choisir ce qui mérite de demeurer. Le demander aux enfants qui n'ont jamais participé aux processus de décision dans l'école est une manière de se débarrasser de ses responsabilités. On n'a jamais demandé aux mineurs de témoigner de leurs conditions pour les générations futures, mais on a pu souhaiter que les patrons des mines s'engagent à améliorer la vie difficile de leurs ouvriers, et qu'ils honorent leurs promesses. De quelque façon que ce soit, les dés sont pipés. Cette capsule temporelle me fait davantage penser à une bouteille de naufragés qu'à une pierre de fondation.
On pourrait, j'y songe, donner une autre dimension à cette capsule temporelle, l'agrandir au point qu'elle puisse contenir le complexe scolaire lui-même. Une conférence internationale réunie à Londres a levé mercredi les 180 millions d'euros manquants pour démarrer la construction du sarcophage de béton qui recouvrira le réacteur accidenté de Tchernobyl.
Nous descendons, Arthur et moi, à 18 heures 30. J'aménage avec J-P le bureau de la course et on bricole la tente des samaritains, qui donnera à la course de dimanche un petit air de Solférino.
Jean Prod’hom
Quand je dis vouloir éclairer l'obscurité
Cher Pierre,
Quand je dis vouloir éclairer l'obscurité, ou la nuit, ce n'est évidemment pas dans l'intention de la faire reculer, de la séparer d'elle-même ou de l'apprivoiser ; ni de repousser, comme on dit, les limites de mon ignorance, mais de faire voir ce dont le jour et la connaissance lui sont redevables, en saisir la matité et le lissé, les yeux fermés, les pleins, les vides, une voix ; disposer d'un lieu aussi, sans partage, sans nuage ; entier, sans bord et sans cadastre. J'ai quelquefois le sentiment, écrivant, d'en être entouré, de m'y ébrouer et de m'y frotter.
Cinq périodes à la suite qui me laissent presque intact, je file donc à la gare d'Echallens prendre les billets collectifs pour la semaine prochaine. Rentre ensuite par Poliez-le-Grand, Poliez-Pittet et Peney pour guigner un coin de morilles où j'allais autrefois, au bas de la route des Chênes : deux voitures sont stationnées, trois inconnus vont et viennent le long de la haie viive ; je continue mon chemin.
S'impose à moi chaque jour davantage l'idée que trop de vivants se sont donné le mot pour n'avoir à choisir qu'entre deux manières d'être : grogner ou se divertir. Autant d'attitudes qui ne font qu'entériner la situation sans issue dans laquelle nous nous trouvons. J'exagère certainement, mais c'est la raison pour laquelle je m'éloigne toujours plus loin des geignards et des amuseurs publics, qui reconduisent à leur insu les convenances, c'est-à-dire fournissent de nouvelles raisons à ceux qui en manqueraient encore, de se plaindre de ce qui est, ou de s'en détourner.
Dominique m'écrit de gentilles choses sur Tessons et me propose d'ajouter quelques mots à ceux qu'elle a écrits sur les arrosoirs. Je ne sais pas encore très bien à quoi ressemblera son livre, mais sa demande m'honore et j'accepte.
Une sourde fatigue s'installe, dans la tête et dans le corps, trop pour que je m'assoupisse ; monte au triage – m'y suis abstenu depuis dimanche –, m'approche à petits pas, fais quelques photos, plus près, l'oiseau file. Je vais m'asseoir sur une souche à une quinzaine de mètres du nid. Et ce que j'attendais depuis le début arrive, les deux bouvreuils sont perchés haut dans les branches d'un jeune foyard dont les feuilles sortent à peine de leur étui, restent là quelques minutes, jouent à clicli-mouchette. Je me mets à siffler : ils s'habituent peut-être à moi. La femelle m'interrompt et rejoint en quelques coups d'aile les cinq oeufs qui l'attendent.
Dans le deuxième des dix-sept volumes du Dictionnaire classique d'histoire naturelle que Jean-Baptiste Bory de Saint-Vincent a publié aux côtés d'Etienne Geoffroy Saint-Hilaire en 1822, je lis en rentrant ceci.
Ces Oiseaux se font chérir, non seulement par les agréments de leur plumage, mais par une sorte de sociabilité et de confiance dans l'approche de l'Homme. Pendant l'hiver, on les voit dans les campagnes, répandus sur les routes, autour des habitations, y chercher les petites graines que la nature semble leur avoir réservées à dessin sur les tiges flétries et desséchées, et c'est avec beaucoup de grâce et de vivacité qu'ils emploient leur instrument nourricier à briser l'enveloppe cornée ou ligneuse qui recouvre et cache l'amande salutaire. Au retour de la belle saison, ils se retirent dans les bois pour s'y adonner entièrement à l'amour ; le nid qu'ils construisent dans les buissons, consiste en un peu de duvet qu'entoure un tissu de mousse et de lichen, qui prend son point d'attache entre la bifurcation d'une branche : la ponte est de quatre à six oeufs. Les Bouvreuils, dont le chant n'a rien de bien agréable, sont cependant susceptibles éducation ; avec des soins peu extraordinaires on parvient à leur faire imiter le ramage de divers Oiseaux dont on admire la flexibilité de gosier. Ils rendent même les inflexions de la voix humaine au point que l'on y reconnaît des mots bien articulés.
Toute cette histoire me fait rêver – sans compter les points-virgules qui ont le don de me réjouir –, je vais essayer de leur parler, dès la semaine prochaine. D'ici là on mange en coup de vent les fromages et les salades que Sandra a préparées ; il est 18 heures 30, on descend à Ropraz ; on y reste jusqu'à un peu plus de 21 heures. Arthur se propose, alors que la nuit tombe sur l'herbe nouvelle et les champs de colza, de redescendre demain pour terminer la zone que René lui a confiée et que Jean-Daniel l'aide à réaliser. Je l'accompagnerai.
Jean Prod’hom
Rien ne prend le pas sur rien
Cher Pierre,
Rien ne prend le pas sur rien, je m'y fais et ça me convient. Ce qu'on raconte importe peu, pour autant qu'on le fasse entendre, qu'on en fasse deviner le grain, en éclairant les régions lointaines vers lesquelles il essaime, bien au-delà de ce qu'on voit et de ce qu'on croit. A cet égard l'organisation d'une grande ville n'en dit pas plus que celle du jardinet d'un Chartreux.
Pour y parvenir il faut être deux, celui par lequel, avec lequel et pour lequel le réel semble se déployer, même vitesse, même référence ; celui qui paraît s'en être retiré, si diffus et pointu qu'il croit parfois n'en être plus, immobile, hors jeu ; nos vies tournent. comme chez Kepler, autour de deux foyers, un premier - plein - autour duquel un ordre se fait, des aires se répartissent, des corps se mêlent, des mots s'échangent, des volontés s'unissent ; un second - vide - qui fait entendre une voix – née du silence – dont on use pour faire entendre de proche en proche ce qui existe hors de nous, dans un espace réduit, comme sur une puce ou une barrette de mémoire, vive plutôt que morte, en lui attribuant les propriétés qui sont aussi les autres.
Quant au bien et au mal, il se répartit selon les axes des représentations de nos souffrances ; il est vrai qu'il y a, en ce sens, parfois des urgences.
On voudrait rassembler ces deux foyers, on y parvient parfois lorsque la respiration de nos représentations épouse le rythme de ce qu'elles représentent, lorsque la phrase vertèbre le jour blanc ou le pas le quatrain,
Je fais un tour du côté du nouveau bâtiment scolaire ; des ouvriers plient à l'extérieur les échafaudages, d'autres peignent à l'intérieur les murs, posent des tableaux qui n'auront d'interactif que le nom. Réunion ensuite pour l'organisation de l'inauguration de ce nouveau complexe, personne n'y croit vraiment, on plaisante, on rit jaune. La séance se termine à 17 heures 30 ; je ramasse Arthur au Riau, on descend à Ropraz et, pendant qu'il s'entraîne, je donne un coup de main à Jean-Daniel et Tom qui préparent une zone pour les Elites. Sandra a préparé un soufflé au fromage et une salade de carottes. Les enfants ressortent jusqu'à la nuit dans le jardin, avec Oscar et leurs diabolos.
Jean Prod’hom
Une belle âme a fait du petit bois
Cher Pierre,
Une belle âme a fait du petit bois, Arthur vraisemblablement ; j'en saisis une poignée que je pose en équilibre sur une demi-page froissée du 24heures, ajoute par dessus deux morceaux de tilleul, minces, secs et boute le feu à l'ensemble. Une allumette a suffi, je ne peux m'empêcher de penser que la journée a commencé sous de bons auspices.
Edelweiss et Fleur attendent je ne sais quoi à la cuisine, leur écuelle est pleine ; je vide la machine à laver la vaisselle, remplis un tupperware d'un mélange de fruits et d'avoine, et hop ! à la mine. Le trafic sur la route de Berne se densifie chaque jour davantage, et si cette tendance se confirme, il me faudra partir plus tôt de la maison.
Je reprends avec les grands la réflexion commencée la semaine dernière sur la ponctuation, l'utilisation de la virgule et le destin singulier du point-virgule. L'extraordinaire quatrième paragraphe du premier chapitre de la première partie du Grand Meaulnes est à cet égard exemplaire. Du point de vue rythmique, mais aussi du point de vue de l'organisation des contenus, on imagine mal comment Alain-Fournier aurait pu faire sans ce mal aimé de la ponctuation. J'aimerais en convaincre les élèves.
Une longue maison rouge, avec cinq portes vitrées, sous des vignes vierges, à l'extrémité du bourg ; une cour immense avec préaux et buanderie, qui ouvrait en avant sur le village par un grand portail ; sur le côté nord, la route où donnait une petite grille et qui menait vers La Gare, à trois kilomètres ; au sud et par derrière, des champs, des jardins et des prés qui rejoignaient les faubourgs... tel est le plan sommaire de cette demeure où s'écoulèrent les jours les plus tourmentés et les plus chers de ma vie — demeure d'où partirent et où revinrent se briser, comme des vagues sur un rocher désert, nos aventures.
J'ai commencé depuis quelques années à retirer mes billes de l'école, ou plutôt à cesser d'y replacer tous les bénéfices qu'elle me procurait, d'en réinvestir ailleurs sans succomber au divertissement, dans une autre région, centrale. C'est bien compréhensible si on admet qu'il existe une vie en dehors du travail. Mais nous pourrions ne pas y prendre garde et courir le risque, à l'instant même où notre employeur prendra congé de nous, de manquer d'un coup de cette moitié de réalité sans laquelle l'autre n'est pas. La retraite des retraités est aussi exigeante, somme tout, que celle des ermites et des Chartreux.
Une assistante sociale s'entretient, à la table voisine du café où je fais halte, avec une femme prise dans un filet aux mailles si lâches qu'elle ne semble pas près de s'en défaire. Elle oublie tout, ne retrouve rien, elle dit je n'ai plus rien, plus de chien et je pose des lapins ; les hommes, je ne veux pas avoir à faire avec, ils m'exaspèrent, je voudrais les frapper. Elle dit encore je n'arrive pas me l'expliquer, mais j'ai peur qu'on me prenne pour une folle, j'avance comme si le chemin était déjà tracé et que je ne devais pas m'en écarter, et j'ai l'impression d'avoir déjà vécu tout ce que je vis, mes perceptions sont décuplées. J'ai des maux de tête, je ne peux plus rien faire, ni lire ni écrire, ni faire le ménage, ni promener mon chien ; mon chien, je l'ai ramené à la SPA, deux grandes promenades, c'était trop ; je ne vois plus mes enfants, on me les a retirés : sa voix s'éteint, je ne l'entends plus, celle de l'assistante claironne.
Arthur est devant Chez les Burdet lorsque je l'embarque ; au Riau le feu s'est éteint et il pleut, il n'y aura pas de seconde allumette ; sitôt rentré Arthur va promener le chien, les filles rentrent d'Oron, Sandra a fait des courses. On se retrouve tous devant une soupe et un morceau de pain, une salade et un oeuf au plat.
Les filles au lit, on prend une ou deux décisions concernant les travaux qui vont démarrer dans moins d'un mois. Arthur qui vient nous souhaiter une bonne nuit m'apprend que les belles âmes du petit bois, ce sont ses soeurs, Louise et Lili.
Jean Prod’hom
Les ornières des chemins sont remplies d'eau
Cher Pierre,
Les ornières des chemins sont remplies d'eau et les clairières détrempées, mais le soleil troue les nuages de temps en temps, il aura tôt fait d'éponger la pluie de cette nuit. Je monte au triage jeter un coup d'oeil à mes protégés : la femelle couve, je fais quelques photos ; le mâle passe en coup de vent et, caché dans la sapinière, lance des avertissements. J'essaie de m'approcher encore un peu, trop, la future mère s'éclipse et laisse cinq oeufs au fond du nid. Attends à quelques pas que l'un ou l'autre reviennent ; ils semblent bien organisés, la femelle réapparaît après un long détour, s'allonge discrètement sur ses oeufs et reprend sa couvaison là où elle l'a laissée.
Pouillot véloce
Louise me demande de l'aider à travailler sur la naissance du christianisme ; on passe une bonne demi-heure à traverser l'un des quatre chapitres qu'elle doit réviser ; pause ensuite. J'en profite pour terminer le compte-rendu de la course de trial de Savièse, en ajoutant quelques mots sur l'église de Saint-Germain et les noces, en fin de journée, de la pluie et du soleil. Sûr que le journaliste sportif de la Broye s'empressera de les supprimer ; je rouvre enfin le dossier de la Campanie et m'en vais d'Alphonse d'Aragon aux Quatre journées de Naples.
Je retrouve Louise après les quatre-heures, je n'ose dire ici ce que l'école attend d'une gamine de treize ans, c'est tout simplement une vilaine farce ; on décide donc d'aller terminer notre chemin de croix sur le plan de travail de la cuisine ; et pendant que je pèle des pommes de terre, émince des poireaux, des carottes, des tomates et les reste d'une courge, coupe des pommes, des poires, des oranges et des bananes, elle lit les dizaines de pages photocopiées d'un manuel d'histoire dont l'enseignant a fait souligner de longs extraits. Au terme de cette étude, précise l'habituelle page d'objectifs, l'élève sera capable de
- donner les raisons internes et externes qui plongent l'empire dans l'insécurité durant le IIIème siècle,
- citer l'essentiel de l'oeuvre de Constantin,
- énumérer les raisons du partage de l'Empire romain,
- citer quelques apports que la civilisation romaine nous a légués.
Mais aussi
- comprendre et utiliser le vocabulaire religieux (abbaye, abbé, baptême, cathédrale, clerc, clergé, diocèse, ecclésiastique, clergé, laïc, moine, monastère, pape),
- rendre compte de l'organisation ecclésiastique du haut Moyen âge ainsi que la distinction entre clergé et les laïcs.
- expliquer le développement du mouvement monastique,
- expliquer la toute puissance de l'Eglise sur la société au Moyen Age,
- mentionner quelques règles et principes de vie que l'Eglise imposait à ses fidèles,
- différencier l'architecture romane de l'architecture gothique,
- fournir les raisons qui ont poussé les chrétiens de l'époque à exclure certaines catégories d'individus de la société.
Ce n'est pas tout, mais je ne prendrai pas la peine de transcrire la seconde série d'objectifs, ce serait indécent. Pauvres enfants ! pauvre histoire ! pauvre école !
La lecture de deux textes qu'Eric a écrits et dont il m'a parlé l'autre jour à l'occasion de notre balade au bord du lac de Neuchâtel m'apaisent : lire ce qu'un ami a pris la peine d'écrire, pour dire au plus près ce qu'il pense, m'a toujours fait du bien.
Jean Prod’hom
Ouverture de la saison en fanfare à Savièse
Concurrents et copains, Théo (2ème) et Jules (1er), ont dominé leur catégorie (Photo | Philippe Benosmane)
Si le soleil n'a pas été au rendez-vous, la pluie est restée si discrète que les parapluies sont demeurés fermés. Belle journée donc.
Il a fallu que les pilotes s'habituent d'abord aux modifications du règlement, et tout particulièrement aux deux minutes qui leur sont désormais imparties pour boucler chacune des zones. Pas le temps donc de regarder, de l'autre côté du Rhône, les restes de neige sur les hauts de la piste de l'Ours, ni les vergers en fleurs.
Les pilotes du TCPM ont fait fort, très fort ; voyez plutôt.
Dans la catégorie des Poussins, Jules Morard et Théo Benosmane ont terminé ex-aequo avec huit points de pénalité seulement ; c'est donc le nombre des sans faute qui les a départagés. A ce jeu, Jules est le vainqueur. Trois autres pilotes du TCPM participaient dans cette catégorie pour la première fois à une compétition : Maël Simon de Moudon termine à une belle 10ème place ; les deux frères Maxime et Bastien Perrin de Puidoux obtiennent respectivement les 7ème et la 5ème places.
Kelian Crausaz (11ème) et Thomas Girardin (10ème) ont réalisé, eux aussi, leur première course à Savièse, mais chez les Benjamins ; quant à Jeremy Bolomey et Matthieu Habegger, ils continuent leur apprentissage. Il faut féliciter haut et fort Kouzma Rehacek qui, vainqueur la saison passée chez les Poussins, monte sur la seconde marche du podium pour sa premier course dans cette nouvelle catégorie, à un point seulement de la première marche. Théo Grin termine à la 9ème place chez les Minimes.
Bravo à Arthur Prod'hom qui obtient une belle 2ème place chez les Cadets, mais il a choisi de rejoindre, dès la prochaine course, les Juniors. Loïc obtient dans cette catégorie une remarquable 3ème place.
Quatre pilotes du club de Moudon sont engagés chez les Elites. Il faudra les surveiller tout au long de la saison : Steve Jordan (12ème), Romain Bellanger (11ème), Brian Allaman (8ème) et Tom Blaser (5ème) pourraient réaliser de belles choses.
Impossible de quitter Savièse sans faire un saut à l'église Saint-Germain dont le clocher a veillé sur la journée. Il y a bien sûr Ernest Biéler, ses vitraux et les mosaïques du chemin de croix qui, à certains endroits, ne font pas tant penser à Byzance qu'à Cordoue, mais il y a surtout les hautes colonnes de tuf dont les nervures se déploient, sans chapiteau, jusqu'aux clés de voûte, et les voutains recouverts de chaux, qui font penser aux ailes ouvertes des piérides de l'aubépine.
Au retour, la pluie qui nous avait épargnés toute la journée se met à tomber, elle mêle ses traits aux rayons du soleil ; tous deux déposent sur le bitume et dans le ciel deux immenses feuilles d'or.
Rendez-vous à Ropraz dimanche prochain pour la seconde manche de la Coupe suisse de trial, il y aura du spectacle. Mais il y aura aussi à boire et à manger, pensez donc, c'est la trentième édition de cette épreuve d'envergure nationale... internationale cette année, puisque vous pourrez y voir à l'oeuvre Gilles Coustellier, une figure extraordinaire du trial, champion du monde à plusieurs reprises. Venez nombreux !
Jean Prod’hom
Échos avant l'aube d'une fête techno
Échos avant l'aube d'une fête techno qui secoue notre cage thoracique ; craquements d'os dans les combles, Fleur se fait les dents ; sonnerie du téléphone enfin, c'est l'heure. Le billet de la veille étant resté en plan, je commence par là, il est 7 heures lorsqu'on quitte le Riau plongé dans la grisaille. Pas de circulation sur l'autoroute, ni sur la route qui monte à Savièse. On fait une halte au centre de Saint-Germain, Arthur achète des boissons à la COOP, je sors de la boulangerie avec des pains au chocolat.
Arthur se rend au bureau des inscriptions ; trop tard pour rouler dans la catégorie des juniors, il restera donc avec les cadets pour cette première course de la saison. On se donne rendez-vous à dix heures, j'en profite pour entrer dans l'église paroissiale de Saint-Germain.
Alors bien sûr, il y a Ernest Biéler, ses vitraux et les mosaïques du chemin de croix qui, à certains endroits, ne m'ont pas tant fait penser à Byzance qu'à Cordoue, mais il y a surtout les hautes colonnes de tuf dont les nervures se déploient, sans chapiteau, jusqu'aux clés de voûte, et les voutains recouverts de chaux, qui font penser aux ailes ouvertes des piérides de l'aubépine.
Arthur réalise une belle moitié de course, il est surtout moins fébrile que l'année passée. Une main par terre, lors de son dernier passage, lui rapporte 5 points de pénalité, ce qui ne l'empêche pas de terminer à une belle seconde place.
Départ de Savièse à un peu plus de 17 heures, arrivée dans la cuisine du Riau à 19 heures 30 ; je cuis des pâtes, lave de la salade, Sandra prépare une sauce, je plonge une poudre à la vanille dans un demi-litre de lait, le tour est joué.
Et pendant que Sandra et les enfants regardent Pirates des Caraïbes 4 ou 5, je travaille au compte-rendu de la course de Savièse, sans en venir à bout. La pluie qui nous a épargnés toute la journée se met à tomber, elle mêle ses traits aux rayons du soleil ; tous deux déposent déposent sur le bitume et dans le ciel deux immenses feuilles d'or.
Jean Prod’hom
Un troisième oeuf est né
Cher Pierre,
Un troisième oeuf est né, je suis allé le voir ce matin à vélo ; sans Oscar qui fait trop de bruit. J'ai taillé au sécateur quelques rameaux du saule qui a poussé entre eux et moi, la femelle s'est envolée. La femelle est revenue, le mâle ne s'est pas montré. Me réjouis des jours prochains.
En roulant sur le chemin du retour, sous le soleil, avec les chants à la fois pointus et liquides des oiseaux, le vert de l'herbe nouvelle, avec le ruisselet et les chevreuils dans le pré de la Mussilly, les ruches et tout ce qui autour ne demande rien, avec la campagne et les bois qui bougent à peine, je songe une fois encore aux récits d'André Dhôtel, avec la conviction que la féerie et le délicat tremblement qui traversent ses récits sont bien réelles.
Je lis au retour, sur un forum d'oiseleurs – Au paradis des canaris –, la notice concernant Pyrrhula pyrrhula europoea. J'y apprends que les bouvreuils s'élèvent en volière, avec des chardonnerets et des verdiers par exemple, qu'ils demandent en captivité autant de soin que des nourrissons de notre espèce.
- Le bouvreuil présente comme caractéristique une allure trapue, accentuée par son bec court et massif qui lui a valu son nom de « petit bœuf ».
- Le bouvreuil est un oiseau relativement discret. Il aime fréquenter les bois assez denses, les buissons touffus à la végétation broussailleuse, les parcs, les jardins ainsi que les vergers. En montagne, il se retrouve dans les forêts de conifères où il monte très haut.
- Le bouvreuil pivoine est, lui, sédentaire, où il erre en petite bande à la recherche de nourriture.
- Dans la nature, le bouvreuil aime construire son nid dans un buisson épineux, un thuyas, un petit résineux, etc… à une hauteur relativement faible au dessus du sol (généralement à moins de 2 mètres du sol). Pendant la construction du nid, le mâle, qui a choisit l’emplacement, accompagne fidèlement sa femelle qui bâtit le nid avec des brindilles sèches de bois, d’herbes, de poils, de plumes, de lichens, etc… Pendant toute cette période, le couple se dissimule avec soin.
- Pendant la période nuptiale, le mâle chante de plus en plus. Il va prendre une brindille dans son bec et sautiller autour de la femelle en gonflant son plumage. La femelle va pousser des petits cris et entamer également des petits sauts, allant et revenant vers le mâle. Les rectrices de leur queue sont également écartées. Les deux oiseaux donnent ainsi l’impression de danser. De plus, la becquetée avec la femelle est un autre signe de pré accouplement.
- Deux couvées peuvent être réalisées chaque année, d’avril jusqu’en août. La femelle pond quatre à six œufs au fond bleu pâle tacheté de roux, de dimensions moyennes de 21,4 |14,8 mm pour le ponceau et de 19,3 |14,4 mm pour le pivoine, que la femelle couve seule 13 à 14 jours, tandis que le mâle la nourrit au nid. La femelle ne réchauffe plus ces jeunes vers le 11ème jour après la naissance. Les jeunes quittent le nid entre le 15ème et 17ème jour. L’élevage des petits est assuré par les deux parents. Néanmoins, il est conseillé de laisser la femelle élever seule ses jeunes, le mâle étant placé dans une cage concours, car il a la fâcheuse habitude de tuer les jeunes. Ce problème est dû notamment à une nourriture très riche en captivité, surtout avec les vers de farine qui l’incite à se reproduire.
- Le bouvreuil est un végétarien, se nourrissant principalement de graines, semences végétales, baies, bourgeons. Lorsque l’occasion se présente, quelques insectes complètent son menu, surtout en période de reproduction.
Une jeune femme, tout droit sortie d'une bande dessinée, passe une partie de la matinée dans la maison à repérer les traces d'amiante. J'en profite pour terminer notre déclaration d'impôts et réunir les éléments qui devraient figurer sur le carton d'invitation pour Terres d'écritures, que j'envoie à Romain.
Les plus hautes instances de la Direction générale de l'enseignement obligatoire (Direction organisation et planification) remercient, par courrier électronique, les enseignants pour leur compréhension et leur patience dans un contexte délicat ; depuis le 20 mars dernier en effet, la navigation Internet est extrêmement difficile, voire impossible sur certaines pages et à certains moments de la journée. Cela a pour conséquence un impact négatif considérable sur le travail des uns et des autres avec les outils informatiques. On s'en est effectivement rendu compte.
L'extraordinaire n'est pas tellement dans l'incident lui-même (qui révèle, une fois encore, la fragilité des réseaux actuels de communications à "très haut débit"), mais dans la coïncidence relevée dans l'historique : les premiers signes de lenteurs sur le réseau des réseaux ont été repérés lors de l'éclipse solaire, le 20 mars 2015 ; nous laisserons aux épistémologues le soin de tirer routes les conséquences de cette fabuleuse coïncidence.
Il y a des adultes qui mériteraient une fessée, interdite de nos jours ; leurs coquetteries, les méchants chemins qu'ils empruntent, les calculs qui les rongent pour ne rien perdre de ce à quoi ils ont droit, leur suffisance, leur arrogance, la bêtise, tout de leur vie les assèche, comme ces écorces qu'on répand dans les plates-bandes pour bâillonner les mauvaises herbes. Ils parasitent la société qui les nourrit, sans l'élégance du gui, accablent leurs voisins ; ils ne méritent pas même qu'on leur donne des noms d'oiseau. Un courrier reçu par la poste ce matin m'en donne à nouveau une nouvelle preuve. L'écrire m'aura fait du bien.
C'est aujourd'hui l'anniversaire de Sandra. Françoise et Edouard nous ont invités à Vevey, tôt, puisque nous allons Arthur et moi à Savièse demain pour la première manche de la Swisscup trial. Lili reste au Riau, c'est l'anniversaire de Mylène. Edouard nous a à nouveau gâtés.
Jean Prod’hom
Les bêtises nées de l'impatience
Les bêtises nées de l'impatience menacent de faire fuir ce qui nous est cher et qu'il nous aurait suffi d'attendre ; ainsi ce matin : en dépit de ma promesse de ne pas m'y rendre avant la fin de la semaine, je retourne au-dessus du triage m'assurer que les deux bouvreuils n'ont pas déserté les lieux en abandonnant leur nid. Je m'assieds dix minutes sur une souche, à bonne distance ; aucun rameau ne balance, pas un bruit.
M'approche pour en avoir le cœur net, lève une branche, s'envole l'oiseau rose. Restent deux œufs dans une pelote d'herbes sèches, dont je m'empresse de faire une photographie avant de déguerpir en me rongeant les ongles. Attends à trente pas le retour de mes protégés que j'ai chassés, ils tardent. J'aperçois finalement, à la cime du haut sapin qui surplombe leur domaine, une tache rouge immobile. Ni une ni deux, je m'en vais et m'en veux de ma précipitation, en priant les dieux que les oiseaux sachent distinguer les maladroits des voleurs.
Au Mont, la vie continue, plus d'insectes sociaux mais moins de couleurs, beaucoup de dedans et peu de dehors, à nous d'ouvrir les fenêtres, j'essaie de le faire tout au long de la matinée.
On mange, Celsa et moi, les dernières dents-de-lion sur la terrasse du Central ; Naples se rapproche, on avance, une sieste serait la bienvenue.
Je passe l'après-midi avec les petits du premier, entre médiathèque et salle de classe, à tout faire pour qu'ils se détournent un moment du groupe qui les aliène et trouvent un peu de repos dans un livre. Ils finissent par y parvenir, presque tous, sans hâte, quand bien même l'un d'eux se montre si récalcitrant qu'il me condamne à le tenir en laisse. Elle me suffit l'idée que les enseignants auraient à offrir à chacun des élèves qui leur sont confiés un lieu et un moment pour leur permettre, sans jamais les occuper, de rassembler leurs désirs mis en pièces par les vendeurs de loisirs.
Ramasse Arthur à l'arrêt de bus du Riau, le dépose à Ropraz pour l'entraînement, file à Thierrens où j'embarque les filles, comme tous les jeudis. Ce qui change aujourd'hui c'est qu'il me faut encore aller donner un coup de main au Mélèze, la course a lieu dans un peu plus de semaine. Il est près de 23 heures lorsque je rentre, Arthur me montre la coque vide de son natel ; je regarde admiratif la tas de pièces qu'il en a retirées, en couvant l'espoir qu'il soit capable de replace l'un dans l'autre.
Jean Prod’hom
Le réservoir d'essence
Cher Pierre,
Le réservoir d'essence de la Yaris goutte depuis deux jours, je la dépose à 7 heures au garage. Lance ensuite dans les trois classes, à partir de trois textes différents, la même activité à visée technique : identification du degré de solidité des différentes régions de la langue, utilisation des moyens de référence, extension du doute. Je mange un bircher à la salle des maîtres.
Le garagiste m'apprend à 13 heures, en grimaçant, que le réservoir est vraisemblablement troué, sur le haut, mais que ce n'est pas très grave ; il parie qu'il cessera de goutter lorsqu'il sera à moitié vide. Il vaut mieux toutefois prendre un rendez-vous ; on le fixe pour la semaine prochaine. Il m'indique avant qu'on se quitte qu'il a eu le temps de poser les pneus d'été.
Éric m'attend devant la gare d'Yverdon, on va sous le soleil jusqu'à Champ-Pittet, il me raconte les années difficiles qu'il a vécues depuis la fin de notre mandat au Burofco, pleines trop pleines : la surcharge de travail, la famille, ses dernières années à la HEP. Les foulques, les colverts, les grèbes font un bruit d'enfer, on boit un coup sur la terrasse de la buvette du Centre. Il y a deux ans qu'il est à la retraite, j'y serai dans deux ans et demi, je tends l'oreille.
Céline et Sylviane nous accueillent à la librairie de l'Etage, Aude est déjà là, Karim nous rejoint. Puis des visages connus, Marc, Isabelle et leur enfant, Lucie et Annette : une bonne douzaine de personnes en tout.
Nos hôtes ont de l'énergie et des sourires à revendre, Céline lit des extraits des Neiges de Damas et Karim de Tessons. Table ronde ensuite, impressions de lecture et d'écriture, bribes de récits. C'est la première fois que je participe à ce genre de réunion, on finit autour d'un verre, nous dédicaçons quelques livres. Agnès me confie être une fidèle des marges dont elle lit les billets le soir avant de s'endormir ; mes petites histoires, ce que je dis de l'école, ma rencontre avec le bouvreuil l'autre jour ne la laissent pas indifférente. C'est le plus beau des compliments.
C'est à la pizzeria du tennis que nous finissons la soirée, nous sommes six ; on raccompagne Aude et Lucie qui rentrent à Genève en train, nous sommes quatre ; on laisse Céline et Eric devant le1400 où l'on a bu un café, nous sommes deux ; Karim me dépose à l'hippodrome, je suis seul, guigne sous la Yaris : pas d'essence. Je rentre dans la nuit qui s'allonge par Valeyres, Ursins, Orzens, Oppens, Rueyres et Fey. Personne sur la route mais un chevreuil.
La maison est silencieuse, je ferme la porte à clé ; il y a de la lumière dans la bibliothèque, je monte embrasser Sandra. Dehors, la nuit s'épaissit.
Jean Prod’hom
L'utilisation du langage
Cher Pierre,
L'utilisation du langage assure, à lui tout seul, le maintien de la paix parmi les hommes et nous autorise à l'imaginer perpétuelle ; on aurait pu aisément se passer de la monnaie. Mais ni le premier ni la seconde ne sont capables de faire autre chose que d'établir des relations d'équivalence entre des réalités aveugles. Qui peut en effet imaginer que l'autre perçoit, éprouve, pense ce que je pense, éprouve et perçois ? C'est pourtant cette supposition reconduite dans nos échanges qui nous fait croire en retour que ce que nous pensons, éprouvons et percevons confusément pourrait être dit.
C'est à Oron, que j'écris ces propos pour le moins décousus, en attendant Lili qui court, saute et lance. Au café de l'Union, devant une verveine ; la porte de l'établissement est ouverte, mais le dehors ne se mêle pas au dedans, un seuil large comme la main l'en empêche. Nous sommes 4 clients à deux pas les uns des autres : un ouvrier qui mange, un retraité devant un verre de rouge, un quadragénaire qui tapote sur son portable. Cette mise en scène qui assure la paix de l'espèce est d'une complexité qui donne le vertige. Nous sommes parvenus à nous désolidariser des processus physiologiques pour n'abriter qu'un esprit. C'est de très loin qu'on entend désormais battre nos coeurs, sans y croire vraiment, ou dans l'effroi.
Retour par Ropraz où les jeunes cygnes se sont mis à déployer quelques-unes de leurs 24 vertèbres cervicales, l'air a fraîchi ; Sandra a préparé un gratin de choux-fleurs et une tarte aux framboises.
Il est peu de personnes qui ne se soient amusées, à un moment quelconque de leur vie, à remonter le cours de leurs idées et à rechercher par quels chemins leur esprit était arrivé à de certaines conclusions. Souvent cette occupation est pleine d’intérêt, et celui qui l’essaye pour la première fois est étonné de l’incohérence et de la distance, immense en apparence, entre le point de départ et le point d’arrivée. (Edgar Allan Poe)
L'harmonie universelle a toujours fait l'économie des substances.
Jean Prod’hom
Debout un peu avant 6 heures
Cher Pierre,
Debout un peu avant 6 heures, tandis que le jour se lève à peine ; la bise est tombée. Traverse le jardin pour vider les cendres du poêle sous le marronnier, fais tintinnabuler la vaisselle de la machine à laver : poignées d'assiettes, de fourchettes, poignées de couteaux ; fais du feu.
Ça m'est devenu toujours plus difficile de reprendre le travail après les vacances, de me refaire une assurance. Mais sitôt arrivé à la mine, le plaisir grandit lorsque les mômes se penchent sur leur ignorance ; les choses se remettent en place et soudain tout s'éclaire. Belle matinée à la bibliothèque avec la moitié des petits, à Baulmes avec l'autre ; belle après-midi à Naples avec les grands, à la salle des maîtres avec des collègues ; belle soirée à Ropraz avec les membres du comité du TCPM : le certificat est en boîte, la course de Ropraz bientôt du passé.
Toutes ces activités m'auront toutefois coupé les jambes, sans que je sois parvenu une seule fois à me retrouver autrement qu'en avance ou en retard, à chaque coup précédé ou suivi par des leurres.
Oh! si, chez Jean-Daniel, lorsque les deux cygnes noirs et leurs trois petits m'ont ramené du côté des vivants vivants, de ce qui n'était déterminé ni par le temps ni par le lieu. Parfois il faut tenir, à peine, le moins possible ; permettre ainsi à ce qui sommeille de rompre la loi des fatalités, au soir d'aller et de revenir, sans hâte, jusqu'à la nuit.
Jean Prod’hom
Il fallait en avoir le coeur net
Cher Pierre,
Il fallait en avoir le coeur net ; je suis donc allé à 7 heures au-dessus du triage, assis une demi-heure dans la sapinière, inquiet que ma présence trop insistante des jours passés près de leur nid ne les ait eux inquiétés. Soulagement lorsque le bouvreuil me fait une visite, sa compagne le rejoint. Ni les motards ni moi ne les auront dissuadés, je m'en réjouis ; ils ne restent pourtant pas longtemps, comme s'ils se méfiaient. C'est décidé, je n'y retournerai pas avant vendredi prochain.
Bruand jaune mâle
Sandra et les filles se rendent chez Marinette, Arthur dort, je monte à la bibliothèque. Après-midi studieuse à écouter su Youtube les entretiens de Felix Guattari et à regarder des images sur Naples ; écoute à la radio Schifano très en colère contre l'unification de l'Italie et l'exploitation du sud qui s'en est suivie. Fais une mayonnaise et cuire des artichauts, râpe des carottes rouges, prépare un bircher pour demain. Après le repas, Louise me pose quelques questions sur le récit d'aventures, mais renonce aux questions d'orthographe qu'elle voulait me soumettre, on renvoie à mardi. Retourne à Naples jusqu'à 21 heures.
Jean Prod’hom
Comment y voir clair dans le brouillard
Cher Pierre,
Comment y voir clair dans le brouillard ? et les bêtes sauvages, s'en réjouissent-elles ? Les changements climatiques, secondaires, infléchissent-ils leurs habitudes ? Connaissent-elles l'hésitation ? Et leur semaine est-elle rythmée par ce qui correspond à nos weekends ? lèvent-elles la tête le dimanche quand sonnent les cloches de l'église ? Leur arrive-t-il de prolonger, comme les hommes, leur sommeil, ou leurs rêveries ? Vivons-nous dans le même monde ? ou chaque espèce a-t-elle son ciel et des manières toutes à elle de s'interroger au coeur d'une énigme qu'incontestablement nous partageons. Elles sont à coup sûr notre chance et notre avenir, en ce sens qu'elles ont choisi de ne rien nous dire.
On finit par se lever et je dresse la liste des courses du weekend. Sandra et les filles se rendent elles aussi à Oron, pour acheter des cartons utiles au stockage de nos affaires pendant les travaux et des fleurs que Louise veut placer dans la plate-bande.
C'est un constat sur lequel tous les observateurs avisés s'accordent, l'agressivité des automobilistes, insupportable au premier étage des parkings, se réduit à mesure que l'on descend dans les étages inférieurs pour totalement disparaître au dernier. Par un paradoxe que les sciences de l'homme connaissent bien, ce constat ne peut être fait que par ceux du dernier étage, qui ont compris que s'éloigner de leur but les en approchait parfois considérablement. Alors que ceux qui auraient tant besoin d'un peu de paix et de recul s'agitent, tournent, vitupèrent à deux pas du leur.
C'est ce à quoi je pensais assis dans la Yaris au parking de la COOP d'Oron, ce matin, rempli de véhicules jusqu'à la gueule, en raison du comptoir qui a ouvert ses portes, mais qui offrait en périphérie d'innombrables places, avec le vent qui agitait l'herbe déjà haute, le ciel et le piaillement des moineaux. Je m'y suis trouvé si bien que je me suis demandé pourquoi je ne resterais pas jusqu'à la nuit, comme cela m'arrive parfois lorsque je m'étends sur les herbes sèches en-dessus du triage. Et c'est dans ces instants, je crois, que l'envie d'écrire ou de ne pas écrire est la plus forte, parce qu'il n'y a presque rien tout autour.
Et si je suis malgré tout de retour à la maison, c'est bien parce qu'il a bien fallu que je me décide à glisser dans un caddie des cornflakes, du lait entier de Gruyère, des fruits, des légumes et du riz. Mais je l'ai fait de très loin, avec dans les yeux les herbes hautes et le ciel, à distance des états d'âme des gens, et en même temps très près de leur cœur. Cette aventure m'a fait penser à l'écriture de Walser, à cette ligne mélodique qui fait entendre l'harmonie des mondes disjoints, qui concourent soudain, miraculeusement, à ce qui pourrait être et qui est. Oui, la vie est très belle, pleine de surprises et de noirceur, d'agitation et de sourires.
Au parking, les oiseaux se sont réjouis de mon retour, heureux, je crois, que je leur demande comment ça allait pour eux, et les herbes hautes ont applaudi.
Mésange nonette
Olivier entreprend de nouveaux travaux à Ferlens, un peu obligé par les circonstances ; le jardinet au sud des écuries est charmant. On ne s'était pas revus depuis plusieurs années, si bien qu'on a beaucoup parlé ; les moineaux se sont succédé au goulot de la fontaine, visible de la table de la cuisine autour de laquelle on était assis.
Le brouillard s'est levé, les pommes-de-terre sont pelées et coupées, la courge et les poireaux lavés et émincés, la tarte au four, les pointes d'asperge blanchies. Je confie le tout à Sandra et vais rejoindre au-dessus du triage le couple le bouvreuils et leur nid. Invisibles! Ai-je été trop présent ces derniers jours ou les motards qui vont et viennent sur leurs engins trafiqués les dissuadent de se montrer ?
Sandra et les enfants jouent aux dés lorsque je suis de retour, je fais cuire du riz et râpe du fromage. La rentrée c'est pour après-demain, Lili nous confie pendant le repas sa position sur la question : elle n'en veut pas à Charlemagne qui a inventé l'école, mais elle en veut sérieusement à celui qui l'a rendue obligatoire. Je ne suis pas loin de penser comme elle.
Jean Prod’hom
C'était donc ça
Cher Pierre
C'était donc ça : si la femelle que j'ai aperçue hier, et deux fois ce matin, se cache dans les branches du sapin nain, c'est pour y construire un nid, tandis que le mâle, bien visible, fait le guet. J'aurais pu le deviner le premier jour ; mais c'est tout autre chose d'avancer dans l'ignorance et de se réjouir de ses découvertes.
Cette histoire est d'autant plus curieuse que Sandra me fait voir le premier exercice de la première partie du manuel de physique dont elle est responsable, rédigé il y plusieurs mois déjà.
J'ai rendez-vous à 15 heures au Musée de Vidy où je salue Laurent qui travaille dans son bureau à sa prochaine exposition ; je récupère le carton contenant les tessons. Le lac, qui est à son niveau le plus bas, m'invite à aller jeter un coup d'oeil, jusqu'au pont de la Chamberonne au pied duquel je trouve une fleur bleue.
L'autoroute est bien dégagée si bien que j'arrive à l'heure à Baulmes ; l'hôtel de ville ressemble à un château, sa construction a été financée par les ventes de bois, m'explique Joël, le garde-forestier, des bois qui occupent la grande partie de la commune. La baisse des prix et le gui dont les graines sont rejetées et dispersées à la cime des sapins par les grives sont les principaux responsables de la baisse des revenus de cette petite ville de 1000 habitants, située au pied du col de l'Aiguillon.
Ce n'est pas loin de ce col que Joël m'emmène, à Grangeneuve où la classe des petits passera trois jours. Il se propose de nous accompagner un peu plus haut, dans la forêt de Limasses, et de nous raconter l'histoire de sapins trois fois centenaires, dont les deux plus imposants portent les noms de président et de vice-président ; de pique-niquer avec nous – ce Joël mérite d'être connu.
De nous retrouver également le lendemain dans un petit refuge, à deux pas de la carrière des Rochettes dont l'exploitation du calcaire marneux, souterraine d'abord, transformé dans l'usine de Chaux et ciments à Baulmes, a connu ses heures de gloire dans la première moitié du XXème siècle. Elle s'est poursuivie à ciel ouvert après la seconde guerre, jusqu'en 1962. Il faut noter encore que le dénommé Joseph Bon a établi en 1953 une champignonnière dans les galeries inférieures désaffectées ; le Joseph en question n'a visiblement pas fait fortune puisque l'Office des poursuites d'Orbe a procédé en 1957 à la vente aux enchères d'un aérochauffeur, de plusieurs centaines de m3 de fumier et des grillages.
J'espérais que Pierre-Alain R pourrait nous faire voir les oiseaux de sa région et tout particulièrement ceux qui ont élu domicile dans la carrière, il m'apprend au téléphone qu'il sera en voyage.
Je rentre en m'arrêtant en vitesse à Epalinges où j'achète du pain, à Corcelles où j'achète du fromage. On appelle fondue le mélange de ces deux produits.
Jean Prod’hom
La littérature érotique en Suisse romande
Cher Pierre,
Le ciel s'est couvert à l'aube ; ce qui ne nous empêche pas, Sandra, Oscar et moi de faire la boucle des 4 kilomètres ; on évoque sans les exagérer les désagréments que les travaux dans la maison vont amener, on en rit ; on ajoute pour prolonger notre plaisir une seconde boucle, autour du grand étang qui n'existera bientôt plus : les graminées, les carex, les mousses et diverses variétés d'arbrisseaux ont colonisé les lieux ; des bouleaux, des aulnes prennent racine.
Je me sépare de Sandra au triage, rejoins le sous-bois où j'ai aperçu hier un bouvreuil. Il n'est pas seul : la femelle est cachée dans les branches d'un sapin nain. Ils filent en trois coups d'aile, je m'installe. Ils reviennent après un quart d'heure, se posent un instant, lui sur une branche qu'il semble affectionner, elle à la cime d'un arbuste. J'aurais voulu faire une photographie de la femelle, plus claire ; ils sont loin, je ne les reverrai plus aujourd'hui.
Les chants puissants des oiseaux donnent l'impression que les bois en sont peuplés jusque dans leurs moindres recoins. Il faut pourtant du temps pour les apercevoir, beaucoup d'entre eux sont perchés trop haut dans le ciel.
Rougegorge familier
Sandra et les enfants sont allés pique-niquer avec les K au-dessus de l'Escarogotière, je monte à la bibliothèque pour travailler, mais Après beaucoup d'années, recueil de petites proses que Jaccottet a publié en 1994, me distrait ; je l'ai déposé hier sur la table ronde dans l'intention de relire les quelques lignes qu'il consacre aux eaux du Lez. La présence de deux point-virgules naturellement me réjouit, mais c'est la manière dont Jaccottet parvient à éloigner les métaphores et les comparaisons qui me ravit, dont il s'est servi comme d'un véhicule pour approcher ce qu'il tente d'épingler ; la méthode avec laquelle il réussit à se débarrasser de la rhétorique : certes oui! mais..., mais ce n'est pas cela..., dirait-on mais en réalité, si l'on veut..., pour libérer à la fin, par son nom, ce qu'il n'est parvenu à énoncer qu'en le manquant :
Ce sont les eaux de Lez, en avril, au gué dit de Bramarel.
Le menuisier et l'architecte font un saut à 16 heures pour qu'on décide ensemble des fenêtres et des portes d'en-bas ; le menuisier c'est Guillaume et on est bien contents de travailler avec un ami. Je les quitte un peu après 16 heures 30 pour aller récupérer au Musée de Vidy la centaine de tessons qui ont passé l'hiver dans le vestibule de cette auguste maison, que je ne parviendrai jamais à rejoindre, à cause de Monsieur François Hollande dont le discours à l'EPFL et le bain de foule à Ouchy ont bloqué tout le sud de la ville. Il m'aura donc fallu 1 heure et demie pour rejoindre la Grange de Dorigny où se rencontrent universitaires et auteurs autour d'une table ronde sur la littérature érotique en Suisse romande.
On reconnaît les universitaires à leur physique – ce sont des sportifs ; les écrivains à leur gentillesse et leur prévenance – ils ont toujours quelque chose de gentil à vous dire ; jolie soirée donc. J'y apprends également une ou deux choses ; une étude quantitative des textes relevant de ce genre a listé 600 synonymes pour le mot vagin, 600 (différents j'imagine) pour celui de pénis et 1300 pour coït : ce qui prouve une fois encore que le tout est supérieur à la somme des parties.
Je ne suis pas intervenu parce que je n'avais rien à dire; mais si on me l'avait demandé, j'aurais osé le poncif suivant, sans citer mes sources : L'écriture et la lecture, lorsqu'elles se font caresses, relèvent de la littérature érotique. Ç'aurait fait un flop.
Si on avait insisté pour que j'en dise plus, j'aurais raconté Madeleine qui, avant d'être un de ces gâteaux courts et dodus... qui semblent avoir été moulés dans la valve rainurée d'une coquille de Saint-Jacques... , fut celle sur laquelle je portai mes lèvres pour la première fois... je tressaillis, attentif à ce qui se passait d'extraordinaire en moi. Un plaisir délicieux m'avait envahi, isolé, sans la notion de sa cause. II m'avait aussitôt rendu les vicissitudes de la vie indifférentes, ses désastres inoffensifs, sa brièveté illusoire,... en me remplissant d'une essence précieuse : ou plutôt cette essence n'était pas en moi, elle était moi. J'avais cessé de me sentir médiocre, contingent, mortel.
Je quitte ce beau monde pour le Riau où je retrouve Sandra et Arthur qui reviennent du cinéma, Louise et Lili dorment à Servion. Je rédige ces notes.
Jean Prod’hom
Je m'y étais engagé
Cher Pierre,
Je m'y étais engagé, c'est fait ; les tâches qui m'attendent jusqu'à l'été sont à nouveau listées, réparties cette fois sur trois colonnes ; cette opération aura eu le mérite de dégonfler, une fois encore, ce que je m'évertue à dramatiser ; ça durera le temps que ça durera.
Bouvreuil pivoine
Sandra et Louise sont allées à Nyon commander le carrelage de la salle de bains, Arthur et Lili dorment. Le voyage d'étude à Naples est devenu depuis tout à l'heure une priorité, je rédige les premières informations que je remettrai aux élèves et à leurs parents, elles auront eu la vertu de me faire entrevoir ce qui me reste à faire : inscrire les bagages des élèves, mettre un point final à la réservation sur easyJet, vérifier les numéros des passeports, réserver le train jusqu'à Genève et retour, faire travailler les élèves sur l'activité qu'ils ont à préparer avant de nous y rendre.
Il est 10 heures lorsque je sors. Les chevreuils sont très actifs, ma présence et celle d'Oscar les inquiètent, ils aboient. Près de la clairière où j'ai fait halte hier et où je retourne ce matin, j'aperçois le miroir blanc d'un arrière-train de l'un d'eux qui s'enfuit.
Une tache rouge passe en coup de vent dessus le tracé d'un chemin qu'envahissent les bartasses. A gauche une futaie dans laquelle s'engouffre l'oiseau, et d'où il ressort un peu plus tard pour disparaître à droite dans les taillis. Je remonte dans le couloir qu'il a emprunté et m'y fixe. Il finit par sortir du taillis et se poser sur une branche. Distingue derrière lui une autre forme qui bouge. Oscar ne peut s'empêcher de signaler notre présence, le bouvreuil nous fausse compagnie. Je reviendrai demain matin.
M et E rejoignent Louise et Lili pour le goûter, puis je descends au cinéma à Lausanne avec les deux grandes: Divergente 2 : l'insurrection. M'informe avant sur Allociné.
Dans un monde post-apocalyptique où la société a été réorganisée autour de 5 factions (Audacieux, Érudits, Altruistes, Sincères et Fraternels), Tris a mis au jour un complot mené par la faction dominante, les Érudits, dirigés par Jeanine. Abandonnant une ville à feu et à sang, à la recherche d’alliés, Tris et Quatre sont désormais traqués par les autorités. Jeanine décrète la loi martiale pour anéantir les Divergents, tandis que la guerre entre les factions prend de l’ampleur. Pourquoi les Divergents sont-ils une menace pour la société ? La découverte d’un objet mystérieux, hérité du passé, pourrait bien bouleverser l’équilibre des forces…
J'apprends en outre, par Wikipédia, qu'il existe un sixième groupe, celui des Sans Faction. Ça ne va pas être simple pour un esprit aussi lent que le mien, d'autant plus que je n'ai pas vu le premier volet de cette saga, et qu'un troisième est annoncé, en deux parties. Cette situation délicate me décide, on fera une halte avant de rentrer à la crêperie de la Chandeleur.
Jean Prod’hom
Rendez-vous de chantier
Cher Pierre,
Rendez-vous de chantier ce matin avec l'architecte, l'électricien, le cuisiniste et le chauffagiste ; manquaient le charpentier, le maçon et le menuisier. Ce qui étonne chez ces gens-là, c'est d'abord leur confiance ; non pas celle de l'infatué qui croit savoir, mais celle qui se nourrit de l'assurance que les choses ne se passent jamais exactement comme on le veut, mais qu'elles n'ont jamais eu l'intention de mettre en défaut qui que ce soit et qu'il y a toujours une solution pour contourner ou même prendre appui sur l'obstacle qu'elles représentent tôt ou tard.
C'est ensuite la faculté que chacun d'entre eux a de collaborer sans déborder sur les compétences des représentants des autres corps de métier, sans en douter non plus, en maintenant la distance qu'il convient, sachant que leur actes ne sont pas indépendants, qu'ils concourent aux mêmes fins : ensemble et chacun séparément. Tout cela paraît évident,
Lorsque je compare leur travail, la façon dont ils l'abordent et les principes qui les animent, je me plais à imaginer que quelque chose de pareil pourrait animer le corps des enseignants, qui pâliraient de jalousie s'ils se penchaient sur l'efficacité des échanges de ces gens qu'ils disqualifient si souvent, sur leur bon sens aussi, non pas tant celui auquel on recourt idéologiquement pour recouvrir d'un voile nos ignorances, mais celui qui donne assez de jeu pour que la logique de nos actions puisse s'ouvrir à l'imprévisible.
Il faudrait exiger des candidats à l'enseignement qu'ils fassent un stage d'une année au moins dans le secteur de la construction, ne serait-ce que pour les garder de l'idée simpliste qu'ils se font de la connaissance comme empilement de briques, colportée depuis des lustres par les responsables de l'école obligatoire.
Je retrouve pour la première fois cette année le sol des sous-bois, assez sec pour s'y asseoir, Oscar les explore. Et le calme revenant, je m'avise du rôle de l'appétit, de la soif, de la digestion, de l'oxygénation, de la marche, des saisons dans le fonctionnement de l'intellect, de tout ce que celui-ci aurait bien voulu se passer.
Reviens en pensant à cette phrase du prologue qui ouvre Les Neiges de Damas d'Aude Seigne que j'aurais la chance de rencontrer le mercredi 22 avril à Yverdon (Libraire l'étage) :
C'est un livre contre la dictature du sens et de la cohérence, contre l'obligation de conclure.
Propos décidé, qui semble répondre à une fringale et à un insatiable désir de totalité, provocation aussi à laquelle les plus solides d'entre nous pourraient souscrire, mais aussi les plus faibles ; mot d'ordre en forme de paradoxe, écrit par une jeune femme dans les premières années du XXIème siècle, mais qui aurait pu l'être également par un jeune Nietzschéen du troisième quart du XXème. Car enfin, cet énoncé, en vertu même du principe de réflexivité, ne permet pas de conclure, ni sur son sens ni sur sa cohérence.
En réalité, ce paradoxe est une épreuve. Faut-il tenir jusqu'au bout à cette logique qui n'en est pas une en s'y accrochant par souci de loyauté et renvoyer l'explication finale, la clé de voûte et la conclusion à plus tard ? Ou y renoncer séance tenante ?
La littérature, comme la philosophie, est tout à la fois un poison et un remède : poison pour les êtres faibles qui inventent des fables pour se convaincre eux-mêmes de l'impensable et obliger ceux sans lesquels ils seraient seuls à les suivre ; remède pour ceux qui sont en pleine santé, assez forts pour expérimenter une voie singulière au risque d'aller de ce pas vers l'insensé et l'incohérent. Sans conclure.
Dictature du sens soit, mais en quel sens, en sacrifiant les principes d'identité et de non-contradiction ? Ne pas conclure pourquoi pas, mais en différant le dernier mot de telle manière qu'on pourrait croire s'être débarrassé des fins une fois pour tout ? Voilà où j'en suis. Pas sûr que tout cela soit très sensé et cohérent.
Je monte à la bibliothèque et réunis les éléments qui devraient constituer ce qu'on appelle pompeusement un dossier de presse en vue de l'événement qui aura lieu à Grignan en septembre. Là encore, je suis tenaillé par la crainte de faire faux.
Jardin en fin d'après-midi, je déplace les trois dernières lavandes, taille un lilas. Arthur rentre de ses deux jours de camping, Louise et Lili reviennent de chez Marinette. Ils ont faim, je fais bouillir des pâtes, râpe des carottes rouges et réchauffe les restes du gigot de dimanche. On parle des chamboulements que les prochains travaux vont amener dans la maison ; Sandra sourit, elle est un ange.
Jean Prod’hom
Grand beau
Cher Pierre,
Grand beau ! C'est à plus de 9 heures que Mylène et Lili sortent le bout du nez de la tente où elles ont dormi la nuit passée ; pas de nouvelles d'Arthur, Louise fait un peu de guitare et Sandra se rend chez l'ostéopathe.
Rougequeue à front blanc
Je télécharge VaudTax 2014 et le miracle a lieu : je récupère les données de la déclaration d'impôts 2013 et complète vite fait celle de 2014 avec la paperasse mise en tas dans un coin de la bibliothèque : tout trouvé! deux heures auront suffi. Si fier que je renvoie la vérification à demain.
Je déplace des lavandes en martyrisant quelques tulipes, termine Les Neiges de Damas au soleil dans le jardin, taille le pommier en espalier, dérive l'eau de la fontaine dans l'étang, suis les manoeuvres des oiseaux dans le chêne.
Louise et Lili dorment ce soir chez Marinette, on va manger au Chalet des Enfants ; confiants, on parle du chantier dans lequel il va nous falloir vivre cet été.
Il est 21 heures lorsqu'on rentre, Arthur nous envoie un message du fond des bois avec la photo d'un feu et celle d'un hamburger.
Jean Prod’hom
Sandra lit
Cher Pierre,
Sandra lit, je parcours les dernières pages de L'Oeil de la terre quand Olivier téléphone. Je m'arrête à Chailly pour acheter de quoi accompagner le café qu'on boira sur la terrasse qu'il a aménagée en un lieu improbable : on aperçoit trois jeunes saules qui font leurs feuilles, la Vuachère, deux geais qui bataillent, un chêne qui tarde à mi-pente et les squelettes de feuilles que je ne reconnais pas. On fait un tour d'horizon.
Il y a foule au bord du lac, le niveau est bas, on espère trouver des trésors, ce n'est pas le cas ; ou d'une autre espèce, car Daniel Dunkel a passé par là, ou plutôt est revenu ; j'apprends en effet qu'il a déjà dressé une foule de cairns, il y exactement une année. C'est encore une foule qu'il fait voir, de la même famille que la précédente. Olivier me fait remarquer que pour chacun d'eux, c'est la dernière pierre qui importe, la tête donc, son équilibre, son inclinaison ; c'est elle qui fait comprendre les pierres qui la soutiennent. Simple mais pas facile.
Foule encore à Lutry : grillades, jeux de ballons, amoureux, bière, enfants. Monsieur Hulot a passé par là mais n'a laissé aucune trace, personne ne semble tenir son rôle jusqu'au bout. Tati décidément nous manque.
On s'assied sur un banc sans bien savoir s'il convient de rester ou de nous en aller. On finit par s'en aller, jusqu'au terrain de foot où l'équipe de Lutry, 5ème au classement de deuxième ligue affronte Echichens, 1ère. La violence qui affleure ne va pas jusqu'au bout. Tant mieux. On les quitte à la mi-temps. Je pensote sur le chemin du retour, il y a dans le mot épagomène un trésor qu'il faudrait filer comme les carriers le font du filon de calcaire argileux dans les sous-sols du désert des Chartreux, je vais peut-être m'en charger. Par en-haut ou par en-bas, comme eux,
Je mets au four un gigot, avec des carottes, des tomates et des pommes-de-terre, les enfants jouent dehors. Je passe une heure à la bibliothèque, je le soupçonnais, Echichens a battu Lutry un à zéro.
Après le repas, Sandra bosse au corrigé des exercices de physique du bouquin qui est chez l'imprimeur. Arthur a rejoint un copain à Ropraz. Louise et Mylène vont se coucher dans la tente que Sandra et les enfants ont montée cette après-midi dans le jardin. Je regarde le 2ème des 18 épisodes de la 5ème des 8 séries de Heartland avec Louise. A moi la nuit.
Jean Prod’hom
Passepartout à Saillon
Il n'y a pas que les oeufs de Pâques qui roulent au printemps. Sachez en effet que 17 coureurs du TCPM de Moudon se sont retrouvés à Saillon, la semaine passée, pour préparer la nouvelle saison de trial.
Les pilotes, âgés de 9 à 17 ans, ont roulé du mardi 7 au vendredi 10 avril, 6 heures chaque jour, sur le terrain mis à leur disposition par le Moto-Club de Fully. Le soleil valaisan était au rendez-vous.
René Meyer et Jean-Daniel Savary ont entraîné tout au long de la semaine les jeunes pilotes, Martine Rogivue s'est chargée de soigner les bobos et de réconforter les petits. Cette semaine aura été la meilleure façon de peaufiner l'entraînement hivernal à 15 jours de la première compétition de l'année. Malgré les différences d'âge et de niveau, l'esprit d'équipe a été excellent, plusieurs coureurs se sont même dits prêts à prolonger le séjour.
Les coureurs et leurs entraineurs remercient le Moto-Club de Fully qui a mis à leur disposition son site naturel, ils remercient également la commune de Moudon et les sponsors pour leur aide financière.
Si les coureurs ont travaillé dur, c’est parce que le début des compétitions approchent ; le samedi 25 avril, la commune de Savièse accueillera les trialistes pour la première manche de la Trial Swiss Cup. Quant à Ropraz, les bénévoles sont à pied d'oeuvre, c'est en effet le dimanche 3 mai que le TCPM organisera, pour la 30ème fois, sa traditionnelle course. A cette occasion, la compétition sera internationale ; on peut d'ores et déjà le confirmer, vous aurez la chance de voir à l'oeuvre Gilles Coustelier, coureur français multiple champion du monde. Venez nombreux!
Retrouvez les informations sur le site www.trial-moudon.ch
Jean Prod’hom
Je ne le dirai pas épagomène
Je ne le dirai pas épagomène à strictement parlé, même si je sais que chacun de nos jours l'est, si on n'y prend garde, bien plus qu'on ne l'imagine.
On a déjeuné à la véranda, Sandra et les enfants sont descendus au marché, j'ai rattrapé le temps perdu : rédaction du billet de la veille, envoi des photographies d'arrosoirs à Dominique, demande à Christine d'un modèle de dossier de presse. Je suis allé ensuite chercher mes deux paires de lunettes à Oron, j'ai acheté un gigot d'agneau ; puis coupe de cheveux chez Gremaud. J'ai fait quelques achats à la Coop pour ce soir, demain et après-demain, j'ai lu le journal au café de Châtillens.
Il est près de 16 heures lorsque je mets le feu aux dépouilles des tailles faites avant Pâques et que les enfants ont mis en tas à côté du hangar. A 18 heures tout est en cendres. Me reste à préparer le repas, à cocher ce qui n'est plus à faire et à ordonner ce qui l'est encore: rien de bien neuf.
N'étaient des soirées, des moments et des rencontres qui ne riment à rien, on serait, c'est sûr et sans le savoir, bien malheureux.
Jean Prod’hom
Réveil à 8 heures
Réveil à 8 heures, je réunis mes affaires et pousse Édouard jusqu'à Viviers ; un café en ville, à deux pas du Grand Séminaire, avant de le déposer devant l'Office de tourisme, à l'extrémité du pont qui franchit le Rhône. J'apprends par le journal que le double de la grotte Chauvet sera inauguré aujourd'hui, une belle histoire qui se termine. J'emprunte l'autoroute jusqu'à Grenoble où je bifurque pour la Chartreuse ; aperçois les premières vaches de la saison dans un pré au-dessus de Saint-Laurent-du-Pont.
Je fais une première halte à l'entrée de la forêt domaniale de la Grande Chartreuse et du tunnel de Fouvroirie. J'y apprends que la porte de Jarjatte a été démolie en 1856, autorisant l'accès au couvent. Quant à la route qui longeait le Guiers mort elle a été abandonnée au profit d'un tunnel inauguré en 1995. Trois ponts franchissent la rivière en aval du barrage en bois qui fournissait, dès 1333, la force motrice aux martinets et aux soufflets des maîtres de forges du couvent des Chartreux. Le plus vieux des trois date de 1203.
Du patrimoine industriel dont les bâtiments ont abrité tout au long de l'histoire des scieurs et des travailleurs du fer, il ne reste que des ruines. On y fabriquait encore, il y a moins d'un siècle, des limes et des baleines de soutien-gorge, m'indiquent, en salivant, deux ouvriers qui fument des cigarettes dans un container. Ils travaillent pour une entreprise qui a loué l'une des immenses halles de ce complexe qui menace de s'écrouler.
Quelques centaines de mètres en amont, la pierre est blanche ; j'entre dans une cour traversée par une double voie ferrée, étroite, propriété de la société Vincat, sise Tour Manhattan, Paris la Défense ; ça fait drôle de lire ces mots ici. Cette société exploite, sous les anciennes terres des Chartreux, la carrière souterraine de la Perelle. Un carrier, douché, frais rasé, m'apprend que les 30 ouvriers qui travaillent sur ce site sortent du fond d'une galerie de plus d'un kilomètre du calcaire argileux (70% / 30%), dont ils attaquent le filon depuis en-haut. Ils l'emmènent dans des wagonnets dans une usine située de l'autre côté de la rivière et en tirent du ciment prompt. Le carrier, qui n'est pas un mineur – régime des retraites oblige –, a terminé sa journée, il a commencé à 6 heures.
Discute encore avec un passionné de chemin de fer industriel et son amie, il vient de Lyon, elle vient du coin. C'est sa passion, sait tout des mines et des chemins de fer, écrit dans des revues. Impossible de le retenir, inutile aussi, j'ai trop de questions, il me donne l'adresse de son site, j'irai voir. Nous ne pourrons pas entrer dans la galerie, mais le miracle à lieu, les portes d'acier s'ouvrent et deux locomotives miniatures sortent de la montagne, toute blanches, sans les 19 wagons chargés de ciment qu'elle tire parfois, mais avec un container jaune d'où sortent trois hommes souriants.
Je fais une halte devant le grand Som pour manger un morceau. Reçois quelques messages de Sandra, je remonte désormais le Guiers vif. Me réjouis de tous les retrouver, elle, les enfants, Oscar.
Col du Granier, Chambéry, Genève. La circulation me met à trois reprises de très méchante humeur; ça bouchonne à Aubonne, je passe par Lavigny et Bussigny ; ça bouchonne à Bussigny, je passe par Cheseaux ; ça bouchonne à Cheseaux, je passe par Morrens. Je retrouve en fin Sandra et les enfants, il est plus de 18 heures. Pas le courage de faire à manger, on va fêter nos retrouvailles au motel des Fleurs de Servion. Je reçois un mail de Françoise : Edouard est arrivé à Aiguebelle.
Jean Prod’hom
Croche noire pointée croche
Cher Pierre,
Croche noire pointée croche, croche noire pointée croche, ni sifflement, ni cri, ni chant, un roucoulement, dit-on, celui de la tourterelle, mat et liquide, un « l » plutôt qu’un « r », rond, dont on peine à repérer la provenance. C’est à cet oiseau de madrigal que revient aujourd’hui la tâche de rappeler à l’homme, depuis que nous avons exigé du coq qu’il se taise, ses reniements et ses lâchetés. Les tourterelles le font sans déchirer les âmes, avec douceur, sans heurter les consciences. Il faut dire qu’elles restent sur le qui vive, elles ont en effet bien compris qu’elles étaient en sursis, que certains pourraient juger qu’elles font trop de bruit et ordonner qu'on leur coupe la tête.
On quitte Colonzelle pour Nyons à un peu plus de 8 heures. Je tire de l’argent au bancomat , on boit un café ; Françoise et Edouard vont faire leurs emplettes dans la vieille ville, chacun de leur côté, je descends du mien sur la rive droite de l’Eygues ; impossible de le remonter au-delà du moulin, beaucoup trop d’eau. Les micocouliers, les érables, même les houx ont déclenché leurs opérations de séduction. Du vieux pont roman en haut de la ville, le regard remonte l’esse de l’Eygues, il en devine un second, un troisième et le sentier qui les longe, jusqu’à Curnier où l’Ennuye mêle ses eaux à son aînée. On aimerait aller voir de plus près.
Mais c’est sur l’autre rive qu’Edouard nous emmène. On laisse la voiture sur l’aire de Toulonne, on grimpe jusqu’au ravin entre Taillas et Grèzes qu’on suit jusqu’au col de Roux ; une bonne heure de marche sous le soleil, avant de pique-niquer au pied de chênes rabougris, qui se partagent le les collines avec des buis ardents, le jaune des genêts, les piques des genièvres et le blanc des épines noires. On croise deux colonies de chenilles processionnaires, il y a des restes de neige sur la montagne d’Angèle: le texte qui s'efface est illisible. On redescend par le centre équestre de la Garde, les chevaux sont en liberté. On aperçoit Condorcet et les dernières fleurs des amandiers. Le morceau de terre cuite, égaré sur le premier raidillon et glissé dans ma poche, a bien supporté la balade ; il a même, de frottement en frottement, commencé son travail d’usure et d’épure.
On boit une bière sur une terrasse à Nyons avant de rentrer à Colonzelle. Douche. Fais un saut à Grignan pour remettre une copie du discours de Philippe à Lily, Hessel prépare une salade de fruits.
On mange sur la terrasse, il fait bon, je reçois un message de Joëlle, un billet sur Jean-Claude Hesselbarth paraîtra demain dans 24heures.
Jean Prod’hom
Les premiers jours de printemps
Cher Pierre,
Les premiers jours de printemps, souvent, virent au gris à l’aube, même si, au même moment, le ciel vire au bleu. A cause de l’humidité.
Lis au réveil les premières pages de L’Oeil de la terre, que Gil Jouanard a fait paraître en 1994 chez Fata Morgana. Les pages qu’il consacre à Jean Follain et à Canisy sont radieuses ; celle dans laquelle il règle ses comptes avec René Char et certains de ses épigones ne réjouira pas tous mes amis ; il met à part, pour les consoler, les Matinaux et Fureur et mystère.
Ses réflexions sur la nature du poème me ramènent naturellement à ce brouillon qui traîne sur le bureau de mon ordinateur : trop long, si bien que je retire ce que je peux retirer facilement, à tel point que je finis par voir en transparence la carcasse ; m’interrompt avant qu’il n’y ait plus rien, j’y reviendrai après-demain. Quant aux cinq poèmes qu’on me demande de joindre à cet envoi, ils ne seront pas à strictement parlé des poèmes, mais plus modestement cinq textes d’humeur différente dont la coexistence devrait faire entendre l’un des restes de ce qui reste lorsque tout a été dit.
On braise entre 11 et 12 au soleil, Edouard cuisine dedans. Je cherche les fruits secs du laurier et de la glycine ; Françoise me parle de Riant-Mont, de Zappelli, des Jaton, des Jaquier, de la boulangerie remplacée aujourd’hui par un salon de coiffure. La boulangère de Riant-Mont 2 vendait sa marchandise du lundi au samedi soir ; c’est donc son mari qui était chargé des courses pour la maisonnée, un mari un peu poète qui aurait confié un jour à Françoise : c’est même moi qui achète les hottes à nichons de ma femme.
Je monte chez Hessel à 14 heures 30, il boutique. On s’assied, il est insatiable ; de rien il tire un fil qu’il ne lâche pas, revient en arrière pour repartir de plus belle ; mais il me parle aussi du temps qui lui est nécessaire pour disposer de quelques heures. Il me charge de sortir et d’arroser un bougainvillier et un jasmin assoiffés depuis plusieurs mois, je remplis ma tâche, sans me cacher que ce serait un miracle s’ils reprennent. J’en profite pour faire une photo des trois arrosoirs qui serrent les coudes sous l’évier et vais jeter un coup d’oeil au bassin au fond du jardin. Au retour, on parle de choses et d’autres, un peu de peinture, de Stéphane et de Martine. Lily rentre lorsque je dois les quitter. Mais ils m’invitent à les rejoindre ce soir pour manger avec Alain.
Christine m’accueille dans sa galerie avec suffisamment de délicatesse pour que je sois en mesure, assez rapidement, de surmonter les doutes qui m’assaillent. On se retrouve deux heures plus tard avec un plan de bataille pour les deux salles qu’on occuperait en septembre prochain : dans la première – où devraient avoir lieu les lectures – 5 ou 6 polyptyques, une table étroite de 3 mètres 60 où seraient déposées côte à côte les boîtes avec le texte correspondant ; sur des parallélépipèdes rectangles répartis au hasard 4 ou 5 récipients, transparents, contenant 1, 2 ou 3 tessons.
Dans la seconde, une longue table de 4 mètres dont on pourrait faire le tour et sur laquelle seraient posées 5 ou 6 casses d’imprimerie ; au mur 5 ou 6 polyptyques ; et face à l’entrée une table basse d’un peu plus de 2 mètres sur laquelle seraient jetés du sable et les tessons des hauts de casse.
Je rejoins Lily, Hessel et Alain pour une belle soirée, on mange et on rit. Hessel raconte leurs virées en vélomoteur, Lily revient sur les raisons pour lesquelles elle et sa petite équipe ont fondé l’Association Jean-Claude Hesselbarth. Je repasserai demain pour leur amener l’enregistrement du discours de Philippe Jaccottet, Liliane me remettra en échange des copies de quelques-uns des films qu’elle a réalisés.
Ah oui, j’oubliais, on a décidé avec Christine que l’événement à Terres d’écritures s’intitulerait – jusqu’à nouvel ordre : A défaut de prière, ramasse une pierre. Et qu’elle aurait lieu les samedi et dimanche 12 et 13, 19 et 20 septembre 2015. Au boulot!
Jean Prod’hom
A l’impression d’avoir couru tout le matin
Cher Pierre,
A l’impression d’avoir couru tout le matin derrière ce que je m’étais promis de faire, succède celle de voir s’éloigner ce que j’aurais pu entreprendre si j’avais mieux estimé mes forces. Je prends conscience de tout cela lorsque j’essaie de rassembler les images du jour, que je peine non seulement à retrouver mais encore à rogner et à placer dans l’ordre de leur succession.
Je suis parvenu pourtant à boucler l’essentiel à midi, au Grenier à sel, d’où j’ai pu envoyer à Joëlle les photographies que m’a fait parvenir la journaliste de Montélimar, le texte que j’ai rédigé la veille au soir pour ce site et le communiqué de presse que m’a expédié Nicolas.
Je croise Lily dans son jardin, le weekend de Pâques a bien entamé Hesselbarth qui reprend pourtant du tonus. Je passerai demain après-midi avant de rejoindre Christine à Terres d’écritures.
Redescends à Colonzelle par le manège, jette un coup d’oeil discret sous les chênes, guigne sur les rives sablonneuses du Lez, au cas où des morilles me feraient signe. Croise une piéride qui remonte le chemin, elle s'échappe, je me tourne dans tous les sens, elle a disparu. Une douzaine d’abeilles se désaltèrent dans une flaque ; bruit de sanglier dans le sous-bois, c'est un merle qui remue les feuilles mortes et qui s'envole. Salue les pervenches observées la veille, fais une halte contre la pile du pont de l’ancienne ligne reliant Pierrelatte à Nyons, à côté de deux pissenlits solaires. L’eau du Lez qui se gargarisait plus haut paresse, un lézard vert pâle se faufile entre les ronces, les chardons rouges de l’été passé ont séché.
Il suffisait de se donner la peine de le dire. Et cette journée qui manquait de tout retrouve une allure, sept coups au clocher de l’église de Colonzelle, on n’apercevra bientôt plus les boules de gui, l’écriture a un indéniable pouvoir de réhabilitation.
Je téléphone au Riau, pas de nouvelles d’Arthur qui s’entraîne en Valais. Sandra, qui est le maître d’oeuvre des prochaines transformations de la maison, ramène mes histoires à de justes proportions : elle me raconte l’architecte, le menuisier et le maçon. Quant à Lili et Louise, ravies de leur journée à Thierrens, elles me racontent la belle histoire de Peony et de Stella.
Jean Prod’hom
A propos de Tessons
Littérature romande : Avez-vous l'âme d'un collectionneur?
JP : Amateur de collecte certainement, mais étranger depuis toujours à l'idée de collection. Un rien les distingue, invisible, mais tout les sépare : la seconde suppose une clôture, la première un peu de cet égarement qui oblige celui qui s'y livre à guigner du côté de l'imprévu.
Ainsi, ces morceaux de terre cuite, que je ramasse depuis plus de 25 ans, m’ont permis de connaître des lieux dont je n’aurais jamais entendu parler, ils sont aussi à l’origine d’aventures que je n’aurais jamais osé imaginer ; ce livre, Tessons, est l’une des dernières en date.
Mais j’ai eu comme chaque enfant, bien sûr, quelques velléités à rassembler dans un album de timbres la totalité du monde, toutes les espèces de coquillages au fond d’une armoire. Sans grande conviction.
Cette collecte ne m’aura jamais empêché de l'interrompre, de regarder autour de moi, de faire des rencontres, bien au contraire ; j’ai ramassé d’autres reliefs que les hommes abandonnent et que la mer, le sable et le vent ont usés, abrasés, embellis: pierres, plastiques, bois, fers. Mais, je l'avoue, avec mon d’assiduité que les tessons. Ces restes constituent ce que j’appellerai, pour reprendre le titre d'un petit livre de Pierre Bergounioux, un Abrégé du monde. Quant à Pascal Rebetez, le courageux éditeur de Tessons, il m'a invité à en dire un peu plus, je lui en sais gré.
Est-ce l'empreinte humaine qui vous a poussé dans ce choix ?
Disons d’abord que je n'ai pas choisi. Dans ce genre d’aventure, obscures, ce n’est qu’à la fin que quelque chose s'éclaire à la lumière de ce qu'on a fait, trouvé, pensé ; il n’y avait donc aucune raison que je me mette à ramasser ces « merdouilles », comme le disent si poétiquement David Cuendet et Laurent Flutsch. Ce n'est qu'un concours de petites circonstances, j'en ai levé de sérieuses par après que j’évoque dans ce livre.
Mais disons tout de même que la nature double du tesson n'aura pas été pour rien dans mon obstination, à moins que celle-ci ne m'ait permis de penser celle-là.
On le sait, les oeuvres de la nature se mêlent, parfois, à celles de l’homme pour faire naître des merveilles, les artistes en sont les ouvriers. Artiste je ne le suis pas, j’ai simplement laissé faire ; c’est ce qui m’a occupé. Et j'ai essayé d'être présent au moment voulu, lorsqu’il n’y avait plus qu’à les cueillir dans les laisses de mer ou sur les berges des lacs et des ruisseaux, abandonnés, loin de tout.
Que personne – ou presque – ne s’y soit intéressé m’aura permis de vivre plus de 25 ans sans rivaux, ce n'est pas rien, 25 ans à l'abri des batailles.
J’ai été, pour dire la vérité, plusieurs fois tenté d’en faire quelque chose ; j’en ai fabriqué des faux, j’en ai peint, j’ai cherché à accélérer leur rédemption en les plongeant dans des bains d’eau salée ou dans les cascades des rivières du Jorat. Sans succès. Ces pierres, j’ai dû l’accepter, se sont faites sans moi, ce livre en témoigne, sans manquer de m'aider à vivre et à penser. On ne se moque pas, c'est vrai.
Et lorsque Pascal Rebetez m’a proposé de raconter tout cela, il m’a suffi de choisir quelques-unes de ces pierres, recueillies sur la bande indécise qui unit – et sépare – la terre et la mer et de donner une forme aux songeries qui m’ont accompagné pendant tout ce temps. Ce n’est tout compte fait pas grand chose : une petite cinquantaine de pierres, une petite cinquantaine de proses qu’il m’a fallu rogner pour les apparier à ce qui les avait motivées, les polir avec le risque bien réel qu’il ne reste plus grand chose à la fin, presque rien, à l'image de ces objets oubliés du monde qui recèlent une dignité et une beauté mystérieuse.
Les tessons sont de parfaits représentants du temps qui passe : on les trouve lavés par les flots, les rivières. Y a-t-il nostalgie dans leur découverte ?
Il y a d'abord une joie, celle de rencontrer quelque chose qui me semble, chaque fois, m’avoir donné rendez-vous ; il y aussi le plaisir de les tenir dans la main, de suivre du doigt leur courbe, de me pencher sur leur motif, de reconnaître la lente usure de ces formes éclatées qui trouvent, à un certain moment, leur éclat. J'ai décidé de les retirer des laisses où ils ont été jetés et où ils ont fleuri avant que la mer et le sable qui les ont faits les fassent disparaître.
Alors? nostalgie aucune. Ou alors la nostalgie de cette époque rêvée où l’homme avait le temps, ou le prenait, de considérer les miracles par lesquels nous somme faits et défaits. Ces pierres sont nées dans le fracas, bols jetés, assiettes brisées, rejetées, abandonnées ; elles ont vécu oubliées en marge des règnes ; et c’est là qu’offrant leur flanc à la mer, au sable et au vent, sans rien dire, certaines d'entre elles ont su devenir une comme nulle autre pareille avant de retourner au sable. La vie de l'homme n'est pas différente de celle de ces pierres.
Vous dites ne pas collectionner, mais vous ne conservez pas moins précieusement ces tessons. Vous les exposez même dans les musées à l'occasion. Alors, avez-vous un côté Petit Poucet ?
Je répondrai en deux fois. D’abord le petit Poucet, une histoire qui me ravit. Petit Poucet, nous l'avons tous été et nous le demeurons ; à mesure que l'on s’éloigne de là où l'on vient, il devient en effet toujours plus difficile d'y retourner et il convient, comme Poucet nous l'a appris, de prendre quelques précautions.
Mais comme toutes les histoires qui imposent leur évidence – revenir sur ses pas en ramassant les cailloux qu’on a semés –, elles passent sous silence la moitié de ce qu’il faut entendre. Poucet va grandir et sera invité à aller de l’avant, il faut bien un jour quitter le giron, et il ne sert plus à rien de laisser derrière soi des cailloux, nous devons les jeter devant nous pour établir ce gué sans lequel on resterait sur la même rive sans rien comprendre de ce qui reste à comprendre.
Si donc ces tessons me permettent de revenir sur mes pas, ils sont aussi ces pierres jetées dans la rivière pour rejoindre des paysages inconnus, là où il n’y a personne pour me rassurer et dans lesquels il a bien fallu que je me risque si je voulais m'approcher un peu de ce qu'on ne m'a pas dit. En ce sens, ce livre aura été important, il m’aura permis de rassembler ce qui ne reviendra pas, mais aussi de découvrir, écrivant, devant moi, ce que je ne soupçonnais pas.
Quant à leur exposition, n’exagérons rien ; si ces tessons ont effectivement trouvé une place dans le musée romain de Lausanne-Vidy, apprenez qu'ils n'en occupent pas le naos, mais le vestibule.
Fierté tout de même, naturellement, fierté que ces petits paradis portatifs soient arrivés jusque-là et que j’aie pu contribuer à leur reconnaissance. Mais amusement surtout, amusement qu’ils se retrouvent à deux pas des vieux briscards de cette illustre maison, fibules, tuiles et verres soufflés, identifiés, étiquetés, classés sous clé ; mais à deux pas aussi du lac, prêts à prendre la poudre d’escampette, là, tout près, dans le sable et sous le vent, sur les rives du Léman.
Ce ne sont pas non plus des pièces reconnues par les amoureux de l'art, quand bien même ces tessons vont être exposés dans une galerie d’art, à Grignan : Terres d'écritures.
C’est la faculté de ces pierres de faire bonne figure sur les seuils, entre mer et terre, entre deux eaux, à égale distance des science et des arts, qui me ravit. Je n'aurais pas pu espérer mieux. Mais je m’égare, il ne faudrait pas qu’on se méprenne, ni eux ni moi ne nous prenons vraiment au sérieux : ridentes in vestibulo.
Vous avez été assistant en philosophie : y a -t-il un lien unissant la marche, l'écriture, la philosophie et votre passion très spécifique ?
Faudrait d'abord s'entendre sur le mot de passion. Mais certainement. La lecture de Nietzsche a été par exemple importante, les questions de l’affirmation, de l'acceptation, de la métaphore et de la métamorphose, et naturellement celle plus générale du fragment ; elles m’ont fait entrevoir un autre continent que, lorsque j'ai quitté la Faculté, je me suis mis à vivre de l’intérieur, avec le langage et le monde dans lesquels nous sommes immergés, pour mieux comprendre et pouvoir en sortir. Et je vois mal d’autre chemin que l'écriture.
Par ailleurs, je ne suis pas sorti indemne de la lecture de René Girard, mais je n’en dirai pas plus, c’est si loin. J’ai dit mes dettes : Quignard, Perec, Dhôtel ; il faudrait en citer d'autres.. Nos vies ne sont pas compartimentées comme semblent le ressasser nos vieilles encyclopédies. Disons que je ne vois pas comment on peu y voir clair, c’est-à-dire penser, sans marcher, observer, rêver, écrire. Sans sortir et rentrer, s'asseoir à une table et donner une forme à ce qu'on traverse et qui nous traverse. Tout ça ne fait qu'un.
Les photographies des tessons qui ornent votre livre sont très réussies : comment avez-vous procédé au choix ?
J’ai cru pouvoir choisir, au même titre que j’ai cru pouvoir classer ces objets. Impossible, c'est donc dire que beaucoup d’autres auraient pu figurer dans ce livre. Disons que ceux qui y figurent logent dans un meuble d’imprimerie, et que la première casse est la plus prisée. Après 25 ans, certains tessons ont su s'y installer, pour des raisons souvent secondes. Une centaine de tessons peut-être. C'est parmi eux, surtout, que j'ai plongé la main. De fil en aiguille il en est resté une cinquantaine, dont le choix a obéi, dans certaines circonstances, à des raisons si fragiles que je n’ose en parler.
La présence de certains me paraissait incontournable, j'ai aidé d'autres, plus timides, à s'imposer. C'est le rôle des textes qui les accompagnent de faire entendre quelques-unes des raisons de leur présence et les événements qui ont présidé à leur découverte.
Mais j’ai choisi surtout deux extraordinaires photographes, Geoffrey Cottenceau et Romain Rousset, et Chatty Ecoffey, une graphiste de talent.
Vous écrivez quotidiennement sur votre blog (www.lesmarges.net). Quelles différences voyez-vous entre l’éphémère du support informatique et celui figé du papier pour un texte publié ?
Et bien je ne vois pas bien, c’est pour cela que j’écris, pour y voir un peu plus clair. Mais cette activité quotidienne me conduit à penser que, si j'écris, c'est d'abord pour donner forme à une ou deux choses qui se présentent chaque jour, les ficeler en leur donnant un nom et une allure, pour mieux m'en débarrasser. Et être assez libre le lendemain pour recommencer. Le blog s'y prête bien, c'est ce qu'on peut appeler, après François Bon, l'effet fosse à bitume. Mais le blog a aussi ses inconvénients.
Il s’est trouvé un éditeur assez courageux pour nous lancer dans l'aventure papier, je ne le regrette pas, mais cette aventure va certainement m'obliger à donner une réponse plus solide à la question que vous me posez. D’autant plus qu’un second éditeur m’a proposé de réunir sur du papier un certain nombre des textes publiés depuis 2008 sur lesmarges.net.
Mais disons-le tout net, sans l’avènement du numérique, je n’aurais jamais écrit ; je l'ai fait, en temps presque réel, pendant près de 7 ans, sans jamais rien demander à quiconque, avant que ceux du papier s’avisent que j’écrivais une ou deux choses qui pourraient les intéresser.
Je ne sais donc pas ce qui va se passer, j’ai quelques projets, nés sur le net, que je voudrais reprendre, mais cela demande du temps, et je ne sais si je suis assez vaillant pour mener de front ces deux modes d'écriture. En attendant, j’ai créé sur mon site une rubrique atelier qui me devrait me permettre, pendant quelque temps, de ménager la chèvre et le chou.
J’ajouterai que l’écriture quotidienne sur lesmarges.net n’est pas sans rappeler ma cueillette de tessons : je ramasse avant la nuit ce quelque chose que seule l’écriture est apte à sauver de l’oubli en lui donnant une forme et un peu de cette lumière susceptible d'éclairer les jours suivants, là où on n'est jamais allé, comme sur un gué, de proche en proche. Et je ne suis pas sûr que je puisse m'en passer.
Vous avez un nouveau projet de publication aux éditions Antipodes. Pourriez-vous nous en dire plus à ce propos ?
Il s’agit d’un recueil de billets écrits entre 2008 et 2014, il devrait faire voir un certain nombre de balises le long d’un chemin qui continue. Dans des paysages variés. Le livre est dans la boîte. Il dit en substance que nous ne sommes pas fait d'une seule pièce, mais d'un ensemble de perceptions aussi nombreuses que les feuillets ce ce livre dont parle Borges, aux nombres de pages infini et où aucune page n'est la première, aucune n'est la dernière.
Et lorsque je mourrai, ce n’est pas, j'ose l'espérer et j'y travaille, un vase qui se brisera, mais les morceaux d’un vase incomplet brisé depuis longtemps, dont un soi toujours plus ténu et fugace aura assuré le poli et qui rejoindront ceux qui l’ont nourri.
Bise ou mistral c’est du pareil au même
Cher Pierre,
Bise ou mistral c’est du pareil au même, on se réjouit lorsqu’ils prennent congé et que tout redevient comme avant, et ceux qui le peuvent prolongent leur repos. Vérifie ce matin la présence des hirondelles.
Les mêmes clients sont attablés au café de la Bourgade à Grillon, on y parle de morilles de 300 grammes. La place pavée de neuf est désormais fermée au trafic, protégée par des piquets télescopiques ; ont été ajoutés de jeunes platanes et de nouveaux bancs. Recopie le dernier des cinq poèmes que je m’étais engagé à mettre en ligne.
Il y a nos absences. D’une heure ou de plusieurs mois, d’un instant.
Qu’allons-nous chercher? de l’utile? de l’accessible?
Réponse qu’il faut briser comme un bâton.
Savoir aussi qu’il y a quelque chose autour de nous qui ne sert à rien. Mais qui peut être aussi précieux que le reste.
(Thierry Metz, Lettres à la bien-aimée, 1994)
Pars de Colonzelle à 10 heures 30 pour arriver à 11 heures. Prends un peu de retard à cause du soleil et des pervenches. Belle exposition de Denise Lach que Christine Macé présente à un public nombreux et averti. Lucie doit nous quitter. Je repère une journaliste présente avant-hier au vernissage d’Hesselbarth, Elle m’enverra des photos. Denise Lach propose une visite guidée à ceux qui le souhaitent.
On redescend à pied en fin d’après-midi, je remonte en voiture avec Edouard qui récupère la sienne. Suffit pour aujourd’hui. Téléphone à Sandra, à Louise et à Lili, Arthur est à Ropraz. La semaine de cheval à Thierrens commence demain, les filles se réjouissent.
Jean Prod’hom
Ce ne sont pas les tâches
Cher Pierre,
Ce ne sont pas les tâches qui nous obligent à rester dedans alors qu’on voudrait être dehors, mais le mistral ; une matinée donc placée sous le sceau du tout et du rien autour d’une même table ; on déjeune puis on dîne en babillant de voyages ; de ceux qu’on faisait il y a une trentaine d’années, lorsque murs et idéologies opposées indiquaient qu’il existait de l’autre ailleurs ; des voyages qu’on entreprend aujourd’hui pour fuir un monde sans altérité, s’éloigner du même dans l’espoir de retrouver des particularismes locaux, sans savoir où, et comment revenir, les mains vides. Il y a eu 1991 dont on n’a pas fini de voir les effets.
Edouard monte faire la sieste, Lucie va lire, Françoise met à jour un album de photographies. Je vais me glisser dans un transat sous le tilleul qui lance ses rejets, raie le ciel que traversent des lambeaux de nuages poussés par le mistral, il déboule de partout, comme une avalanche. Et lorsque les poussées du vent s’interrompent, montent du lit du Lez le roulement discret de ses eaux et des saules qui le bordent le chant des oiseaux.
La dernière douane
Depuis que le silence
n’est plus le père de la musique
depuis que la parole a fini d’avouer
qu’elle ne nous conduit qu’au silence
les gouttières pleurent
il fait noir et il pleut
Dans l’oubli des noms et des souvenirs
il reste quelque chose à dire
entre cette pluie et Celle qu’on attend
entre le sarcasme et le testament
entre les trois coups de l’horloge
et les deux battements du sang
Mais par où commencer
depuis que le midi du pré
refuse de dire pourquoi
nous ne comprenons la simplicité
que quand le coeur se brise
(Nicolas Bouvier, Le dehors et le dedans, 1988)
Les branches nues des feuillus ont pris des couleurs, leur balancement donne le vertige. Je repense à la soirée d’hier, à la satisfaction de Lily, à celle d’Hesselbarth et à son air canaille, à la générosité d’Isabelle, à l’intelligence bourrue de Raboud, au visage transparent, aux yeux liquides de Jaccottet. C’est le moindre mal que l’on peut espérer d’un weekend pascal sans cloche ni commémoration, qui promet cette année encore, non pas tellement la venue de l’homme neuf mais, plus modeste, celle prochaine du printemps. Deux hirondelles ont tracé cet après-midi d’illisibles signes dans le ciel. Stéphane m’apprend qu’elles en a vu aujourd’hui au-dessus du lac.
Jean Prod’hom
Peindre le pays où fleurit l’oranger
Cher Pierre,
Du jaune, des rouges, de l’orange, avec du bleu et les premières hirondelles, le printemps s’était bel et bien installé à Grignan. Et il y avait foule vendredi dernier, pas seulement parce que le soleil avait fait son retour et que les terrasses étaient ouvertes, mais aussi parce que l’Association Jean-Claude Hesselbarth et la ville de Grignan s’étaient donné la main pour fêter le 90ème anniversaire de ce peintre majeur, en présentant dans le bel Espace d’Art François-Auguste Ducroz quelques-uns de ses dessins à l’encre de Chine et un bel ensemble de ses peintures solaires.
Photo | Danielle Marze
Il y avait, pour entourer l’artiste né à Lausanne en 1925 et installé aujourd’hui dans la Drôme provençale, sa femme, sa famille, ses proches, ses amis – et parmi eux Philippe Jaccottet l’ami de toujours. Il y avait aussi le maire de la ville, Monsieur Bruno Durieux, ancien ministre.
Il faut préciser que le vernissage de cette exposition à Grignan ne constitue que le début des festivités, puisque la fête se poursuivra à Lausanne le jeudi 23 avril à 11 heures, au Théâtre de Vidy. C’est en effet à cette occasion que sera présentée au public romand une importante monographie rétrospective : Jean Claude Hesselbarth. Peindre le pays où fleurit l’oranger. Dans cet ouvrage, les auteurs Lauren Laz et Nicolas Raboud analysent les différents aspects d’une oeuvre importante, sur laquelle Pascal Ruedin, Philippe Jaccottet, Jacques Chessex et Francine Simonin donnent leur éclairage.
Photo | Danielle Marze
Et parce que l’oeuvre de cet homme et l’homme lui-même en valent la peine, l’ouvrage repartira le 15 mai pour Grignan, il y sera présenté une seconde fois, non plus à ceux qui l’ont vu naître, mais à ceux qui l’ont accueilli à Grignan, il y a longtemps déjà.
Jean Prod’hom
Des longues traversées d’autrefois
Cher Pierre,
Des longues traversées d’autrefois, avec presque rien sur le dos, me reviennent à l’esprit les images heureuses et transparentes de la première heure, sitôt tiré hors du sac de couchage, quel que soit le ciel, ou des draps du lit d’auberge que je m’étais, la veille, autorisé.
Et ce que je comprends ce matin, en quittant Crest, c'est que l’inquiétude qui m’étreignait alors, au moment des préparatifs – Avais-je tout pris? Trop pris? N’avais-je rien oublié? –, je l’avais remisée dès le premier soir au fond de mon sac à dos rebondi, contre lequel je retrouvais à l’aube ma tête vide et reposée. Et qu'il suffisait pour entamer cette nouvelle traversée du jour de me lever, dirigé par une seule idée, celle de suivre la course du soleil, en mettant un pied devant l’autre et en acceptant la compagnie du silence de ceux que je laissais derrière moi et dont je voulais me montrer digne. Avec, rétrospectivement, le sentiment que ces premiers pas du premier matin me rapprochaient de l’existence des bêtes croisées soudain, sans les abois qui écourtent leur vie.
Ce sont, je crois, cette liberté et cette légèreté, quand tout est joué et qu’on ne peut plus revenir en arrière, quelles que soient les circonstances, qui pourraient me convaincre de reprendre ces voyages, avec un sac qui ne contiendrait que ce dont j’aurais besoin, c’est-à-dire rien ou presque rien, de le jeter sur le dos et de marcher au rythme de la conscience qui s’éveille. A peine des pensées mais des pensées tout de même, avec personne au contour, parce que de contour il n’y aurait pas, soutenu seulement par les bras ouverts du jour dans lequel mon corps se confondrait comme il le fait dans la nuit, sans savoir de qui il s’éloigne, de quoi il s’approche, et qui s’efface.
Une ombre peut-être, rien qu'une ombre inventée
Et nommée pour les besoins de la cause
Tout lien rompu avec sa propre figure.
Si faire entendre une voix venue d'ailleurs
Inaccessible au temps et à l'usure
Se révèle non moins illusoire qu'un rêve
Il y a pourtant en elle quelque chose qui dure
Même après que s'en est perdu le sens
Son timbre vibre encore au loin comme un orage
Dont on ne sait s'il se rapproche ou s'en va.
(Louis-René des Forêts, Poèmes de Samuel Wood, 1988)
Je fais un tour dans le lit de la Drôme, monte à Bourdeaux. Fais une halte dans le cimetière situé en contrebas du camping des bois du Châtelas, sur la route de Dieulefit ; ils sont dans la pente, pour la plupart des Turc : Henri et Emma (née Dufour), Henriette Bovero (née Turc), Max, Louise, Emilie (née Gresse), Hippolyte, Alexandrine (née Faure) dont je retrouverai plus tard les frères et soeurs dans le cimetière qui jouxte la belle église romane de Comps. Il y a encore un étrange couple ensemble sous la même pierre, dans l’angle du cimetière, Hippolyte Turc mort en 1930 à l’âge de 59 ans et Simone, morte à 17 mois. Paul Lelièvre, le pasteur Henri Jersey et Marie René, institutrice au milieu du siècle, complètent le tableau.
C’est à 13 heures que j’arrive à Colonzelle, Françoise rempote, la glycine est sur le point de fleurir. On mange des crozets, avec du poulet qu’Edouard a préparé.
Nous partons à pied au milieu de l’après-midi, Françoise, Lucie et moi, on longe le Lez. C’est le vernissage d’Hessel à l’Espace d’Art François-Auguste Ducros de Grignan, il y a du monde, un accrochage et une lumière sans comparaison avec celui et celle de Martigny. Hessel et Liliane sont souriants, le maire prolixe, Nicolas évasif. Je retrouve Paula, une collègue d’il y a 20 ans qui vient pour l’occasion de Bagnols, on parle de ce qui nous est arrivé depuis, Jaccottet me demande si j’ai reçu le mot qu’il m’a envoyé.
On se retrouve chez Isabelle qui nous accueille dans son mas de Cordy, à la sortie de Grignan, après la zone industrielle ; on mange libanais. Je reconnais un graphiste de Lausanne, Gilles, retrouve Paula. Hessel rentre se coucher au milieu de la soirée, je rejoins Philippe, Nicolas et sa femme près du feu. Philippe, malgré une chute dans les escaliers il y a une semaine, tient une forme d’enfer, on rit, aucune tache, de la légèreté. Nicolas me fait gentiment le reproche de ne pas avoir mentionné le nom de mon illustre voisin à la fin de Tessons ; il a raison, je me repens. Je rentre à près de 23 heures.
Jean Prod’hom
En définitive ce qui m'attache à la poésie
Cher Pierre,
Signes pour voyageurs
Voyageurs des grands espaces
lorsque vous verrez une fille
tordant dans ses mains de splendeur
une chevelure immense et noire
et que par surcroît
vous verrez
près d'une boulangerie sombre
un cheval couché dans la mort
à ces signes vous reconnaîtrez
que vous êtres parmi les hommes.
(Jean Follain, Usage du temps, 1943)
En définitive, ce qui m'attache à la poésie, ce sont des poèmes que tout oppose. Les premiers renvoient à la possibilité de donner à voir et â entendre, hors de nous, la coexistence mystérieuse des choses ; les seconds, â celle de faire exister une phrase si simple et si légère qu'elle chemine, en nous, sans toucher à rien, en donnant un écrin intérieur â ce qui nous manque.
Les Signes pour voyageurs de Jean Follain sont de la première espèce. Le Si peu de Jean Grosjean est de la seconde.
Le Silence
Il y a la luminosité fugace des choses, cailloux, bains de paille, pans de murs, pans de ciel entre les branches. Les passages de l'air, les frissons du feuillage, l'herbe qui bouge, les flaques qui se rident, tout se montre et se dérobe...
...
Le grand silence que j'ai toujours entendu derrière les charivaris, je m'écartais d'eux pour mieux l'entendre. Lui seul veut dire quelque chose. Tout ce qu'on voit, tout ce qui bruit, tout se tait, mais derrière le mutisme, il y a ce silence de quelqu'un qui est sur le point de parler.
(Jean Grosjean, Si peu, 2001)
On se dit au revoir, Sandra et les filles partent à pied pour Froideville. Je boucle mon sac, charge la voiture, oublie le câble d'alimentation du portable, me trompe à Bardonnex, sors de l'A40 à Bellegarde, repique sur l'A41 à Annecy, en sors aux Abrets, m'égare près de Voiron, décide de faire confiance à l'Isère et de lui donner la main, jusqu'à Romans. Les noyers n'ont pas vieilli, l'herbe reverdit : Moirans, Albenc, il faudrait s'arrêter quelques jours, la vitesse enlaidit.
Je quitte l'Isère pour bifurquer vers le sud. Le soleil plonge derrière les nuages qui couvrent les montagnes de l'Ardèche, il allume les contreforts de celles de la Drôme, les peupliers, les saules, les premiers cerisiers, les fleurs jaune pâle, timides encore, des colzas.
Fais halte à Crest pour la nuit.
Jean Prod’hom
Follain / Grosjean / Des Forêts / Bouvier / Metz
Cher Pierre,
Follain, Grosjean, Bouvier, Des Forêts, Metz, cinq poètes invités par Mathilde Roux à entrer dans la danse. Cinq poèmes pourquoi pas, mais je ne voudrais pas oublier les autres, les poèmes qu'on entend parfois lorsqu'on tend l'oreille, ceux qu'on n'entend pas ou à peine, ceux que quelques-uns d'entre nous seront bien obligés d'écrire.
André Dhôtel souligne la nudité de l'écriture de Jean Follain, cet homme a en effet su mettre la rhétorique en quarantaine, se satisfaire d'un mode sommaire : la parataxe, pour témoigner de l'étrangeté de ce qui est.
Signes pour voyageurs
Voyageurs des grands espaces
lorsque vous verrez une fille
tordant dans ses mains de splendeur
une chevelure immense et noire
et que par surcroît
vous verrez
près d'une boulangerie sombre
un cheval couché dans la mort
à ces signes vous reconnaîtrez
que vous êtres parmi les hommes.
Jean Follain, Usage du temps, 1943
Avant ça, terminer le job : faire du feu et le petit tour avec Oscar, descendre au Mont avec l'idée toujours plus claire et distincte que ce sont les élèves qui doivent travailler, penser, trouver des correspondances ; mon travail à moi étant de les y conduire.
Mange avec C au Central, on parle de Naples, des vacances, de la manière dont on remplit notre ministère. Deux périodes encore à tout faire pour que la majorité des élèves se penchent ou lèvent la tête sur quelque chose, quelle qu'elle soit.
Quitte le Mont, ramasse Arthur à l'arrêt de bus, repars presque immédiatement pour Thierrens par Villars-Mendraz où je croise Ernest du Moulin de Peney. Il me parle de J qui est rentré malade de Madagascar, me donne des nouvelles d'Hermenches et de Mont-Frioud, de ses deux fils et de sa fille. Cet homme, vieux déjà, a une mémoire vive étonnante, me rappelle des événements dont je ne me serais, sans lui, jamais souvenu.
Je reprends la route jusqu'à Thierrens sous le crachin. Les filles sont radieuses, Louise a monté Stella, Lili Paditcho. Heureuses aussi de me confier leurs bons résultats scolaires. On s'arrête à l'auberge communale de Corcelles pour fêter le début des vacances, j'achète un morceau de gruyère à la laiterie, que je compte offrir la semaine prochaine à Jean-Claude.
La journée n'est pas finie, il me faut encore prendre de l'essence et récupérer Arthur à Ropraz, Il est un peu plus de 8 heures lorsqu'on mange, un peu moins de 10 lorsque les filles sont au lit, exactement minuit lorsqu'il est minuit.
Jean Prod’hom
Gil Jouanard
Cher Pierre,
Gil Jouanard écrit :
Invariablement, nous voici ramenés sur les traces d'un sentier à orties et à ruines, à racines et à tessons, au fond d'un village où se trouve condensée la mémoire entière de l'espèce. Un seul vieux paysan, un ouvrier fourbu, un seul vagabond ou l'un de ces passants anonymes et graves suffit à donner le signal : l'ineffaçable sentier se remet en chemin. Rien de vraiment important ne nous a jamais reconduits ailleurs que sur cette sinueuse montée à travers les champs et les bois, bordée de murs anciens et de friches analphabètes. C'est ici, définitivement, la patrie de terre et de roc, poussant ses soixante-dix ou quatre-vingts centimètres de largeur jusqu'à des pâturages et des cultures désaffectées. Et le soleil, c'est surtout à travers les feuillages du bord de ce chemin que nous le connaissons, et c'est sur le bord du chemin que le bruit de l'eau nous est le plus familier. Tout ceci s'explique peut-être par ce seul mot : enfance.
L'enfance est notre viatique, ceux qui craignent qu'un malheur ne le rabote se trompent. Le vaisseau de l'église craque, ils sont tous là, dedans et dehors, familles, amis, copains, collègues, tous venus de leur plein gré pour entendre parler de la mort. A l'avant de l'embarcation, le père et ses quatre enfants reprennent un peu de force, les vents sont tombés, il pleut. Il leur faut repartir de rien, du pot-au-noir, sans portulan, redistribuer les cartes ; mais on le sait, on le devine, le vent n'est pas loin.
C'est une histoire de courage, le courage d'une femme qui est demeurée debout jusqu'au bout parmi les vivants, sans rien cacher ni rien laisser paraître, souriant à ceux qui s'étaient mis à douter ; ne doutant pas, au fond, d'avoir obtenu ce qui lui était promis.
Courage qui essaime dans le coeur de son mari ; il dit, stupéfait, debout, incrédule, quelques mots à ceux que le moindre mot effraie ; courage qui se fixe dans le coeur des enfants qui cherchent à se souvenir ; des proches, des amis. Courage enfin, parce qu'il faut bien se donner les moyens de consentir à l'impensable.
On se dit qu'à cinq ils seront plus forts, ils comprendront : ce que laissent les morts ne meurt pas mais nourrit les vivants. A côté de moi, avec son violon, celle qui avait fait entendre il y a quelques années, la Méditation de Thaïs, elle joue cet après-midi, sur la galerie de l'église du Mont, la sarabande de la Partita II de Jean-Sébastien Bach.
Je rencontre à 16 heures 30 un père et son fils, le fils ressemble à l'élève. Alors nous les adultes, on cherche à faire voir à l'enfant une voie discrète, une alternative élégante à celle qui fait feu de tout bois. Pas sûr que nous y soyons parvenus.
Je repasse au Centre paroissial saluer O et ses enfants, avant de rejoindre la vingtaine de personnes qui assistent à la conférence de Laurent Flutsch au musée romain de Lausanne-Vidy : on rit des fictions des archéologues. Je perds mon téléphone dans la salle de conférence, le retrouve sous le siège de la voiture : il y a décidément des miracles. Lorsque je termine cette note, il est minuit.
Jean Prod’hom