Vésuve
Les nuits courtes ne me valent rien, à tel point que je me réveille sans m'être endormi, ou si peu. Des Allemands, attristés par l'échec de l'équipe de football pour laquelle ils ont chanté l'hymne national, debout la main sur le cœur, jouent les Roméo une partie de la nuit en racontant aux Juliette du Mont-sur-Lausanne leurs salades. Avec un succès mitigé puisque je ramène par la main l'un de ces héros qui allait un peu trop loin à une enseignante qui ne veut rien savoir. Suis à deux doigts de me fâcher. Il est 2 heures du matin.
On part à 7 heures pour Herculanum, une bonne heure de route à travers une ville tentaculaire, déserte, ni ville ni banlieue, un champ de ruines abandonnées ou un chantier oublié. A la hauteur de Pompéi, la titulaire de la classe 11 reçoit un coup de fil du secrétariat de l'école, le père d'un élève est accidentellement décédé la veille. Les collègues font le nécessaire dans l'un des bureaux du musée virtuel d'Herculanum, le soleil fait le reste. On rampe un instant du côté de l'ombre, l'incompréhensible se mêle aux larmes avant que chacun ne découvre dans l'os de son crâne une veine de vie et de courage. On se lève.
Si la ville excavée d'Herculanum est bien ce qu'on en dit et ce qu'on imaginait, elle est aussi ce qu'on ne dit pas et ce qu'on n'imaginait pas, c'est en cela qu'elle nous rapproche du réel. On apprend alors que l'ancien est à l'image de l'avenir qu'on enterre, fenêtres borgnes, rafistolages, étais de fortune et récits tronqués. Les 35 degrés qui nous tombent sur la tête ne sont pas pour rien dans cette affaire et la souffrance induite nous autorise à ne pas donner de raison à ce désordre qui vient de toutes parts et nous fait vaciller dedans.
On monte en procession au sommet du Vésuve en début d'après-midi. L'ancienne caldeira ne paie pas de mine, un peu de jaune, du gris, du vert, du gris qui paraît bleu, des lichens, la longue coulée de lave de 1944, et sur les flancs qui plongent sur Herculanum des genêts, des chênes verts, des aulnes, des châtaigniers, des acacias et d'autres feuillus nains. Silence au fond du cratère, accès interdit et fertilité nulle. Rien d'attachant. Il suffirait pourtant que le bouchon se détache, chacun sait la menace. Un peu de couleur en haut, quelques fleurs parmi lesquelles le rose de la valériane rouge domine.
J'aperçois du haut du volcan le dédale des ruines qui s'étendent de Naples à Sorrente. Au milieu une tache grise, c'est Pompéi. On y reconnaît le plan géométriques, petite île bien ordonnée qui se dresse dans la débâcle provoquée par les débordements architecturaux qui se multiplient sur les rives du Sarno, le fleuve le plus pollué d'Italie chargé jour et nuit des rejets des tanneries et des innombrables usines de conserve de tomates installées sur ses rives, immeubles jamais terminés conçus par des architectes et des promoteurs peu scrupuleux, ces ruines roulent dans une vallée à pente quasi nulle jusqu'à la mer Tyrrhénienne.
La mer s'est collée au ciel, les îles de Capri et d'Ischia, averties, demeurent à distance du désastre. Je ramasse 6 morceaux de lave pour les enfants.
On rentre avec les pendulaires jusqu'à Piana, on se trempe dans l'eau tiède de la piscine et on mange. Je descends ensuite une petite heure au port plongé dans l'obscurité à cause d'une panne d'électricité, m'assieds sans le sable gris. Cherche au retour des tessons à la lampe de poche. En trouve deux qui me font penser à ceux que j'ai rapportés il y a plus de dix ans de Palerme, choisis parmi les innombrables morceaux de terre cuite qui jonchent les bords de mer palermitains depuis les bombardements de 1943. Remonte au village de vacances, salue mes collègues et m'installe quelques minutes devant le bungalow pour respirer avant d'aller me coucher.
Jean Prod’hom
Naples
Pas sûr que le soleil qui baigne Sorrente, la côte amalfitaine et le littoral jusqu'à Naples soit le même soleil que celui qui baigne le Riau. On y vit autrement, l'austérité est d'une autre nature que celle qui règne sur les côtes de la Baltique.
On va ce matin, en versant notre écot, contribuer à l'exploitation culturelle de masse. On est scandalisé, aujourd'hui encore, par le trafic des indulgences organisé avec la bénédiction de Léon X pour la construction de la nouvelle basilique Saint-Pierre, on a su pourtant développer ce commerce pour écourter – ou prolonger c'est selon – nos heures de purgatoire : Castel Sant'Elmo, Certosa di Saint-Martino, Museo archeologico nazionale. Seigneur ! aidez-nous a sortir du four.
Chemin faisant des merveilles : le grand cloître de la Certosa di Saint-Martino, si peu italienne, lumineuse et tragique, abandonnée par les Chartreux, la mort y a trouvé refuge. A l'ouest de l'ancien monastère, sous nos pieds, les toits de Parthénope, dalles et tôles, gouache et pastel, pointe sèche, eau forte, une tapisserie aux coutures étroites, ruelles et escaliers du quartier espagnol, incisions des decumani dans le lit desquels coule sans dicontinuer la gentillesse des Napolitains.
Court passage au Museo archeologico nazionale dont la façade est en chantier. Des merveilles encore, on s'arrêtera devant les sculptures du rez et de la maison des Papiri qu'Ingrid Bergman découvre dans le Viaggio in Italia de Rossellini. Je fais quelques photos de ces hommes et de ces femmes de pierre que le sculpteur a animés, à peine un souffle qui réveille le vivant qui croise leur regard. Je peine à photographier ces visages de pierre qu grimacent dans l'appareil, le photographie est trop souvent un croquemort et la photographie une mise en bière.
Spaccanapoli : fureur et ferveur dans un temps mélangé, colonnes du temple des Dioscures qui soutiennent l'église Saint-Paul-Majeur, crèches et autels portatifs, ruines et restaurations, Maradona et Saint-Janvier. Sur la Piazza del Gesù, les membres du parti radical de Marco Panella collectent des signatures depuis ce matin. Ils se battent pour que le Parlement adopte la loi N.2641 pour la dépénalisation de la culture domestique des plantes desquelles peuvent être extraites des substances stupefacenti o psicotrope.
On traverse un ghetto où le temps s'est réfugié, ce sont les quartiers espagnols, des enfants, des vieux et des femmes dans la rue ou aux balcons. Les hommes ne sont pas loin, à l'arrière des boutiques obscures ou des sous-sols, sages artisans, menuisiers ou vitriers, garagistes, aubergistes, encadreurs, brocanteurs, ébénistes. Avec eux des femmes et des vieux, des cris et des enfants qui travaillent dur.
Jean-Claude dort. Sur la terrasse de notre bungalow de Piana di Sorrento j'écris ces notes, songe à cette épiphanie qui tarde encore à trouver sa forme, l'éternel retour du même, cette épreuve qui laisse passer l'éternité par la porte entrouverte et maintient à l'extérieur les arrière-mondes. Acceptation sans condition. Da capo.
Nous reviendrons à Naples.
Jean Prod’hom
Circumvesuviana
Le réveil que j'avais réglé sur 5 heures hier soir n'a pas le temps de sonner que je me rendors, me sens décidément incapable de me lever une heure avant l'heure. Mais le diapason est bientôt donné : réveil à 7 heures 30, déjeuner à 8, départ à 8 heures 45, il n'est pas temps de méditer, c'est un départ au pas de charge.
Nous nous rendons à pied en une petite demi-heure à la gare de Piana, prenons une rame du Circumvesuviana en direction de Pompéi S. Villa Misteri, à travers une banlieue qui s'étend, pieuvre, banlieue de banlieue sur le point de disparaître, fragile, résistante, neuve et en miettes. Il est impossible dans ces ruines d'imaginer une vie, mais il est tout aussi impossible d'y imaginer autre chose que la vie, celle de l'équilibre précaire, celle qui ne demande rien. Dans le train, les sourires de mes voisins semblent résignés, ils chantent des complaintes, belle langue, caressent de mots âpres les fleurs mauves qui colonisent les ronciers.
Deux millions de visiteurs, 22 millions de chiffre d'affaires, nous dit notre guide formé au latin et au grec à l'université de Naples. Luigi oeuvre à Pompéi depuis qu'il a démissionné de son poste d'enseignant de français dans un lycée, une démission, dit-il, justifiée par l'utilisation de la méthode globale. Je ne comprends pas mais je peine à me faire comprendre, il ne m'en dira pas plus.
Depuis 79, Pompéi est une ville qu'il faut traverser la nuit. Elle est en effet sujette en plein jour aux pires tourments, ceux du soleil d'abord – les impluvia sont désespérément vides, les toits en miettes, l'ombre rare –, ceux des politiques et des restaurateurs ensuite qui sont à l'origine d'un vilain mélange dû à leur volonté de préserver en l'état ce qui reste de ce qui fut, avec ce qui devait être pour que tout ressemble à ce qui n'est pas. Total, les fantômes se sont éclipsés, les moulages empoussiérés se sont momifiés. Pompéi est dans une impasse d'avoir cru pouvoir ménager une passe entre ne rien faire – et accepter que Pompéi disparaisse une seconde fois –, et refaire Pompéi d'avant 79 : renforcer, colmater, cimenter, déplacer pour que les marchands s'y retrouvent. Une seconde vie a pris ici, artificielle. Je peine à respirer dans ce musée en plein air ouvert à la foule multicolore des visiteurs qui s'écoule en tourbillons dans des avenues de la ville morte. Il nécessite plus encore qu'autrefois de connaissances, non seulement les connaissances de ce qui a été, mais encore de ce qui s'y est fait.
S'il y a erreur sur la marchandise, ce qui a été demeure pourtant, mais là où on ne l'imaginait pas, dans cette banlieue qui occupe le littoral entre le Vésuve et la mer Tyrrhénienne, ruines qui n'en finissent pas de finir, désastre qui dure et où se sont réfugiés les fantômes de Pompéi.
Je rentre avec un petit groupe jusqu'à Sorrente, c'est leur vœu, j'en profite pour retourner au Vittoria avec le courage qui me manquait, me dirige sans demander quoi que ce soit à personne en direction de l'entrée de l'hôtel, traverse le hall, rejoins la terrasse et commande un café. Deux vieux Anglais nostalgiques lisent le journal le regard tourné vers la baie de Naples. Des bateaux reviennent de Capri bourrés jusqu'à la gueule.
C'est la nuit sur Piana di Sorrento, je remets le compteur des dépenses extraordinaires à zéro, le compteur des dépenses ordinaires, lui, continue à tourner tandis que je m'endors, avec le souvenir des brins d'herbe qui descellent les pierres et des coquelicots regroupés sur les marches de l'amphithéâtre.
Jean Prod’hom
Sorrente
Je n'aurai pas attendu la sonnerie du réveil, dis au revoir au petit monde que je quitte pour une petite semaine avant de descendre au Mont où je laisse la Yaris, derrière l'église, il pleuvigne. Attends le premier bus, le quartier est désert, solitude, le jour blanc, silence, j'y goûte une dernière fois.
Le train pour l'aéroport de Cointrin quitte la gare de Lausanne à 6 heures 45, tous les élèves dont nous aurons la charge cette semaine sont là, avec une grosse valise pleine d'histoires qu'ils vont se passer, tourner et retourner en tous sens jusqu'à leur retour. Surtout ne pas se perdre, pourquoi aller si loin ?
Passe à la douane sous les fourches caudines au prétexte qu'un bandit aurait pu se glisser parmi nous. Il est bien là mais désarmé. Il dépose ses quelques valeurs dans les bacs mis à sa disposition, ceinture, montre, téléphone, babioles et consorts clinquants.
Vol EZS 1553 pour Naples, Gate A3, 156 passagers dans cet Airbus A 319 de 156 places. Le lac et le ciel sont gris, mais on a encore en mémoire le bleu de Campanie. Les nuages qui sont sous nos pieds sont comme des restes de neige sur les Alpes. On en sort à l'instant où le soleil gagne la partie, c'est une plaine immense qui apparaît, au plan caché, illisible à cette hauteur, conçu de proche en proche. Tout ça tient pourtant sans l'aide de personne. Tiens le Pô, pas sûr, les choses s'éloignent si vite que rien n'est assuré, ou si, la côté ligure et la mer qui remonte jusqu'au au ciel au fond du tableau. J'imagine bientôt la Corse, j'imagine la mer, j'imagine le ciel, et les choses à l'envers. On vire au-dessus des terres, la Toscane, je cherche l'Arno, Pise peut-être, la Piazza dei Miracoli et son Campo Santo, les collines du Chianti, le Monte Amiata, est-ce le Lac de Trasimène ? Et puis Rome, le lac de Bracciano ? Aucune certitude, pas même le Monte Cassino. Trop tard, on descend sur l'aéroport de Naples, la Naples de Franceso Rosi née une seconde fois, mais en couleur cette fois : la folie n'a pas cessé, main basse sur la ville.
Ils sont une quinzaine au terminal de Naples, ils patientent en demi-cercle, lunettes noires et costume deux pièces, quelques-uns sont là pour récupérer des clients venus d'Olbia, de Trieste ou de Mostar, d'autres flairent le bon coup et proposent leurs lit, à la Villa Favorita ou au Miramare, au Flora de Capri, au Tritone de Positano, à l'Aragona d'Ischia. Je vais demander quelques plans de la ville au bureau d'information, ils n'en ont plus, plus un.
Un bus nous conduit à travers le quart monde jusqu'à Piano di Sorrente, au sud-ouest de Naples : Portici, Ercolano, Pompéi, Castellamare di Stabia, Vico Equense, villes en sursis qui s'étendent sur les flancs du Vésuve, immeubles en ruines avant même d'être terminés. On dépose nos bagages dans les bungalows de Costa Alta. Le même bus, avec le même chauffeur, nous emmène à la pointe de la presqu'île sorrentine, on devine la fertilité du pays, oranges, figues, citrons, abricots. Des filets et des toiles tendues entre les pilotis d'une architecture de fortune, protègent les vergers du soleil, il fait plus de 35 degrés. On devait rejoindre la côte amalfitaine, on n'en verra rien, ou si, Praiano au bénéfice d'une longue courbe, et Positano que le chauffeur nous demande d'imaginer derrière le pli des collines. On redescend vers la mer.
Le bus nous lâche à Sorrente. Une heure à notre disposition. Je repère l'hôtel Eden, l'ancienne pension Villa Rubinacci où Nietzsche passa l'année 1876 avec Malvida von Meysenbug et Paul Rée, en retrait des falaises qui dominent la mer. La réceptionniste de ce modeste hôtel m'accueille avec le sourire, me donne un papier qui rappelle la présence du philosophe, mais tout à changé, le pèlerinage est impossible, ce n'est pas plus mal. L'hôtel Vittoria dans lequel logeaient Wagner et Cosima cette même année n'est pas très loin, mais c'est un hôtel d'un autre standing, un hôtel gros de luxe qui n'a guère changé : du haut de la falaise il regarde la mer. Je tente d'y pénétrer, ne parviens pas à m'engager dans l'interminable allée qui y conduit, bordée de gardénias, de lauriers, de mimosas ; un homme à gilet d'or bloque l'entrée, je bégaie, fais marche arrière. Je ne suis pas de ce monde... ou plus simplement je manque de courage. Eden ou Vittoria, Gênes ou Bayreuth, c'est à Sorrente que Nietzsche et Wagner se rencontreront pour la dernière fois, la rupture est consommée. Nietzsche continue pour son compte l'esprit libre.
Je descends après le repas au port de Piana di Sorrento, avec une quinzaine d'élèves, sur un chemin pavé de piperne noir le long d'une falaise de tuf jaune. Un port qui est une île, lieu improbable où le temps ne passe pas, fait de l'accumulation de l'hétéroclite. Tout ici est déjà terminé, des enfants jouent au foot lorsque la nuit tombe, pieds nus comme dans un film de Vittorio de Sica, les vieux parlent à califourchon sur des chaises de fortune, deux femmes suivent la scène accoudées au fer forgé de leur balcon décati, je trouve un beau tesson, aucune plainte, pas d'aigreur, quelque chose comme un consentement, large, quelque chose qui se prolonge indéfiniment, un point d'orgue.
Jean Prod’hom
Il y a l'auberge de l'Onde
Il y a l'auberge de l'Onde
les mesures de prudence du castor
la tombe de mon père
il y a la la tombe de ma mère
le journalisme d'investigation
l'onagre
le poids des anciennes manières
les grandes surfaces
les épiphanies
Jean Prod’hom
Il y a l'éternel retour du même
Il y a l'éternel retour du même
les bottes de paille
l'école libre
les siestes coquines
la longue durée
les clous de tapissier
les affixes
les petits fours
le mohair
l'entrée des enfers
Jean Prod’hom
Le visage des maisons s'éclaire
Mardi 13 mars 2012
A six heures, le thermomètre indique un peu moins de 5°. Le feu a pris sur la chaîne des Vanils, le brouillard se tient à ses pieds, mais aussi de l'autre côté, à la lisière du bois, comme arrêté par le jour. Lili sort son lapin en répétant sa poésie sur l'escargot, ce matin c'est moi qui accompagne les petits à l'arrêt de bus, Marilyne s'est fait mal à l'épaule. Il en sera ainsi ces prochaines semaines Vais faire le plein sur la route de Berne, le prix de l'essence ne cesse de monter. (lire la suite)
Mercredi 14 mars 2012
C'est un un bruit de crécelle, précédé d'un sifflement, qui me réveille, un rouge-queue, le rouge-queue qui niche au-dessus de la porte d'entrée, peut-être. Je me suis réveillé à 5 heures, somnole jusqu'à 6, le jour se lève. Il faisait rose hier soir, il fait rose ce matin. Louise nous régale d'une valse de Bartolomé Calatuyud.
Panique avant de partir à la mine, je ne trouve ni mes clés ni mon sac, le sol s'entrouvre sur le vide : Arthur va rater le bus, je vais devoir le conduire jusqu'à Mézières,... Retrouve bientôt le tout et mes esprits.
Le soleil apparaît au-dessus des Préalpes, comme hier, comme tous les jours, mais aujourd'hui les maisons se tournent vers lui, leur visage s'éclaire, celui des hommes aussi. J'écoute la radio, une femme raconte : Il y a plus de choses que je ne savais pas que de choses que je savais, alors j'ai décidé d'apprendre. (lire la suite)
Jean Prod’hom
CIV
Jean-Rémy fait campagne.
Ce qui est intolérable, dit-il, ce n'est pas tant la pauvreté que la mendicité. Celle-ci serait même tout à fait acceptable si les mendiants avaient la décence de mendier ailleurs que sur la voie publique.
Jean Prod’hom
Il y a le taupier
Il y a le taupier
l'austérité
la faconde du postier
les interdictions générales de circuler
il y a les silences terreux
la terre amollie par la pluie
la petite fenêtre des toilettes
la course du lièvre
les caravanes abandonnées
Jean Prod’hom
61(c)
C'est la mémoire qui offre à l'homme la possibilité d'avoir quelque chose devant lui lorsqu'il a le dos au mur.
Jean Prod’hom
Allégorie
Le jour des pains sans levain, où l'on devait immoler la Pâque, arriva, et Jésus envoya Pierre et Jean, en disant :
- Allez nous préparer la Pâque, afin que nous la mangions.
Ils lui dirent :
- Où veux-tu que nous la préparions ?
Il leur répondit :
- Voici, quand vous serez entrés dans la ville, vous rencontrerez un homme portant une cruche d'eau ; suivez-le dans la maison où il entrera, et vous direz au maître de la maison : Le maître te dit : Où est le lieu où je mangerai la Pâque avec mes disciples ? Et il vous montrera une grande chambre haute, meublée : c'est là que vous préparerez la Pâque.
Ils partirent, mais ne trouvèrent pas les choses comme il le leur avait dit. L'heure étant venue, Jésus dit à ses disciples :
- J'ai désiré vivement manger cette Pâque avec vous, mais je ne le ferai pas dans ces conditions. Voici, j'ai amené la dispersion.
Voyant que son idée n'emballait pas les disciples, Jésus crut bon d'ajouter :
- Remettez-en une couche comme je l'ai fait moi-même.
Jean Prod’hom
Respirer en eau libre
Me souviens de ce nageur de pointe qui disait sa terreur de la nage en eau libre, il en va de même de tous les vivants. Quelques-uns rêvent pourtant de vivre ainsi, la tête hors de l'eau, malgré dessous l'abîme qui les porte. Ni pause ni soupir, ni demi ni quart, sans biaise ni bémol, avec au fond la nappe de silence, sur laquelle le bruit et les beaux airs ont fait main basse, pour le meilleur et pour le pire. Ne tirons pas trop sur l'eau du puits.
Jean Prod’hom
Il y a les cousins éloignés
Il y a les cousins éloignés
les roses fanées
la bouillabaisse
les chants de Maldoror
il y a le jasmin
les auberges du hasard
les villages abandonnés
la pluie sur l'églantier
il y a la clandestinité
Jean Prod’hom
Ça le rapproche de lui-même
Le jeune homme est balaise, allonge le pas, tourne la tête en direction des longues baies vitrées qu'il longe, il suit l'affaire de près. Pas d'admiration excessive mais quand même, il envie l'homme décidé qui semble le précéder. Le voilà qui crache avant de disparaître. Le garçon repasse quelques minutes plus tard, même scène dans l'autre sens, tourne à nouveau la tête en direction de celui qu'il ne parvient pas à rattraper, il crache à nouveau. Encore raté, allonger le pas n'aura pas suffi, mais il réessaiera, c'est sûr.
Cracher, c'est le raccourci que les malaimés empruntent pour quitter l'imaginaire des foules.
Jean Prod’hom
Faire voir du pays
Est-il bien judicieux de vouloir faire voir du pays aux adolescents, dont l'arrimage identitaire tient essentiellement au refus obstiné de l'altériré, à la mise à distance continue de l'étranger, au refus panique de l'inhabituel, incapables qu'ils sont d'imaginer d'autres arrangements avec le monde que ceux qui les tiennent forclos dans l'immédiateté de leurs désirs ?
Il y a un prix à payer pour devenir quelqu'un, c'est-à-dire un autre. Mais comment faire accepter ce prix à ceux qui refusent de s'éloigner de leur passé, en les y obligeant sans qu'ils crient à l'injustice et qu'ils nous fassent voir trop de pays ?
Jean Prod’hom