Ecrire (c)

Ecrire pour exister hors de soi
et faire dedans un peu de place
à ce qui fait défaut
Jean Prod’hom
Obligés de personne (c)

Père et fils unis
dans l’obligation d’être à la fin
les obligés de personne
Jean Prod’hom
Les associations (c)

Les associations
sont toujours à la fin
des associations de malfaiteurs
Jean Prod’hom
Conscience (c)

Sur les écrans de la bonne
et de la mauvaise conscience
les mêmes larcins
Jean Prod’hom
Tirages limités

Tirages limités
encres uniques
textes illisibles
Jean Prod’hom
Innocent

Innocent
qui n’a ni fui ni désobéi
devenu bourreau obéissant
Jean Prod’hom
Jusqu’au bout (c)

Jusqu’au bout
là où les ornières se perdent
où il n’y a plus rien
Jean Prod’hom
Tant que j’ai ma tête (c)

Tu ne me forceras pas
tant que j’ai ma tête
qu'on ne s'acharne pas si je la perds
Jean Prod’hom
Jouer petit

Jouer petit
forcer ainsi l'enfant à prendre la main
l’obliger à se retrouver devant
Jean Prod’hom
À défaut (c)

À défaut de prière
ramasse une pierre
et dépose-la
Jean Prod’hom
Ça tient (c)

Ça tient
non pas que ce soit vrai ou qu’on y soit pour quelque chose
non ça tient
Jean Prod’hom
Un peu à côté (c)

Vivre un peu à côté
dans une parenthèse
avec juste ce qu’il faut
Jean Prod’hom
Une tache de soleil

Derrière le chantier désert
le vin coule à ras bord
l’esprit fait l’accordéon
Jean Prod’hom
J’entends (c)

J’entends le chant d’une mésange
air et brindilles
de feux réchauffés
Jean Prod’hom
Changements (c)

Il y a bien quelques changements
les rosiers taillés
le bois livré
Jean Prod’hom
Surseoir (c)

Surseoir
aussi longtemps que possible
sans élever de digue
Jean Prod’hom
Quelque chose

Quelque chose insiste
dans la vague que suit
ma respiration
Jean Prod’hom
Février

Bras noirs des pommiers du verger
cercles de boue nue
tout autour le pré enneigé
Jean Prod’hom
Phylogenèse

Chasseur autrefois
puis éleveur
bien élevé aujourd'hui
Jean Prod’hom
Demi-dieu (c)

L’homme ne dépend que de l'inaccessible
pour le reste
carte blanche
Jean Prod’hom
Retrait (c)

Décoller du trafic
en se laissant couler
comme le sable au fond du verre
Jean Prod’hom
Nuit (c)

Ne pas faire la lumière sur tout
maintenir quel qu’en soit le prix un coin d’ombre
où déposer sa fatigue
Jean Prod’hom
Plein air (c)

C’est la qualité de l’air qu’on respire
qui donne à nos pensées
un semblant d'allure
Jean Prod’hom
Plaie d'époque (c)

S’en référer à la loi
pour ne pas avoir à lui désobéir
lâcheté de sous-lieutenant
Jean Prod’hom
Avancer (c)

Avancer
à l'endroit même
où l’on demeure immobile
Jean Prod’hom
Ne me fie (c)

Me tiens au courant
m'étonne de ce bazar
ne me fie qu’à ce qui penche
Jean Prod’hom
Bulletin scolaire

Six points sur douze
la gamine huit ans ne dit rien
terre d’asile
Pleure à la récré
pas de points de suture
crime contre l’humanité
Jean Prod’hom
Un mot de Grignan

N’en attendais pas tant. Reçois ce matin quelques mots de Grignan, avec une image, celle du manuscrit de l’un de ses poèmes : Les Gitans. Recto et verso de ce qui va sans remous avec et après nous.
Il y a un feu sous les arbres :
on l'entend qui parle bas
à la nation endormie
près des portes de la ville.
Si nous marchons en silence,
âmes de peu de durée
entre les sombres demeures,
c'est de crainte que tu meures,
murmure perpétuel
de la lumière cachée.
18 | XII | 53
Celui qui me confie être un vieillard, un vieillard qui ne trouve plus toujours le courage de lire puis de dire, et encore moins à celui qui somme tout n’est guère plus jeune que lui, ce qu’il pense des pages qu’il a lues et qui mériteraient un meilleur lecteur, au-delà de la passe rhétorique, souligne une fois encore que le feu n’est pas éteint. Demeurer reste le seul chemin qu’on peut faire soi-même.
Et je souris à penser, comme il me le rappelle de nulle part, que son père a soigné au Riau de Corcelles quelques bestiaux, mais que ni lui ni moi n’y étions. Ce sont ces mots au-delà de nos existences qui font transiter à la fin un peu de cette lumière cachée qui brûle sous les arbres en dehors de nos sombres demeures.
Chacun à son tour se retire, sans fermer l’oeil ni la porte à clé, laissant à d’autres ce qui est et ce qu’on a bien voulu leur confier, en les invitant à tout reprendre. Comme des ignorants.
Jean Prod’hom