juil. 2015

Retour au triage

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Cher Pierre,
Il y avait plus d’un mois que je n’étais pas retourné au triage ; les ronces et les myrtilliers ont étendu leur empire et ce n’est pas sans réticence qu’Oscar me suit jusqu’à la lisière de la petite clairière où je m’allonge, terre meuble couverte d’épines, chaud-froid entre soleil et bois.

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Je m’attarde sur les textes brefs que Julien Gracq consacre dans En lisant en écrivant à la rauracisation du français (sans évoquer le « l ») ; à l’obsession de la suture dans le champ littéraire français... qui veut qu’on rapproche toujours étroitement les deux bords avant de coudre ; au court circuit syntaxique que produisent les deux-points. Rien à propos du point-virgule. Ailleurs peut-être.
Le peintre passe une seconde couche sur les murs du hall et des toilettes d’en-bas. Heinz passe en coup de vent, visse à coin le syphon de la baignoire. Salut la compagnie, il s’en remet désormais à l’architecte et au fournisseur. Bonnes vacances Heinz !

3. Le torrent de liens motivés, né de l'arbitraire du signe, hante le langage et ouvre dans ses profondeurs d’innombrables galeries que le poète explore mot à mot, une baguette de sourcier à la main, d’où lui parviennent d’énigmatiques échos, ceux du lointain qui se mêle au proche, de l’étranger au natif.
Le réel ne s’y refuse pas et se prête sans réticence au rythme, à la mélodie, au jeu des voyelles et des consonnes qui ouvrent à la conscience des voies inédites pour offrir à la terre qui vieillit le langage et les chemins qui la renouvellent, en pressentant même parfois ce qui sera.

4. La photographie ne dit rien ni ne se préoccupe de l’avenir, elle représente le monde qui s’est tu ou est sur le point de se taire, de ce qui passe, a passé et dont nous craignons d’être les uniques témoins. C’est toujours à reculons que nous faisons des photographies, dos au mur, elles témoignent de ce qui aurait pu nous éclairer, au carrefour d’une autre vie qui aurait pu nous combler, mais qui a passé et que nous laissons derrière nous, une chance qui nous a été donnée de rester et dont nous n’avons su retenir que la promesse, l’imperceptible mouvement d’une main qui fait signe, ou une ombre qui s’éloigne, ou un contraste qui nous rappelle que la neige fond et que le vent chasse le sable.
A l’écriture la voyance et les récits de fondation, à la seconde l’inéluctable et l’oraison funèbre.

Arthur est allé fêter son 1er août, le 31 déjà, sur les hauts de Montreux ; nous irons, Sandra, les filles et moi fêter le nôtre Sous la ville demain, avec un rallye, une partie officielle et des saucisses grillées. En attendant on mange à la véranda les restes du risotto, une salade et des fromages. Lili conseille à Martine qui me l’a demandé qu’elle offre plutôt à sa petite-fille, si elle ne les possède pas déjà, Flicka 1, 2 et 3. Quant à Grand Galop, c’est une série de plusieurs épisodes qui va bien au-delà de l’amitié d’une jeune fille et d’un cheval.

Jean Prod’hom


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(Pers) Heinz de Laupen

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Cher Pierre,
Ce matin à huit heures, j’entends frapper à la porte, je l’avais oublié, c’est Heinz, la casquette vissée sur la tête, les mains au fond des poches comme souvent les artisans qui les ont habiles. Je l’ai entendu toute la semaine réciter comme un poème la succession des opérations qu’il avait à mener, pour qu’elles ne s’échappent pas d’une tête qu’il a dure. Une heure lui suffira pour que la fuite de la baignoire rende gorge et qu’il manifeste son contentement : Je suis heureux.

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Dans la maison, Heinz, tout le monde l’aime bien, avec ses yeux bleus qui deviennent transparents. Le bonhomme a retrouvé le sourire, on boit un café ; il vient de la région de Laupen, là où les Bernois (aidés par les Walstätten), sous le commandement de Robert de Erlach, ont repoussé en 1339 les troupes de Louis IV de Bavière (aidé par des seigneurs de la région romande) et où son père était ingénieur. Louise l’écoute. Il obtient successivement trois certificats fédéraux de capacité, de mécanicien d’abord, de sanitaire ensuite, chauffagiste enfin. Il y a vingt-cinq ans qu’il est en Suisse romande ; marié, il met son second pilier dans l’achat d’une ferme. Divorcé, tout se complique, l’homme travaille jour et nuit, le dos cassé par une hernie discale dont une rhabieuse le soulage pendant plusieurs années ; l’hernie est revenue avec son divorce, c’est une large ceinture qui le fait tenir droit.
Guillaume passe nous voir, fait quelques bricoles et repart avec une belle commande : bibliothèque, armoires, armoire à habits ; il nous en sait gré. Sandra, les enfants, les A, les K et les T descendent en ville faire un lasergame. Heinz s’en va de bonne humeur, fier je crois d’en avoir terminé avec un chantier qui lui aura donné du fil à retordre. Il repart avec ses outils pour Sullens ou Saint-Légier, Heinz est un ouvrier solitaire qui veut le rester.

2. Tout en maintenant en son centre un silence qui fait tache d’huile, l’instant déborde bien au-delà du territoire que la conscience lui octroie et, de proche en proche, offre du lopin de terre qui lui revient une image égarante de l’éternité, de même dimension que les innombrables éternités qui coexistent en chacun des points du monde et que d’invisibles gouffres infranchissables tiennent à l’abri, comme les douves d’un château-fort. Du chemin de ronde dont nous somme le centre, nous pouvons apercevoir au bout de nous-mêmes comment ombres, formes et lumières se mêlent nous invitant, lorsque nous en éprouvons le besoin, à saisir des petits morceaux d’éternité, à y passer le fil qui nous permettra d’habiller nos vies d’un semblant de mouvement, d’une pente et d’une direction.

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Visite d’un autre solitaire au milieu de l’après-midi, c’est un hérisson dodu contre lequel Oscar aboie de derrière la porte vitrée du salon, il s’attarde au pied des roses trémières, me regarde en fronçant les sourcils, je le laisse tandis qu’il longe la façade. Me régale de quelques pages que Gracq consacre, dans En lisant en écrivant, à ses lectures et à l’écriture, c’est admirable, drôle parfois, très drôle mais toujours bienveillant et assassin – à propos de Saint-John Perse :

J’en fais usage, à des intervalles éloignés, un peu comme d’un
chewing-gum d’où au début à chaque coup de dent gicle une saveur, mais le goût pour moi s’épuise en une douzaine de pages, à mon dépit. N’empêche que je le reprends : le nombre des poètes qu’on rouvre n’est pas si grand.

Julien Gracq fait partie de ces écrivains qui réussissent à prolonger la voie dans des régions où nous ne voyions que d’inextricables ronciers, à les écarter et à en tirer ce dont on avait rétrospectivement le pressentiment, sans y toucher, avec la facilité de ceux qui écartent les eaux de la Mer rouge. Et puis il fait partie de ces rares écrivains qui, au XXème siècle, n’ont pas laissé tomber le point-virgule. A lui aussi je lui en sais gré.
Ce soir Lili et Louise se baignent pour la première fois, le bateau est à sec ; quant à Arthur il est monté à Froideville faire du volley ball avec la Jeunesse de Ropraz, on ne le reverra vraisemblablement que demain, le bosco paie ses galons. Sandra qui est allée promener Oscar prépare un risotto. La scoumoune fait sont retour alors qu’on la croyait définitivement écartée, avec l’eau qui goutte sur le plan de travail.

Jean Prod’hom


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(Pers) Dieux Lares

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Cher Pierre,
Sandra et les enfants sont allés faire quelques courses, de quoi charger le frigo et assurer que demain chaque chose retrouve sa place ; je suis de permanence à la maison, accueille les maîtres d’état qui se succèdent. Guillaume rabote la porte d’entrée et son frère pose les poignées de la salle de bains, de la bibliothèque et de la chambre d’Arthur ; trois peintres rafraîchissent le hall, deux carreleurs posent des joints de silicone à la salle de bains, de ciment à l’entrée.

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L’eau qui est apparue à deux reprises sur le plan de travail de la cuisine, contrairement à ce que j’ai cru hier, n’est pas le résultat d’une maladresse de l’un de nos enfants, mais d’une fuite dans l’écoulement de la baignoire ; l’appareilleur dépêché en urgence et qui reviendra demain, repart avec le sourire, satisfait d’avoir mis le doigt sur le problème et dissipé notre inquiétude : il est donc fort probable que nous démarrions notre nouvelle vie au sec.
Tout ce monde, bienveillant, courageux, grossier parfois, raconte tout en travaillant la vie de chantier, les collègues absents, les métiers, les femmes, les vacances. Je regrette de n’avoir pas assez prêté l’oreille, mais je brouillonnais quelques idées, timorées, hésitantes, espérant au fond de moi, comme toujours, que tout se fasse à mon insu et que je n’aurai qu’à me réjouir du temps qu’il fait lorsqu’il me faudra me jeter à l’eau.

1. Notre regard est aimanté par ce quelque chose avec lequel nous ne faisons qu'un, que nous croyons pouvoir précéder, que nous surprenons parfois lorsque nous viennent le courage et la force de ralentir, que nous voudrions retenir en en fixant l'empreinte avant qu'il ne soit trop tard, jusqu’à ce que nous nous avisions que ce qui devait être une rampe d'accès nous lâche, devient précisément la porte dérobée par laquelle ce qu'on avait cru pouvoir rejoindre prend la poudre d'escampette. Comme une phrase longue et sinueuse qui commence et se ferme, métamorphosant le manque en secret.

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Ce soir, c’est à moi que revient l’honneur d’utiliser la cuisine pour la première fois, je prépare des pâtes au pesto et une salade. Nous descendons ensuite une bibliothèque du bureau dans laquelle Sandra range ses livres, Arthur me donne un coup de main pour monter la petite armoire que mon père a fabriquée en 1951 pour l’obtention de sa maîtrise fédérale ; j’y loge dedans et dessus mes dieux lares : une aquarelle de tante Augusta, un mobile de Daniel Schlaepfer, quelques rebuts, une boîte à crayons du grand-père d’Epalinges, un vase de Christine Macé, une photographie de Geoffrey et de Romain, quelques livres, une chouette que Sandra m’a offerte, un album de photographies colorisées, un galet de Patmos, un cairn de Louise, le cygne que j’ai sculpté à la naissance de Lili. Il est minuit passé lorsque nous allons nous coucher.

Jean Prod’hom


Corcelles-Servion

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Cher Pierre,
L’architecte est passé en fin de matinée, la responsable de la salle de bains aussi, on a eu droit à quelques frictions. Les vacances des entreprises s’approchent et le temps file, le chantier est partout, les carreleurs s’affairent dans le hall et les toilettes d’en-bas, l’appareilleur installe la baignoire. Je m’attelle de mon coté à une autre tâche, la résiliation d’un abonnement à swisscom : une montagne, l’employé me prend pour ce que je suis, un pigeon.

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Sandra et les enfants se rendent à Vevey en début d’après-midi, ils me laissent au pied du mur : j’extrais quelques textes pour Grignan, mets en page cent-trente Il y a, avec une intention qui perd ses contours à mesure que j’avance. Il me reste à la fin moins que rien, sans même savoir si je dois m’en inquiéter.
Je renvoie le tout à des jours meilleurs, prends mon sac à dos et me mets en route pour Servion où j’ai rendez-vous. Le défanage et l’éradication des mauvaises herbes donnent un aspect lunaire aux champs de patates, le maïs manque d’eau ; je franchis le Cerjux après la Goille et traverse le pâturage qui porte le beau nom de L’Echu, plonge sous l’église de Montpreveyres au fond du vallon de la Bressonne, remonte par le sentier du Bois de la Côte. Une nouvelle fontaine a remplacé l’ancienne que les mousses et la vermine rongent en contrebas. Je traverse les bois à l’estime jusqu’aux Chardouillles, puis à travers ceux des Riaux jusqu’aux Pendens et les anciennes carrières de molasse.
Je retrouve Sandra et les enfants à Servion, avec les A et les K qui nous accueillent. On mange dehors, parle de chantiers et de transformations de maison, de vacances en Corse, en Bretagne, à la montagne. Il est près de minuit lorsqu’on rentre, un peu ivres d’avoir copieusement arrosé nos retrouvailles.

Jean Prod’hom


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27 octobre 2013 | 29 juillet 2015

Les vieux chéneaux

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Cher Pierre,
Les vieux chéneaux, les pavatex de protection, les restes de lambourdes et les bris de tuiles alignés au bord du chemin avant notre départ pour l’île d’Yeu ont été bienveillamment balancés sur les lierres qui souffraient déjà de la sécheresse, pas sûr qu’ils repiquent. Un clou de charpentier a eu raison de l’un des pneus de la roue de la Yaris ; la poussière qu’on croyait avoir vaincue avant de partir a fait son retour à l’occasion des travaux dans la salle de bains.

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Sandra fait une offensive avec aspirateur et serpillière qui durera toute la journée, épaulée par Louise qui démontre une efficacité remarquable ; Arthur quant à lui n’a pas tout à fait encore terminé ses vacances. Je rassemble ce qui traîne dans le jardin et dans la maison, fais trois trajets à la déchèterie, Lili reprend contact avec Grand Galop. Flicka 3 et Spirit.
Marc-André passe nous voir en fin d’après-midi, il entreprendra les travaux d’assainissement le long de la façade orientale et le rafraîchissement de la courte allée jusqu’au portail. On prend un apéritif près de l’étang que la canicule a mis à sec, il est d’accord d’engager Arthur une semaine cet automne.
Une journée qui ne figurera pas au tableau des grandes heures, la crêperie de Rue et une bolée de cidre nous ramènent toutefois un instant à nos deux semaines sur les rives de l’océan et bien au-delà. Je lis en effet à notre retour de Rue un mot du curé de l'île d'Yeu qui me fait chaud au coeur : Vous écrivez très bien, et avec indulgence! Merci de venir nous dire bonjour à l'occasion.
Qu'un curé soit l'hôte des marges.net me réjouit, mais qu'il officie sur l'île d'Yeu et me propose son hospitalité me comble. Je viendrai vous voir, Monseigneur, avec des cadeaux pleins les bras.

Jean Prod’hom

Transition

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Cher Pierre,
Sandra prend le volant de la Nissan à Tours, se cale à gauche sur un muret d’un mètre, elle le suit et il la suit, fidèle, avec à son pied, imprévisibles, quelques bouquets de mauvaises herbes ; ce muret sépare sur l’autoroute ceux qui vont de ceux qui viennent, lesquels vont, ils le croient, chacun de leur côté ; mais ce sont les mêmes assurément, dans un miroir inversé, c’est un monde et sa réplique, l’un rembobinant l’autre, tous deux ponctués d’imperfections, de singularités et d’écarts dont nous ignorons tout ; c’est à l’occasion de ces incidents que les conducteurs qui perdent les pédales sont invités à prendre, aussitôt qu’elles se présentent, l’une ou l’autre des sorties prévues à cet effet.

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Il est préférable de se détourner des mondes qu’on croise et de se consacrer au seul monde qu’on traverse, de suivre les six lignes blanches qui permettent d’éviter que les mondes parallèles, solidaires, ne se chevauchent ; l’une est continue, la seconde à segments courts, la troisième à segments longs. Une glissière de sécurité offre un premier verrouillage de sécurité à droite ; au-delà s’étend une zone franche, dans la terre meuble de laquelle sont ancrées les piles extérieures des ponts qui font communiquer les deux côtés du miroir ; un haut treillis clôt cette bande dans laquelle il est interdit d’entrer ou de sortir. Au-delà un monde immense qui nous fait signe et qu’on ne reverra pas.
Que de temps pour en arriver là ! Songez à la pose des treillis et des glissières, aux hommes qui ont donné leur sang, à notre ingratitude. Sachez désormais que quelqu’un pense identiquement de l’autre côté du miroir, à l’envers, et que ça tient.

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Sandra me laisse le volant un peu après Blois, me mettant dans l’obligation de fermer aussitôt les yeux sur ce qui précède, par prudence ; pendant deux bonnes heures, jusqu’à l’aire de Ferté. On se dégourdit alors les jambes, je fais deux pas avec Oscar pendant que Sandra et les enfants se livrent à quelques achats ; je les rejoins avant de m’asseoir dehors sur un banc ; Louise me rejoint bientôt, fidèle à ses engagements, avec un taboulet et une salade de carottes sous cellophane ; Arthur la suit, trois sandwichs triangulaires, pain suédois, poulet et fromage ; Lili pain de mie, jambon et fromage ; Oscar satisfait de ce qu’on lui tend, Sandra sur mes genoux. Et soudain, de cette aire d’autoroute qui condense toutes les laideurs du monde se lève sans que je n’y puisse rien un peu de ce bonheur qui jette son voile de proche en proche sur le pire. Et concourent à cette étrange fête le souvenir des restes de moutarde sur la poignée de la porte des toilettes, le rouge impérial du ketchup sur la haute table ronde de la cafétéria, la pisse des chiens sur les aubépines, les pins maritimes, malingres, la pâleur des automobilistes. Ne rien toucher, le grand jour est entamé, je n’y puis rien.

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Jean Prod’hom

Magnifique Tom Blaser

Le champion suisse 2015 a obtenu ce week-end une extraordinaire médaille de bronze aux championnats d’Europe de trial qui se sont déroulés en Italie.

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Un seul membre du Trial Club Passepartout de Moudon était qualifié pour défendre les couleurs de la Suisse lors des championnats d'Europe de trial qui se sont déroulés ce week-end à Alpago, à une centaine de kilomètres au nord de Venise, c’est Tom Blaser, très motivé à la suite de son titre de champion suisse 2015. Une finale de très haut niveau que Tom a entamée un peu tendu, mais très concentré. Au fil des zones, sa confiance et donc ses chances de médaille ont augmenté.
Et c’est seulement à l'avant-dernière des dix zones qu'il a réussi à prendre le meilleur sur le quatrième. Explosion de joie pour une médaille de bronze qui récompense une remarquable préparation – plus de vingt heures par semaine depuis octobre dernier.
Un plan dont la mise en place et le suivi ont été assurés par son entraîneur Jean-Daniel Savary. Un entraînement qui, s’il est centré naturellement sur la technique et la condition physique, ne néglige pas non plus la préparation mentale. Le fin équilibre des ces trois ingrédients aura donc fait ses preuves, gageons que d'autres résultats suivront.

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Jordi Araque (Espagne) | Nicolas Vallée (France) | Tom Blaser (Suisse)

Pays de la Loire

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Cher Pierre,
La mer creuse au large d’Yeu, nous rêvons à des histoires de marins, alignés sur le pont arrière du Saint-Sauveur. J’aperçois sous les arches de Noirmoutier un bateau de pêche, rouge et noir, lignes à l’eau, c’est le Challenger et son équipage de Port-Joinville qui taquine le bar.

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On remet le pied sur le continent à Fromentine ; les K font quelques courses avant la fermeture des magasins avec l’idée de rentrer d’une traite, on décide de nous arrêter en route, ça nous a souvent bien réussi. Sandra prend le volant
On traverse les marais du pays de Retz et ses canaux que caresse ici et là le ventre de filets aux courbes géométriques, suspendus à des fourches archaïques.
Une barque sur les bords de la Loire, couleur sépia, avec dessus le nom de Saint-Florent-le-Vieil ne nous fait pas dévier ; on roule d’une traite le long de la Loire sans la voir jamais, jusqu’à Tours Quelques vaches et leurs veaux se tiennent immobiles dans de rares taches d’ombre ; du grain qui restait à battre il y a quinze jours ne subsistent que d’innombrables balles rondes et de lourdes bottes rectangulaires ; on franchit le Maine que des parois de verre dépoli embuent, on devine Angers mais on continue jusqu’à Villandry.
Le soleil, rouge, ressemble du haut de la grande roue de Tours à celui qui a basculé l’autre jour derrière les Chiens Perrins, le jour s’attarde longtemps encore dans le miroir de la Loire. Il est tard, on remonte une avenue qui n’en finit pas jusqu’à la place de la Liberté au centre de laquelle Jean Royer harangue une foule qui, depuis une vingtaine d’années, a quitté la salle.

Jean Prod’hom


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La messe est dite

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Cher Pierre,
Pas une sole dans le filet de cinquante mètres, mais une cinquante d’araignées d’un kilo dans une bassine. On en souffre tous, me confie un pêcheur qui nettoie, rue de la Sicardières, un filet tendu de chaque côté du muret de son jardin. Il faudrait un hiver froid pour les faire disparaître, très froid, une semaine à quatre ou cinq degrés au-dessous de zéro. En attendant, qu’on soit des amateurs ou des professionnels, on peste.

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Chacun descend au port faire quelques achats, demain on s’en va ; la matinée est bientôt derrière nous. Les activités prévues après midi scindent le groupe en deux ; Martin et les garçons se rendent aux Vieilles ; Valérie, Sandra, les filles et moi au manège des Violettes ; Lili. Louise, May et Zoé font la connaissance respectivement de Shogun, Nestor, Nelly et Oyo. Nous allons pendant ce temps, Sandra et moi, faire un tour à l’intérieur de l’île, le long de haies pleines de verts sombres et tristes ; de rues, de routes et de chemins ocres et gris dont les noms racontent par endroits davantage les occupations des derniers venus que les rêves des premiers, et leurs fantômes. Les garçons préparent des hamburgers, Tatie Bichon des gaufres. La messe est dite, chacun plie ses habits, boucle son sac, les têtes et le frigo sont vides. Mais ceux qui ont élu domicile loin de l’océan n’oublient pas sa respiration, qui rejoint celles qui animent les montagnes et les saisons, familière lorsque nous reviendrons, heureux de retrouver ce nous croyions avoir perdu et qui a su faire sans nous.

Jean Prod’hom

Sainte Brigitte et Philippe Pétain

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Cher Pierre,
Les deux gendarmes qui se tenaient bien droits à une vingtaine de mètres du parvis de Notre-Dame-du-Port m’ont indiqué, eh! monsieur, le panneau de sens interdit que j’avais un peu négligé, je dois l’avouer, pressé par les cloches de l’église dont j’avais entendu sur le port le premier des onze coups. Je les ai remerciés, comme il se doit en de telles circonstances, j’ai appuyé négligemment ma bécane contre un arbre, ils ont repris leur travail.

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Je fais la connaissance des membres de l’Association pour défendre la mémoire du maréchal Pétain, chics et sérieux, précédés d’un drapeau tricolore sur lequel sont brodés d’or leur acronyme et sept étoiles. Je fais également la connaissance de la dizaine de membres de Jeune Nation qui ont fait le pèlerinage de l’île d’Yeu ; le nom de leur association est imprimée au dos de leur polo, avec sur la poitrine ceci : CAMP école | Maréchal Pétain ; ils me font immanquablement penser à une sympathique équipe de moniteurs de colonie de vacances, n’étaient posés sur leur tête et portés de travers des bérets surmontés d’une croix celtique. Les deux groupes semblent se bien connaître, mais prennent garde de ne pas se faire d’ombre ; pas sûr qu’il partent en vacances ensemble, tout indique en effet qu’ils appartiennent à des mondes différents : les premiers parlent latin, les seconds portent, remontées sur le front, des lunettes à soleil américaines.
Il y a du monde dans l’église, mais incomparablement moins que dimanche passé ; une soixantaine de personnes réparties dans la nef à respectable distance les unes des autres, maintenant ainsi le chaudron à bonne température, et permettant au clergé d’honorer à feu doux, ensemble sainte Brigitte et Philippe Pétain. Je reconnais derrière l’autel certains des prêtres qui ont officié dimanche. Il devront jouer serré. Des photographes vont et viennent dans les bas-côtés et fixent l’événement.

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C’est donc jour de sainte Brigitte de Suède, et la messe du jour est offerte par les parents et les amis de Philippe Pétain, maréchal de France, pour le repos éternel duquel le prêtre demande de prier, mais aussi pour toutes les victimes de la première guerre – cent trente habitants de l’île ont donné leur vie.
Dans son homélie, le prêtre rappelle que sainte Brigitte, conseillère au XIVème siècle des grands de son temps, de Stockholm à Rome, a été proclamée en 1999 par Jean-Paul II co-patronne de l’Europe – aux côtés de Sainte Catherine de Sienne – faisant d’elle l’ange gardien de tous ceux qui exercent des responsabilités, les accompagnant dans l’exercice de leur autorité, l’application de la justice et l’entretien du bien commun.
Le prêtre prépare le miracle de la transsubstantiation, tout le monde se tait. Dans le choeur de l’église, bien en vue de ceux de la nef, un père rasé de frais et une mère alourdie par la naissance des cinq enfants qui l’entourent sourient, ils semblent sortis d’une image d’Epinal.

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Le gros des fidèles se rend en cortège jusqu’au cimetière, les curieux s’y rendent par le chemin des écoliers, je récupère mon vélo, les gendarmes ne sont plus là, j’emprunte quelques sens interdits. Le président de l’ADMP témoigne de sa fidélité et de celle des siens à l’illustre soldat qui repose ici, dans l’attente de la translation de sa dépouille à Douaumont.
Il cite longuement son héros qui, le 23 juillet 1945, avait pris la parole devant le tribunal politique qui prétendait le juger, disant en substance qu’il avait passé sa vie au service de la France, qu’il l’avait menée à la victoire en 1918 puis, alors qu’il aurait mérité le repos, n’avait jamais cessé de se consacrer à elle, acceptant de revenir à sa tête lorsqu’on l’en avait supplié, devenant du même coup l’héritier d’une catastrophe dont il n’était pas l’auteur, les vrais responsables s’abritant derrière lui ; il n’avait fait en réalité que son devoir en demandant l’armistice, d’accord avec les chefs militaires, sauvant ainsi la France et contribuant à la victoire des alliés en assurant une Méditerranée libre. On peut lire la suite de cette déclaration dans les livres d’histoire.
Au terme de cette partie officielle, chacun prend contact avec son voisin, un membre de Jeune Nation demande au secrétaire de l’ADMP s’il dispose de photographies du maréchal, format 20 X 30 ou cartes postales. Un autre évoque l’interdiction de l’Oeuvre française, trois photographes tournent autour des protagonistes, une femme déplore que de nouvelles tombes aient été placées devant la tombe du maréchal, il avait plus de place avant, c’était tellement plus agréable.
Un membre de l’ADMP insiste auprès d’un journaliste japonais sur la position apolitique de son association ; notre but est la translation de l'illustre soldat de l'île d'Yeu à Douaumont et la révision du procès de 1945, c’est tout. Le chef de file de Jeune Nation, qui ressemble de moins en moins à l’animateur d’une colonie de vacances, insiste au contraire sur le rôle politique de la leur et rappelle à un journaliste de Sept.info qu’il n’y a plus ni famille, ni patrie, ni travail.
Je m’éclipse, passe la fin de l’après-midi à l’Escadrille pour en savoir plus sur ce que j’ai vu. On va pique-niquer sur la plage du Cours du Moulin sans prendre en compte la fraîcheur du soir, on revient tôt ; m’arrête sur la plage de la Borgne qui me livre un dernier tesson. Je fais encore une halte au cimetière ; le chef de l’Etat français a passé par là et déposé une gerbe au vainqueur de Verdun. Si on regarde bien, on devine qu’elle provient du fleuriste qui a préparé celle qu’ont déposée les membres de l’ADMP. Toujours cette même interrogation devant l’océan, la marée qui monte, la marée qui descend.

Jean Prod’hom

La pointe du But

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Cher Pierre,
La longue descente à vélo sur la rue Ker Pierre Borny, à 6 heures 30, me met l’eau à la bouche, comme hier et avant-hier ; je me plais à imaginer qu’elle se prolonge quelques kilomètres encore.

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Personne sur la plage de la Borgne où je fais halte, à tout hasard ; en repars bredouille. Monte à l’étage de l’Escadrille où je mets à jour le billet de la veille ; les habitués s’installent, règlent au téléphone les affaires qui ne peuvent pas attendre : commerciales, de coeur ou boursières. Mes journées semblent raccourcir, comme si elles avaient un souffle au coeur, la plage a mis la main sur le gros de nos après-midis, j’en vois le bout à midi déjà.
Toute l’île est à nouveau sous le soleil, j’ai pu le vérifier en en faisant le tour ; je roule jusqu’à la Pointe du But, trois bateaux tournent autour des récifs des Chiens Perrins et de la balise qui les signale ; continue jusqu’au Châtelet et la plage des Sabias où je retrouve Sandra. Oscar vit sa vie, sans laisse ; je lis un peu et prends du plaisir à regarder les filles qui collectent des coquillages.

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Je continue mon tour au large du Vieux Château, longe l’ancienne carrière Fourneau qui a fourni pendant pendant trente ans le gravier et la pierre à la construction locale, condamnée en 1995 lorsque la Côte sauvage a rejoint les sites classés de France. Les travaux de réaménagement ont débuté il y a quelques années, l’ancienne carrière, comblée en partie par les graviers et les pierres de démolition, deviendra combe, alimentée en eau douce pour fournir un milieu favorable à la faune et à la flore. Les travaux ont visiblement pris du retard.
Il y a plus de monde au café de la Meule que dans la chapelle qui surplombe le port, j’espérais quelques ex-votos, je ne trouve qu’une vierge au teint pâle entourée de moulures bleu-néon. Continue jusqu’aux Vieilles, La Croix et le cimetière de Saint Sauveur – pichets bleu et rouge – fais une visite-éclair à la mosaïste de Saint-Sauveur avant de rentrer à la maison.
Sandra et les filles ont préparé des crêpes, et comme si l’après-midi n’avait pas suffi, les grands retournent jusqu’à la nuit à la plage des Vieilles. J’en profite pour suivre le soleil qui roule derrière l’horizon ; la nuit déborde, orange d’abord, sombre et verte ensuite, se mêle enfin à l’huile épaisse de l’océan.

Jean Prod’hom

Julien Gracq envie les peintres et les sculpteurs

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Cher Pierre,
Je me penche ce matin sur les 9 ensembles de 5 photographies qu’Yves et Anne-Hélène m’ont fait parvenir hier, sans méthode et en craignant le pire. Seule méthode dont je tire parfois quelque chose, lorsque je me sens démuni et que ma tâche demeure imprécise, séparée de mes forces.

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Je m’avise pourtant, chemin faisant, qu’hésitant sur le tour à donner à ce que je me suis promis d’écrire, un carrefour se présente ; chacun des neuf textes pourrait en effet commander – dans leur langage – les cinq images en leur fournissant l’équivalent d’une légende ; ou se faire l’allié de l’une d’elles et ramener les autres à son aune ; mais ce serait dans les deux cas renoncer aux pouvoirs de l’écriture, succomber à la fascination des images et à leur manie rétrospective.
Ces photographies n’ont au premier regard rien à faire les unes avec les autres, ou de très loin. Elles sont cependant toutes des images cueillies sur le bord du chemin, taillées pour qu’elles entrent dans des cadres, séparées par ce qui se révèle être des gouffres qu’il serait vain de vouloir combler.
Bien au contraire, à moi donc de souligner les mondes invisibles qui tout à la fois les séparent et les unissent, en empruntant à chacune d’elles un peu de ce qui les déborde, les porte et ainsi prospecter en direction de leur lointain, c’est-à-dire de l’autre côté de la taille.

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On passe l’après-midi aux Vieilles, un peu dans l’eau et beaucoup sur le sable. Nous faisons à manger avec Zoé, cinq kilos de moules marinées dans des échalotes, du persil et du vin blanc. On reste entre adultes dans le jardin alors que la nuit tombe et que les enfants font une expédition chez Tatie Bichon. Je reçois un message qui me réjouit, Claire nous invite au vernissage de son exposition à l’étage du Musée de la Pêche ; mais il faudra voir, nous partons pour le continent samedi matin, tôt.
Julien Gracq envie les peintres et les sculpteurs ; ce qu’il leur envie, c’est le miracle d’économie, le feed back de la touche et du coup de ciseau qui dans un seul mouvement à la fois crée, fixe et corrige ; c’est le circuit de bout en bout animé et sensible unissant chez eux le cerveau qui conçoit et enjoint à la main qui non seulement réalise et fixe, mais en retour et indivisiblement rectifie, nuance et suggère – circulation sans temps mort aucun, tantôt artérielle, tantôt veineuse, qui semble véhiculer chaque instant comme un esprit de la matière vers le cerveau et une matérialité de la pensée vers la main. Je me trompe peut-être, mais il me semble qu’avec le numérique l’écriture, pour qui le veut, peut devenir peinture ou sculpture : je crée, fixe et corrige en un seul geste, tandis que ce qui apparaît à l’écran me permet de rectifier immédiatement, de nuancer et me suggère touches et coups de ciseau.
Je reçois en soirée un mail d’Alain Chanéac, le responsable de faire part, cette revue ardéchoise dont le siège est situé à 40 kilomètres de Vals-les-Bains où nous avons passé quinze beaux jours en 2014. C’est Jean Gabriel Cosculluela qui est à l’origine de ma participation à ce numéro. Alain Chanéac me renvoie, bellement mis en pages, les douze proses que je lui ai envoyées.

Jean Prod’hom


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Plage des Vieilles

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Cher Pierre,
Trois bonnes nouvelles ce matin ! Arthur s’est levé à un peu plus de 8 heures, sans rien dire à personne, il a fait le tour de l’île à vélo, une vingtaine de kilomètres, seul, s’est baigné en route, entre la Pointe des Corbeaux et la Grande Conche ; il nous raconte au retour ses aventures avec une espèce de fierté. C’est à l’aune de ce type d’événements que je considère avec un peu de sérénité son avenir et celui de notre espèce ; je prends aussi conscience que certaines de nos orientations n’ont peut-être pas été vaines. Malgré les deux pains complets et les deux baguettes que j’ai achetés à Port-Joinville, le bosco craint la disette, il repart à la boulangerie que je viens de quitter et en ramène deux baguettes supplémentaires. Cet été est un peu son été, on a désormais chacun le nôtre.

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Sandra a reçu un message de Michel, les travaux ont repris au Riau, c’est la seconde bonne nouvelle. Le peintre est à ses oeuvres, les meubles de la salle de bains seront posés mercredi. Il est donc possible que, lorsque nous rentrerons, nous débarquions dans un chantier moins lourd que celui que nous avons quitté.
Troisième bonheur, j’ai trouvé ce matin, sur la plage de la Borgne, une pierre qui m’a fait rêver le reste de la journée ; c’est un fragment de terre cuite sur lequel on distingue les plis d’une jupe ; la manche retroussée d’une blouse blanche d’où sort un avant-bras – le gauche ; dans la main droite une baguette. Au verso l’essentiel des indications de fabrication, il s’agit du fragment d’une assiette née dans les faïenceries de Sarreguemines en Alsace, une scène champêtre dans un décor Obernai.
Il a plu cette nuit, elle part et puis revient jusqu’au soir, si fine qu’elle n’afflige pas nos humeurs, elle donne à la plage des Vieilles où l’on passe l’après-midi un air de Bretagne, l’île en avait bien besoin.
J’ai reçu d’Yves et Anne-Hélène les 9 ensembles de 5 photos qu’ils m’avaient promis ; je ne connais rien des raisons qui ont présidé à leur choix. A moi d’écrire quelque chose pour chacun d’eux. On arrive au bout de juillet, je ne dois pas tarder
Je retourne à l’Escadrille en fin d’après-midi. Martin prépare le repas, Sandra et Valérie sont allées acheter des vêtements, les enfants sont au cinéma. Je finis par mettre la main sur l’assiette d’où provient le fragment que j’ai trouvé ce matin, on y voit une gardeuse d’oies, habillée en Alsacienne par Henri Loux (1873-1907) pour les faïencerie de Sarreguemines. Elle conduit ses trois oies à une espèce de mare crémeuse et tourmentée, le chemin de sable rose sort de haies vives, des nuées grises traversent le ciel. Comment ce morceau est-il arrivé sur la plage de la Borgne, c’est naturellement une autre histoire.

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Jean Prod’hom

Plage de la Borgne

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Cher Pierre,
A l’étage de l’Escadrille, qui met à la disposition de ses clients une connexion wifi, tu peux t’asseoir sur l’un ou l’autre des bancs qui font le tour de la pièce comme dans une salle capitulaire ; avec l’océan, les cris des goélands et le continent qui te poussent dans le dos ou sur l’un des confortables poufs qui leur font face.

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Claire Le Baron, à qui je disais hier mon étonnement de trouver si peu de pierres, bois, fers roulés et ramenés par la marée sur le littoral de l’île d’Yeu, m’avait confié qu’une de ses amies se rendait volontiers sur les plages des Bossilles et de la Borgne sous le Super U. Je m’empresse de m’y rendre ce matin, avec un k-way sur le dos ; le ciel est gris, l’océan aussi, sans ourlet, thermocollés.
Mon dernier séjour sur les côtes atlantiques datent d’il y a une dizaine d’années, mais je retrouve vite ce plaisir-là ; une heure à aller et venir, retourner des leurres, éviter la vague, ramasser enfin deux belles pierres à l’extrémité de la plage de la Borgne que je glisse au fond de ma poche.
Les cloches sonnent à l’église de Notre-Dame-du-Port et la foule se presse sur le parvis pour le seizième dimanche du temps ordinaire. Les quatre prêtres qui officient, si j’ai bien compris, sont en vacances sur l’ìle, ils se présentent. Il y a l’archiprêtre de la cathédrale de Bourges ; un prêtre en mission à Vienne ; un autre, sans mission, baptisé il y a 80 ans dans cette même église ; et, plus curieux, l’un des aumôniers des artisans de la fête, c’est-à-dire des forains, des gens du cirque et des artistes de rue. C’est ce dernier qui se charge de l’homélie, il y est question du berger et de ses moutons, mais aussi des moutons et de leur berger. Je m’éclipse avant de connaître le fin mot de l’histoire, je le devine, on m’attend à Ker Borny.
Le ciel crachineux de ce seizième dimanche du temps ordinaire nous invite à lézarder sous toit : jeux de cartes, discussions théologiques, visites de frigo, siestes, lectures. Pour donner un profil plus honorable à cette fin de journée, je redescends sur la plage de la Borgne, la mer est basse ; vais et viens sous l’oeil intrigué d’un tournepierre à collier, me penche et me redresse, retourne enfin une pierre qui cache une merveille et à laquelle je promets les hauts de casse.

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L’abondance ou la rareté des tessons sur une île ne joue évidemment aucun rôle dans l’émotion qu’elle peut susciter, n’augmente ni ne diminue son attrait ; elle constitue toutefois, dans certains cas, un puissant indicateur sur l’état de santé de ses habitants, de la relation que ceux-ci ont avec leurs déchets, éclairée ou aveugle ; de la confiance qu’ils placent en les pouvoirs de l’océan de reprendre et digérer ce que l’homme en a momentanément tiré.
Les enfants passent à la caisse à 19 heures, chacun reçoit 20 euros pour manger ce qui lui plaît. On se rend de de notre côté aux Bafouettes, On y mange bon, très bon.

Jean Prod’hom


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La Grande Conche

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Cher Pierre,
Si le centre de Port-Joinville ne désemplit pas jusqu’à tard dans la nuit, les plages du nord-est de l’île se vident tous les jours à mesure qu’on s’approche de la Pointe des Corbeaux. On déroule nos onze linges sur le sable de la Grande Conche, l’eau est froide ; on passera plus de temps dehors l’océan que dedans ; depuis que nous sommes sur l'île, Oscar n’y amis que les pieds. Derrière nous, les lagures, les jasiones et les chardons bleus se partagent la ligne de crête de la dune, ici et là une espèce d’oeillet rose. Si j’osais déranger Claude Bugeon une nouvelle fois encore, j’irais m’informer rue des Mimosas.

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C’est à mon tour, au retour, de tirer le charroi, vent debout, avec Oscar calé entre glacière et combinaisons détrempées ; trois vitesses pour venir à bout de la route qui longe la côte – Sandra m’accompagne –, la rue de la Filière et la rue de la Belle Poule, le chemin Frinaud et un court segment de la rue Georges Clémenceau, la route des Sicardières et celle de la Vigne. Ça aura été, je crois, l’unique façon de prendre conscience de ce que les autres ont enduré, Sandra surtout. On se change avant de redescendre au port.
Les galeries de peinture se succèdent sur les quais ; je suis allé ce matin jeter un coup d’oeil aux natures mortes de Frédéric Choisel. L’homme a du métier : les artichauts, les oignons et les tomates, les pivoines et les oeufs ; les poires, les pots, les pichets et les plats semblent tout droit sortis d’une dressoir laqué du XVIIème siècle, intacts, sans poussière ; il y a même un arrosoir.
Je monte à l’étage du Musée de la Pêche, Claire Le Baron y expose une vingtaine de photographies, les fenêtres sont ouvertes, un peu partout des fleurs, pétales et bouquets ; mais d’autres cueillettes aussi : des vagues, des sardines, des reflets, des cageots, des plastiques, des flotteurs, des bateaux. Une de ces photos m’intrigue tout particulièrement, on y voit deux pots bleus avec un estagnon d’huile de vidange, bleu lui aussi. J’ai fait l’autre jour une variante de cette photographie, ce sont en effet les pots suspendus du cimetière de Port-Joinville, seule la couleur de l’estagnon d’huile a changé. Tout s’en suit, on discute le coup, de son appareil-photos, semblable au mien, qu’elle emporte partout ; elle pinseye à qui mieux mieux et conclut ses explications par des « Et voilà ! » de modestie, convaincue que le sourire peut faire bon ménage avec l’art et que tout ce qu’on donne n’est pas à reprendre. Elle écrit quelque chose de très joli à propos des fleurs :

On soupçonne tout ce qui touche les fleurs de mièvrerie, on leur reprocherait même leur joliesse. Pourtant joli comme ça, avec du beau à l’intérieur, tout le temps, capable d’accompagner nos saisons, de résumer le vie, sa fin et ses espoirs à tous les coins de chemins, de jardins, aussi obstinément, à force, ça devient bouleversant.

Il est 19 heures 30 lorsque je remonte à Ker Borny ; Martin est une perle, il nous a préparé des pâtes aux seiches, Zoé des crêpes. Après le repas, les enfants vont jouer un moment encore dehors, jusqu’à la nuit. Le silence se fait au salon, un silence profond, on lit Gala, Voici, Grazia, Point de Vue, Elle. De quoi alimenter nos rêves en têtes couronnées tout en nous tenant à l’abri des guillotines. Je lis avant de m’endormir le dossier complet qu’Antoine Michelland a consacré au baptême de Charlotte de Cambridge dans le dernier Point de vue. Où trouvent-ils la force de sourire ?

Jean Prod’hom


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Saint-Sauveur

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Cher Pierre,
De notre lit ce matin, il est difficile de déterminer avec certitude, comme hier d’ailleurs, si le ciel est nu où s’il se cache derrière la pâleur uniforme des nuages ; je me lève pour vérifier, ferme les volets, Sandra dort. C’est seulement en m’arrêtant sur la route de Cadouère que j’aperçois des plis dans la couverture nuageuse et quelques coulées d’argent, j’en profite pour mettre le nez dans les chèvrefeuilles en fleurs.

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Ils sont trois au café du Centre, cigarette aux lèvres, à se refiler des tuyaux sur le mouvement des poissons ; deux d’entre eux travaillent sur le Challenger et pêchent à la canne, ramassent les lançons avec lesquels ils appâtent le bar. Leur bateau est au bout du ponton où un troisième collègue les attend. Je les vois bientôt enfiler leur ciré et relever les bouées.
Je reste avec Désiré, un patron un peu désabusé mais l’oeil vif et la langue bien pendue. Désiré pêche au palan, il me raconte la disparition des activités sur le plateau ; il y a 50 ans, il y avait au port autant de bateaux que de tombes au cimetière, les marins étaient même un peu cache-crue (?) ; mais l’impéritie des politiques, l’ineptie des règlements, le coût de la sécurité, les contraintes écologiques les ont vidés, eux et le port. Ils ne sont aujourd’hui qu’une dizaine, au palan, à la canne ou au petit filet ; et il n’y a guère que deux gros bateaux qui partent pour la semaine. Quand il s’est mis au boulot, il y a trente ans, 27 bateaux ont jeté l’ancre la même année, définitivement. Désiré rit, Désiré est pessimiste, Désiré s’en va sur son palangrier, seul à bord comme son père, faire sa tournée habituelle. Jusqu’à quelle heure ? Il n’en sait rien. ça dépend de lui, et du poisson.

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Les réseaux sociaux on ceci de bien qu’ils vous mettent en contact de très loin avec des gens qui sont tout près. Bernard Bretonnnière, un habitué de l’île, qui lit ces notes et à qui je demande des informations sur deux fleurs aperçues sur la dune, me communique l’adresse de Claude Bugeon, rue Mimosas à Saint-Sauveur ; cet homme à tout faire me reçoit dans une petite pièce remplie de ses bouquins, de ses peintures, de ses gravures – celles de sa femme aussi. Claude Bugeon s’est réfugié sur l’île en 1982 et s’est mis en tête de sauver ce qui pouvait l’être encore ; il a commencé à faire l’inventaire de tout se qu’on peut rencontrer sur l’île : faune, flore, géologie, économie, préhistoire, histoire... Il n’a pas non plus hésité à batailler contre les élus locaux prêts à livrer leur île aux forces de l’argent, il a fait interdire un golf sur la Côte sauvage, classer l’île dont le tiers désormais est inconstructible ; l’indépendance du bonhomme lui a permis de tout dire si bien qu’il ne s’est pas fait que des amis.
Les montgolfières que j’ai observées l’autre jour sur la dune sont en réalité des lagures ovales, et les petites bleues, qui avaient la coiffure hirsute des raiponces, des jasiones des montagnes. Je repars de chez lui avec le premier volume de son journal : Perpetuus Liber (1982-2005), de Yeu, Nature & esprit d’une île – un livre plein de mots commençant par une majuscule et, piquée sur son lexique, la définition du mot cache-crue entendu ce matin dans la bouche de Désiré.

Cache-crue
: oiseau le troglodyte. Parfois donné aussi au roitelet. Tous deux espèces très petites et fugaces. Par ce fait on utilise ce mot pour désigner un gros cachottier, car ces oiseaux sont souvent dans les frondaisons avec des comportements vifs et discrets. La seconde partie du mot (« crue ») souligne bien le sens de « vigoureux » connu au figuré pour le latin crudus.

Je m’arrête encore à la Dilettante, achète à la vigneronne une bouteille de rosé, lui transmets les salutations de François qui m’a soufflé son adresse, elle me parle alors de Marie, de Constance et de Constantinople. Je repars avec sous l’autre bras la correspondance d'Henri Calet et de Raymond Guérin. Il est près de 13 heures lorsque je retrouve les miens à Ker Borny. Tout s’enchaîne alors selon une belle nécessité : catamaran à la Pipe, balade sur la plage, grillades le soir, descente expresse chez Tatie Bichon : gaufres.

Jean Prod’hom

Le monde entier les avait abandonnées

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Cher Pierre,
Le texte que j’ai commis ne précède ni n’annonce quoi que ce soit, il est plutôt un supplément dont le corps principal pourrait volontiers se passer. La préface deviendra une postface, et c’est bien ainsi.

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Quatrième jour de catamaran, le vent a forci sur la plage de la Pipe et les enfants prennent du plaisir ; il bascule au milieu de l’après-midi et cinq d’entre eux chavirent : Lili et May se retrouvent soudain en haut de la coque bâbord, se jettent courageusement à l’eau avant de prendre pied sur la coque tribord qui devient leur refuge ; je fais des photos de leur naufrage, dix-sept interminables secondes pour ces gamines de 11 ans, et leurs parents qui, malgré leurs sourires, n’en mènent pas large ; Benjamin file à leur rescousse, leur donne un coup de main pour redresser l’embarcation. Quant aux trois grands, ils tournent leur catamaran à deux reprises, la première fois parce qu’ils n’ont rien vu venir ; la seconde lorsque l’un d’entre eux se suspend au trapèze face au vent et, plutôt que de contrebalancer la gîte du bateau précipite tout l’équipage à l’eau.
Deux heures donc à ne rien faire, sinon à les regarder évoluer du haut de la Pointe du Pè-de-Coulon, avec une inquiétude qui croît lorsque le bateau de Lili et de May, à la cape, dérive comme une coque de noix en direction de l'Amérique. Benjamin, qui est au four et au moulin, les rejoint 10 minutes plus tard alors qu'elles et leur bateau ne sont qu'un point évanescent, ils les remorque derrière son zodiaque. Elles nous raconteront plus tard, lorsqu’elles auront mis pied à terre, qu’elles avaient eu assez de temps, seules, pour se convaincre l'une l'autre que le monde entier les avait abandonnées.
J’ai rendez-vous au salon de Léa à 17 heures, son employée a du retard ; j’en sors à 17 heures avec une coupe à la Steve Warson. Je fais quelques courses en remontant, les filles ont préparé des pizzas et un tiramisu de fraises.
Il y a de la fatigue dans l’air, chez les enfants et chez les parents. Les plus optimistes promettent à ceux qui le sont moins que tout le monde sera au lit à 22 heures ; à 23 heures, rien n’est encore fait.

Jean Prod’hom

Les préfaciers devraient écrire des postfaces

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Cher Pierre,
C’est à mon tour de tirer la charrette jusqu’au marché de Port-Joinville où Sandra me rejoint à pied autour de 9 heures avec Arthur, Louise et Oscar. Reprends sur la terrasse de l’Equateur, en les attendant, la préface à laquelle je n’ai pas touché depuis deux jours ; j’aperçois en transparence le fil directeur qui la traverse. J’ai travaillé dur, comme pour Tessons, par gros tas, petits tas et modelage ; ça prend du temps, mais je ne vois pas, en l’état, d’autres manières d’écrire.

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Je remonte à pied avec Louise et Sandra, par la citadelle, en essayant de résilier un abonnement qu’une femme-araignée m’a vendu pour l’utilisation de mon natel depuis l’étranger, c’est un attrape-nigauds. S’il lui a été facile de me convaincre de rejoindre sa toile et sa glu, – il a suffi d’un clic –, ce sera assurément une autre histoire de m’en défaire ; les mouches le savent bien.
On déjeune une nouvelle fois dans le jardin, mais toujours plus tardivement : c’était 10 heures le premier matin, c’est 11 heures passées aujourd’hui.
Tandis que les enfants, Sandra, Martin et Valérie se rendent au Centre de voile, je reste avec Oscar à Ker Borny. Il me faudra quatre heures et demie pour arriver à bout de ce texte, en doutant franchement que l’auteur y trouve son compte. Je décide donc de le lui envoyer avant d’aller dans le détail. Avec le sentiment pourtant que quelque chose se libère, et la conviction que je ne pouvais pas écrire autre chose, mais également que ne pouvais pas écrire cette même chose autrement. Il est temps que je passe à autre chose, mais cette autre chose c’est Grignan, et Grignan, c’est encore un peu la même chose.
On se rend à 23 heures sur la prairie de la Citadelle où l’on projette La Chèvre, un film de Francis Veber ; on en revient refroidis. Je reçois un mail de l’auteur du livre dont j’ai été chargé d’écrire la préface ; certains éléments du texte que je lui ai fait parvenir sont, dit-il, trop complexes pour le public à qui il destine son livre, il est en outre un peu trop long. L’auteur me fait parvenir une introduction en fichier attaché, nos textes font double emploi ; me voilà fort emprunté, mais la situation intéressante. Une réflexion assez sommaire, face à l’océan, sur les relations problématiques des auteurs avec leur préfacier m’amène, yeux mi-clos, à conclure ceci : les préfaciers devraient écrire des postfaces.

Jean Prod’hom

Pierre-Levée

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Cher Pierre,
Longue trotte ce matin à vélo, un peu après 6 heures, par Ker Bossi, Saint-Sauveur ; les Vieilles, par La Croix jusqu’à la pointe des Corbeaux à l’extrémité est de l’île. Retour par la Grande et la Petite Conche ; par le Marais salé et le Centre nautique. Les massifs d’hortensias et les roses trémières fragiles et solitaires se partagent équitablement les façades des maisons, quelques lauriers aussi, quelques roses.

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Au port les rescapés de la fête nationale, branlants et avinés, se réjouissent du bon tour qu’ils ont joué à la nuit ; mais, soudain inquiets, ils se demandent d’où ils viennent, plus encore où ils vont, seuls ou à deux ; à respectable distance les uns des autres pour éviter les collisions et les brouilles. Je m’assieds à la terrasse de l’Equateur, la serveuse me demande si je prends la même chose, me lance un à demain lorsque j’enfourche ma bécane.
Julien Gracq et Jean Carrière qui l’interroge ne sont pas tendres avec le Grand Meaulnes, ne voyant dans la première partie que du merveilleux plaqué sur le réel, alors que, me semble-t-il, le merveilleux, si tant est qu’on peut l’appeler ainsi, semble surgir de la masse dans laquelle il sommeillait. Quant à la seconde partie, taillée à la hache, au romanesque décousu, en miettes, elle n’abîme pas le Grand Meaulnes, elle réussit au contraire à faire voir et entendre rétrospectivement le réel enchanté de la première, le réel délivré de ses chaines, l’enfance entière et oublieuse.
Les enfants descendent de leur catamaran lorsque le vent forcit ; on rentre une nouvelle fois à la queue-leu-leu ; mais je leur fausse compagnie à l’entrée de Port-Joinville, file à la Maison de la Presse avant de m’arrêter au cimetière où une veuve m’indique la tombe que je cherche ; celle d’Emile Taübel, coiffeur allemand à Paris, interné à Pierre-Levée au commencement de la guerre, mort sur l’île en 1917 d’une pleurésie, il avait 45 ans. C’est ce que m’a appris l’exposition présentée dans la cour de la citadelle que les garçons nous ont fait traverser hier soir lorsque nous nous rendions au feu d’artifice. La tombe de l’Allemand a subi une rotation de 180 degrés, comme celle du Maréchal Pétain pour lequel une messe sera dite le jeudi 23 juillet dans l’église de Notre-Dame-du-Port. La tombe de Pétain est à l’abri de hauts cyprès, celle de Taübler est surmontée d’un beau relief de pierre blanche, transparente, c’est le visage du Christ aux douleurs qu’un jeune interné autrichien a réalisé à la mort de celui qui était devenu son ami, Rudolf Willersdorf, en résidence d’artiste à Paris, déporté à Noirmoutier sitôt la guerre déclarée, à Pierre-Levée ensuite jusqu’à l’armistice.
Les virées à vélo de ces derniers matins m’ont mis sur les genoux, Valérie et Sandra sont allées se coucher, j’entends Martin qui joue derrière la maison avec les enfants, les nouvelles du jour me tombent des mains.

Jean Prod’hom

Port-Joinville

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Cher Pierre,
Le ciel est couvert devant les anciennes conserveries de Port-Joinville, je fais quelques photos. Tire ensuite trois longs bords pour une maigre collecte ; les caractéristiques de la grève me semblaient pourtant tout à fait comparables à celles de Kérity où la pêche a été si souvent miraculeuse. Fais halte au retour à l’Equateur, la jeune femme à qui je veux passer commande anticipe : c’est bien un cappuccino et un jus d’orange que vous désirez, comme hier, y aurait-il raison, diable, que les choses changent et que vous vous vous rendiez demain chez le concurrent ? J’hésite à contrarier son plan, mais il serait idiot de refuser, aux premières heures, l’occasion qu’elle m’offre de me taire.

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Yves m’envoie un mail, il m’indique qu’Anne-Hélène et lui ont bifurqué une nouvelle fois ; mais à y regarder de près, ce n’est qu’un aménagement de la même idée : les ensembles de cinq photos sont toujours prévus, disposés cette fois sur des tables basses (58 x 38 x 58), couleur gris clair ; les photos sont glissées dans des enveloppes pergamine, qui remplacent donc les boîtes. Hâte de recevoir ces ensembles pour rédiger ce qu’ils appellent les textes de référence.
Je rentre sur ces bonnes nouvelles, le gros de la maisonnée dort, il est 9 heures ; mais Lili bientôt, May, Sandra, Oscar et Louise, aux commandes du vélo à la charrette descendent à la boulangerie pour acheter du pain qu’on tartine de miel et de confiture sous le parasol. Tout le monde est réveillé, le ciel est bleu.
On désœuvre trois bonnes heures, Sandra douche Oscar, Lili et May joue à Ben-Hur, avec les risques que cela comporte ; les garçons ont quinze ans et ça se voit, je lis deux entretiens de Jean Roudaut avec Julien Gracq.
Il y a, en début d’après-midi, un peu de tension sur la plage de la Pipe, chez les enfants et chez nous, on remet en effet pour deux heures et demie nos enfants aux mains d’inconnus. Les deux petites, avec d’autres du même âge, ont besoin d’un peu de temps pour prendre possession des trois catamarans que les animateurs remorquent au large de Port-Joinville ; le vent d’ouest les ramènera au Centre quoi qu’il arrive. Elsa et Louise sont déjà bien loin et semblent bien décidées à se passer de nous ; quant aux trois grands, qu’ils continuent à filer ainsi, vent arrière, en direction du levant ; mais qu’ils apprennent qu’il leur faudra désormais, s’ils souhaitent qu’on les nourrisse encore, tirer de sérieux bords pour remonter le vent jusqu’à la maison. J’essaie, sans le succès escompté, de photographier des papillons jaune-orange qui butinent les immortelles.
Disons qu’on s’est un peu simplifié la vie, Zoé et moi, en achetant trois poulets sortis du grill, des pommes-de-terre frites congelées et des tomates de toutes les couleurs, qu’il a suffi respectivement de glisser au four et d’émincer en rondelles. On repart au port pour le dessert, à la queue-leu-leu, sans Oscar auquel on a confié les clés de la maison ; file indienne à nouveau chez Tatie Bichon pour une gaufre ou une glace, cortège enfin conduit par le porte-enseigne de la fanfare de Saint-Hilaire, caisses claires, trompettes et clairons qui ouvrent les festivités du 14 juillet.
On rentre après un beau et interminable feu d’artifice, laissant derrière nous, au pub de l’Escadrlle et sur la place du port, des restes de rock 'n' roll et les flonflons d’un bal musette, pédalant dans la nuit noire balayée par les lueurs drapées du grand phare.

Jean Prod’hom

La plage des Sabias

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Cher Pierre,
Les goélands, leur nombre, leurs yeux, leurs cris, la tache de sang sur leur bec effraient, j’appuie sur les pédales, le sentier de la pointe du Châtelet au Vieux Château est étroit, des bancs de brume se prennent à la lande.

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Le calme revient au port de la Meule, un retraité lève l’ancre ; la Gazelle repose sur le flanc, plus haut sur l’estran. Je rentre par Saint-Sauveur, l’église est fermée ; sur la place, les exposants mettent à l’abri les étals qu’ils n’ont pas eu le courage de plier hier. Depuis que je suis parti ce matin à 6 heures, plusieurs dizaines de lapins, surpris dans les jardinets des maisons des vacanciers traversent la route en coup de vent et disparaissent dans les ronciers épais ou sur la dune.
Bois un café et mange un pain au chocolat à l’Equateur, il est 8 heures ; les jeunes tenanciers des bars de Port-Joinville préparent leur terrasse, embarqués pour l’heure dans la même histoire ; ils sourient, plaisantent avant de redevenir des rivaux ; les clients sont encore rares, on devine qu’il en ira autrement tout à l’heure ; à l’Equateur le wifi est libre, je relève mon courrier. M’arrête au cimetière en remontant ; avec leur hautes croix blanches, on dirait un port de plaisance bondé, mais ici pas d’accastillage, pas de souplesse, la mer est de terre ; les tombes s’enlisent, quelques-unes se déchaussent, d’autres se brisent ; les vagues sont comme des statues de sel ; des jarres à anse, en plastique bleu, sont suspendues à des crochets en trois endroits du cimetière. Me demande bien ce qu’est venu faire Pacifique Ricolleau dans ce bazar
Oscar devra s’y faire, sanglé de près dans le charriot fixé à l’arrière du vélo de Sandra, surveillé par Louise qui les suit. On se rend au Casino faire quelques course ; je monte à Notre-Dame-du-Port d’où j’entends les grandes orgues s’ajouter aux dunes pour contenir l’océan.
Il y aura du va-et-vient toute la journée entre Port-Joinville, la plage des Sabias et Ker Borny ; il convient en effet, à douze, de s’accorder au plus vite sur la forme de l’île, de fixer quelques amers, se familiariser avec deux ou trois itinéraires, et pour certains, apprivoiser quelques noms propres.
Je crois voir, un peu avant minuit le bout de la préface qui m’a été demandée, je constate à ma stupeur que ce n’en est pas une.

Jean Prod’hom

Ker Borny

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Cher Pierre,
La ville de Poitiers, comme celle de Lübeck, entretient soigneusement les traces de son ancienne prospérité ; elle abrite aujourd’hui, comme la petite ville du Schleswig, des grappes d’étudiants qui peinent à se réveiller le matin ; pas un bruit dans la rue, on n’ouvre l’oeil qu’à 8 heures.

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La moquette de l’hôtel de l’Europe où l’on a passé la nuit donne une image assez juste de l’état de notre continent : les bords s’effilochent, le centre est usé jusqu’à la corde ; les dirigeants racontent à qui veut que les étoiles brillent encore, si bien que la grande brocante passe aux yeux du naïf pour un magasin d’antiquités, l’usure pour de la patine, le Mont-de-piété pour une banque.
Pendant que Sandra et les enfants font quelques courses au marché, je vais poster un colis pour Chamaret avant de faire une visite à Notre-Dame-la-Grande ; y fais la connaissance de saint Expedit à qui les étudiants, lorsqu’ils sont à la bourre, ont l’opportunité de demander un peu d’aide. Les ex-votos au pied du saint indiquent qu’ils sont nombreux à recourir, avec succès, aux services express de saint Expedit.
Ma foi aura montré ses limites entre Poitiers et Niort, on roule en accordéon ; mes prières ferventes n’ont en effet pas convaincu le patron de la circulation routière qui a placé sur l’autoroute deux ou trois chicanes. Nous arrivons à un peu plus de 15 heures à Fromentine. Sandra est arrêtée par la gendarmerie nationale entre le parking et le point d’embarcation, pour avoir roulé cinquante mètres sans ceinture de sécurité et avec Valérie au bout du fil. Elle écope d’un avertissement, ça aurait pu être pire.
La maison qu’on va occuper à douze – un chien, sept enfants et quatre adultes – est à l’intérieur des terres, tout près de la citadelle. Elle ressemble à ces maisons de style international qu’on rencontrait autrefois à Cos et à Ibiza, mais qui ont colonisé aujourd’hui les rives des mers et des océans du monde entier.

Jean Prod’hom

Monsieur Picassiette d’Eduardo Franzosini

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Cher Pierre,
Les cuisinistes posent ce matin les derniers éléments tandis qu’on charge la voiture, avec les variations d’humeur que provoque immanquablement ce type d’événement. Pour couronner le tout, la connexion téléphonique nous lâche, et avec elle l’internet. Il est un peu plus de 10 heures lorsqu’on s’en va.

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Une étude très superficielle des itinéraires jusqu’à Fromentine me fait pencher pour celui de Bourg-en-Bresse, Mâcon, Montluçon, Bourges, Tours, Angers et Nantes ; pas sûr que le GPS auquel je confesse mon choix me donne l'absolution. Il nous envoie finalement en pénitence au nord, par Orléans et Chartres, sans qu’on puisse réagir à temps si bien qu'on ne quitte pas l’autoroute de la journée. Je cherche des yeux la maison où vécut Raymond Isidore, je ne vois que l’ivraie que laissent les batteuses. Poursuis la lecture de la curieuse biographie (Monsieur Picassiette) que lui a consacrée, il y a exactement 20 ans, Edgardo Franzosini.
Les K nous ont dépassés un peu avant Genève, on ne les reverra pas avant demain, ils nous ont parlé de Poitiers alors qu’on songeait à la Loire, Tours et pourquoi pas Saint-Florent-le-Vieil. Total les K dorment à Tours et nous à Poitiers.
Je termine la lecture du Monsieur Picassiette, qui me rappelle le Saint Benoît Joseph Labre d’André Dhôtel ; j’en extrais ceci : ... pour comprendre pleinement un homme et son oeuvre, plutôt que d’en lire la biographie, il vaudrait toujours mieux en écrire une soi-même.

Jean Prod’hom


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Dans la place forte

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Cher Pierre,
Les deux heures passées à la bibliothèque, sitôt réveillé, me font croire un instant que je suis entré dans la place forte, et que cette préface à laquelle je travaille depuis deux jours pourrait être hors d’eau en fin de semaine ; c’est de l’intérieur alors que j’aurai à terminer la bâtisse, pièce par pièce, de telle manière qu’on puisse passer de l’une à l’autre, quel que soit l’itinéraire. Je souris à l’idée que, lorsque j’aurai terminé, personne ne pensera une seconde aux efforts qu’il m’aura fallu déployer pour que ces quelques pages atteignent, comme je l’espère, leur point d’équilibre.

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Michel jette un coup oeil aux travaux qui seront entrepris pendant que nous serons à l’île d’Yeu, c’est lui qui sera notre répondant auprès de l’assistante de l’architecte avec laquelle nous avons rendez-vous à 14 heures ; le peintre et le chauffagiste nous rejoignent. On traite des détails dans lesquels se cache le diable, tout le monde semble mettre de la bonne volonté.
Les filles ont fait leur sac, Arthur peint avec sa mère la porte d’entrée. Ce soir, Sandra, Louise, Lili et leur frère descendent au Stade olympique pour Athletissima, je feuillète les premiers numéros du Passé simple, tout nouveau mensuel romand d’histoire et d’archéologie que j’ai reçus hier par la poste, m’arrête aux éditoriaux ; j’y lis plusieurs choses : d’abord que l’homme est plus fort que la machine et le croisement mécanique des données informatiques ne remplacera jamais l’esprit de finesse. Que les croyances, en histoire comme ailleurs, ont la vie dure. Et enfin, que les récits de fondation des groupes sont pris en charge tout autant par ceux du dedans que par ceux du dehors.
Il est temps de faire mon sac.

Jean Prod’hom

Double opération de jardinage

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Je laisse Louise au parking d’où j’aperçois, en contrebas, une grande tablée autour de laquelle les douze fillettes du camp déjeunent. Au café où je fais une halte en rentrant, la conversation de hier matin continue, mais plus trace du suicidé de la veille qui semble avoir commencé à se faire une place viable dans leur mémoire.

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Double opération de jardinage, je fauche le verger et, pour la première fois cette année, le talus. M’attaque ensuite au fouillis dans lequel j’ai laissé cette satanée préface hier avant d’aller me coucher ; deux bonnes heures ce matin à faire des andins puis cinq ou six tas cet après-midi, avec l’impression que tout n’est pas perdu, mais bien loin encore de cet archipel auquel il me faudra bien enfin toucher.
M’accroche avec Arthur à propos du travail libre et du travail rémunéré, il ne comprend pas l’intérêt du premier ; quant au second, il doit être naturellement vite fait pour rapporter plus ; nos points de vue sur la question sont actuellement irréconciliables, il est préférable que je m’éloigne ; coaché par sa mère qui termine de ranger la véranda dont j’ai rendu hier soir l’accès possible, Arthur se lance finalement dans le rafraîchissement de la porte d’entrée.
On voit le bout des travaux et le temps a fraîchi, ce sont les deux bonnes nouvelles du jour. Et puis Louise a passé une belle journée à Thierrens, elle me raconte un peu en rentrant ce qu’elle a fait ; sa conception du travail est diamétralement opposée à celle de son frère.
Marinette nous invite à manger, dehors ; on assiste impuissants, dedans, à la défaite de Wawrinka contre Gasquet. On ressort avec une petite laine.

Jean Prod’hom

Ces artistes-là avancent par à-coups

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Les choses vont leur chemin, j’ai vu hier Yves et Anne-Hélène, je m’y fais bien ; ces artistes-là avancent par à-coups, s’enflamment, refroidissent, bondissent, se raidissent, bifurquent ; c’est ainsi, semble-t-il, qu’ils trouvent des équilibres.

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On se quitte d’accord sur les points suivants : dans la salle du fond, quatre ou cinq casses d’imprimerie (65 x 52) posées sur des chevalets, avec quatre ou cinq textes tirés de Tessons, grand format, sur les murs.
A l’entrée, des ensembles de cinq photos choisies par Yves et Anne-Hélène (format carte postale) avec, pour les accompagner cinq textes écrits pendant l’été, le tout installé sur cinq panneaux posés sur des chevalets. Aux murs, les tessons des hauts de casse fixés avec des « gommettes » ; un texte, grand format, au statut à définir ; et peut-être un ou deux extraits de Marges (le livre ou le site).
Seront mis en vente, à des prix raisonnables, les vingt-cinq photos et les cinq textes écrits pendant l'été, glissés dans une boîte fabriquée ad hoc, série limitée.
Ma tâche consistera donc, dans les jours qui viennent, à choisir les extraits de Tessons pour la salle du fond, ceux de Marges pour l’entrée ; à rédiger, d’ici fin août, les cinq textes qui accompagneront les cinq ensembles de cinq photos que m’enverront Anne-Hélène et Yves vendredi prochain ; et puis choisir les textes qui seront lus à Grignan.

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C’est finalement à 9 heures seulement que je conduis Louise à Thierrens, les participants au camp déjeunent à l’ombre d’un tilleul. Je fais une halte au retour sur une terrasse ; à la table voisine, trois paysans boivent un café, l’un s’en va mais un autre aussitôt le remplace ; ils parlent, parce qu’ils ne peuvent pas y croire, du suicide de l’un des leurs ; ils bégaient des questions, cherchent une explication, évoquent la lourdeur de leur tâche, les paiements directs, les sautes d’humeur de la météo qui mettent sur leurs épaules une pression qu’on n’imagine pas, c’est ainsi qu’ils se serrent les coudes.
On bat le colza à Valeyres, il est vert à Chavornay comme à Saint-Cierges ; idem à Chapelle ajoute celui qui en revient ; à force, chacun sait ce qui se passe chez ses voisins et les informations vont jusqu’au bout du canton. Ils se sentent ainsi moins seuls. Lorsque je m’en vais, ils ne parlent plus du mort, l’obligation de vivre a été plus forte ; non pas qu’il soit oublié, au contraire, c’est parce qu’ils laissent au disparu le temps de chercher et de trouver sa place dans leur mémoire, ça prendra du temps. Le soleil tape fort, les trois paysans semblent tous avoir été baptisés avec leur casquette vissée sur leur tête.
Je passe le reste de la journée à rassembler quelques idées pour une préface qui me semblait une partie de plaisir ; mal m’en a pris, je ne vois toujours pas quel fil saisir, et si même il en existe un. Repars donc pour Thierrens où je fais quelques courses, Gwenaëlle est contente du travail de Louise qui y retournera demain. Je fais réchauffer en rentrant des raviolis en boîte qu’Oscar renverse lorsque j’ai le dos tourné ; on mangera une tomate, une pomme, une carotte, un morceau de fromage, quelques gnocchis et le reste du taboulé.
Un vent frais s’est levé en soirée, Lili regarde Grand Galop dans sa chambre, on fait le petit tour ; Louise et Sandra dans le sens des aiguilles d’une montre, Arthur et moi dans l’autre sens ; on parvient à les convaincre, au milieu du chemin, de revenir sur leurs pas.

Jean Prod’hom





Descends à 17 heures à Treytorrens

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Cher Pierre,
Les ouvriers ont attaqué ce matin les parquets du séjour et de la salle à manger, les deux pièces s’éclaircissent soudain. L’architecte est en voyage de noces, ce n’est pas la meilleure des situations, sans compter que nous ne serons plus là pour suivre les travaux – qui ne seront pas terminés vendredi. Son assistante qui le remplace a peut-être quelque chose à démontrer ; si c’est le cas, on peut partir sans crainte.

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La bibliothèque est dans un désordre tel que je décide de monter mon ordinateur dans les combles. J’envoie à la revue qui m’en a fait la demande les 12 textes que Françoise a relus ; j’informe le responsable qu’ils devraient être assez indépendants pour se partager une page, j’ajoute lâchement qu’ils peuvent même être réduits à 11, 10, 9,… 2, 1 et même zéro.
Louise a besoin d’un pique-nique pour demain, elle va passer la journée avec Gwenaëlle à Thierrens ; on se rend à la COOP d’Oron, Lili nous accompagne. J’achète du taboulé  que je fais tremper et refroidir dans un mélange de tomates, d’huile d’olive, d’oignons, d’un peu de citron. Qu’on mange sous le hêtre à midi, c’est tout à fait convenable.
Arthur descend en début d’après-midi à vélo pour le lac, Sandra rédige dans le garage les commentaires de son livre de physique, Lili et Louise qui se sont affairées en silence dans leur chambre la convainquent d’aller à Bellerive. Quant à moi, je peine à reprendre la chantepleure là où je l’ai laissée hier, empaquète les 100 affichettes et les 300 cartons qu’il me faut envoyer à Grignan avant la fin de semaine. Descends à 17 heures à Treytorrens retrouver Anne-Hélène et Yves, on prend quelques décisions importantes dont il faut que je parle à Christine dès demain.

Jean Prod’hom

Chantepleure

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Cher Pierre,
La canicule n’a pas desserré les dents, je m’efforce de passer entre les gouttes, le matin à l’ouest dans la bibliothèque, l’après-midi à l’est dans le jardin.

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J’en ai terminé hier avec l’année scolaire 2014-2015, je reprends ce matin les 12 textes que je suis allé rechercher, il y a un mois, dans la fosse à bitume ; ils attendaient bien sagement, certains depuis plusieurs années ; il ne m’a pas été trop difficile de retrouver ce qui s’y jouait et de leur redonner ici et là un peu de la lumière et de l’ombre que je croyais y avoir mis. Françoise a accepté d’y jeter un coup d’oeil avant que je les fasse parvenir au responsable de la revue qui m’a contacté.
M’attelle ensuite à la seconde tâche que j’aimerais mettre en boîte avant de partir en famille, vendredi, pour l’Île d’Yeu. Elle me conduit à une représentation datant du premier quart du XIVème siècle, on y voit un jardin qui chante ; il pourrait être celui d’Anne de Graville et Pierre de Balsac dans l’Aveyron, encadré par deux rangées d’arbres ; la main de la fortune tient une chantepleure qui répand son contenu sur les plantations. On peut lire la devise suivante :  Musas natura, lacrymas fortuna, qu’on pourrait traduire par : Les arts, naturellement, mais pas sans larmes, ça ne m’avance guère.
L’auteur de l’article – wiktionary – sur chantepleure renvoie au texte de l’évangile de Matthieu qui remet un peu de jeu et d’asymétrie dans cette affaire : Alors il se mit à faire des imprécations et à jurer : Je ne connais point cet homme. Et aussitôt le coq chanta. Et Pierre se souvint de la parole de Jésus, qui lui avait dit : Avant que le coq ait chanté, tu me renieras trois fois. Et, étant sorti, il pleura amèrement.
J’ai encore bien à faire mais je m’arrête là ; on part en famille à Froideville nous doucher et manger.

Jean Prod’hom

Incorrigiblement tourné vers le bonheur

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Cher Pierre,
La canicule a ceci de bon qu’’elle oblige à nous coucher tard et à nous réveiller tôt, si bien que les jours s’allongent sans qu’on le veuille vraiment. Je rédige, sitôt levé, l’e compte-rendu de la course de trial qui a eu lieu le week-end passé sur les rives du lac de Zurich, en utilisant les notes que m’a fait parvenir Jean-Daniel ; redistribue ce qui s’est entassé depuis quelques semaines dans la bibliothèque, bois un café. Anne-Hélène me téléphone, elle est mal en point, c’est le soleil, on se verra lundi prochain seulement, à 5 heures au Bugnon.

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J’’en profite pour descendre au milieu de la matinée à la mine, mettre un peu d’’ordre dans mes affaires, vider quelques armoires, en extraire ce qui ira à la benne ; l’’idée est simple, quitter dans deux ans ma charmante prison les mains dans les poches, discrètement, léger, avec un stylo peut-être, et le livre que je serai en train de lire ; j’ai du travail, certaines armoires sont encore pleines de choses dont j’ai à me séparer.
Je mets à la poubelle des rouleaux de scotch, une cargaison de trombones que je n’utilise plus depuis des années, des boîtes de punaises dont plus personne ne voit l’emploi ; je récupère, à l’inverse, un paquet d’élastiques que j’ai gardé au fond d’un tiroir, au cas où, qui me serviront à maintenir roulées les affichettes de Grignan que je compte distribuer ici ou là.  
Je place dans une boîte l’’indispensable : un tube de colle, une paire de ciseaux, une agrafeuse, un taille-crayon, une machine à calculer, une équerre que j’utilise en début d’’année, quelques stylos et quelques crayons ; en déplace une autre qui contient quelques objets que je n’’ai guère utilisés mais qui ne m’’ont jamais lâché. Ils ont été comme des promesses, ou des idées régulatrices : deux clochettes qui tintent à un demi-ton près, un cadenas avec sa clé, cinq dés à jouer taillés dans de l’épicéa, un sablier.
Je réunis en haut d’’une étagère une poignée de livres que je souhaite ouvrir une dernière fois dans le cadre scolaire ; il y a Claude Gueux, Un peu plus loin sur la droite de Fred Vargas, Derborence, quelques Maigret, le Christophe Colomb de Jules Verne, le Pourquoi tu veux que ça rime d'Odile Cornuz, Le Grand Meaulnes, le Double assasinat dans la rue Morgue, Le Crispougne de Daniel Thibon, De ma lucarne et Contre l'oubli d'Henri Calet, le C.V. de Dieu de Jean-Louis Fournier, Je ne veux plus aller à l'école de Claude Klotz. D’autres, je le crains, les rejoindront au cours de l’été.
Il est quatre heures lorsque je quitte la classe, m’arrête à la Dubarde, y dépose le livret scolaire de S. qui n’est pas à la maison. Raymond m’invite à boire un verre de rosé ; on parle de la mine des Roches, des travaux qu’il y a réalisés, de ses petits-enfants, de l’abbaye qui se déroule au Châtaignier, de l’école, de l’ancienne laiterie.
il est un peu plus de 18 heures lorsque j’arrive au Riau, on mange un peu de fromage, quelques abricots, des fraises. Je relis avant de me coucher les très belles pages que Jean-Christophe Bailly consacre aux jardins ouvriers dans Le Dépaysement. Admirable écriture, celle d’un homme incorrigiblement tourné vers le bonheur.

Jean Prod’hom

Tom Blaser cartonne à Zurich !

Très grand week-end pour les trialistes de Moudon, à l’occasion des deux manches de la Velo-Trial Swiss-Cup qui se sont déroulées sur les rives du lac de Zurich ; mais aussi à l’occasion des deux épreuves qui ont permis de désigner les Champions suisses 2015, en 20 et en 26 pouces. Tom Blaser a réussi chez les Juniors deux courses du tonnerre qui lui ont valu de monter deux fois sur le podium.

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La délégation du TCPM sur les rives du lac de Zurich avec leurs entraîneurs : René Meyer et Jean-Daniel Savary.

Dans la course du samedi 27 juin, à Stäfa sur la rive droite du lac, Tom est en effet devenu Champion suisse des 20 pouces, au terme d’une course menée avec intelligence – il le fallait puisque le second n’est qu’à un seul point du vainqueur. Loïc Rogivue termine, lui, à une belle 5ème place.
Non content de son triomphe de la veille, Tom a réitéré ses exploits le dimanche 28, sur la rive gauche du lac cette fois, à Wangen dans le canton de Schwytz : il termine en effet sur la seconde marche du podium, à deux points seulement du vainqueur. Steve Jordan a obtenu une excellente 4ème place. Notons encore que la couronne de Tom Blaser le qualifie d’office pour les Championnats d’Europe et du Monde.

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Tom Blaser dans ses oeuvres.

D’autres membres du club ont brillé sur les rives du lac de Zurich puisque, on l’a dit, s’y déroulaient parallèlement aux Championnats suisses, les 4ème et 5ème manches de la Velo-Trial Swiss-Cup.
A Stäfa, le TCPM fait coup double chez les Poussins : Jules Morard (1er) et Théo Benosmane (2ème) n’ont laissé que des miettes à leurs adversaires. Camille et Romain Girardin continuent leur apprentissage et se retrouvent aux 7ème et 11ème places. Même figure chez les Benjamins où Kouzma Rehacek (1er) et Michaël Repond (3ème) squattent le podium. On retrouve un peu plus loin Mathieu Habegger 6ème) et Thomas Girardin (8ème). Chez les Minimes, Théo Grin termine à la 10ème place. Loïc Rogivue (2ème) n’en finit pas de nous surprendre cette saison, il semble avoir trouvé ses marques dans la catégorie des Juniors et ne quitte plus le podium. Le travail des entraîneurs porte ses fruits, l’avenir du club est assuré.
Les pilotes n’ont guère eu le temps de se reposer ou de fêter leur succès, il leur a fallu passer de l’autre côté du lac à Rapperwil et rejoindre Wangen. Théo Benosmane (1er) monte pour la première fois sur la plus haute marche du podium, ses entraîneurs attendaient cette première victoire depuis quelques semaines, c’est fait ; Jules (4ème) l’applaudit. Camille et et Roman terminent respectivement aux 14ème et 15ème places. Michael (3e) et Kouzma (4ème), les deux vainqueurs de la veille chez les Benjamins, ont appris à Wangen qu’il convient parfois de se contenter des seconds rôles ; Thomas termine à la 9ème place, même place pour Théo Grin chez les Minimes. Quant à Loïc, on l’a dit, il n’est pas décidé à redescendre du podium, il termine troisième chez les Juniors.

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Kouzma Rehacek et Michaël Repond, Tom Blaser, Jules Morard (1er) et Théo Benosmane.


Grand week-end donc pour le Trial Club Passepartout de Moudon, si chaud que la journée s’est terminée dans le lac, sauts et plongeons ; chacun a pu y noyer ses regrets ou y arroser ses succès.

Jean Prod’hom

Travaille, creuse, orpaille

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Cher Pierre,
L’engagement des élèves et l’écureuil qui sommeille en chacun d’eux auront eu raison de mes prévisions ; on ramène le pactole de Naples. J’écris un mot aux parents, y joins des photos de classe et la somme qui leur revient. A eux la répartition de celle-ci selon leur conception de la justice distributive.

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Il y a le feu dans l’aula et aucun air ne s’invite par les portes grand ouvertes, chacun agite son éventail ou le programme ; belle cérémonie cependant, avec deux points d’orgue : la lecture faite par le directeur de Tu es plus belle que le ciel et la mer. Je ne suis pas loin de penser avec Cendrars qu’il faut parfois dégager. Et c’est en souriant que je remets à chacun de ceux que j’ai accompagnés depuis trois ans le viatique qui les rend à la liberté. Va-t’en ! Regarde mais surtout dégage !

II y a l’air il y a le vent
Les montagnes l’eau le ciel la terre
Les enfants les animaux
Les plantes et le charbon de terre

Travaille, creuse, orpaille ; fais ton pain, mais surtout fais ton lit et dégage ! Quitte ce maître dont tu ne tireras rien ! File ! Il y a tant de choses en-dehors des murs de cette prison, regarde, descends dans le puis, monte sur les cimes.

Et puis, second point d’orgue de cette cérémonie, le coup double de Samuel qui reçoit son certificat, mais aussi le prix que le conseil de classe a décidé de lui remettre pour l’ensemble de son parcours.
Les civilités ne sont pas mon fort, je n’y coupe pourtant pas. On se retrouve tous, enseignants, élèves et parents dans la cour devant le réfectoire, on parle de certaines choses, on en tait d’autres, on sourit parfois.

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Madeline a essayé de m’atteindre depuis quelques jours par téléphone, sans succès ; elle décide de faire un saut au Riau. On passe un délicieux moment sous le foyard et le chêne qui mélangent leurs branches au fond du jardin. On parle de maman, de leur cercle de lecture, de quelques livres. On prend rendez vous pour le 24 septembre ; je rejoindrai leur groupe à Peney, dans la fermette que Madeleine occupe en été depuis 1969, seule depuis que son mari est décédé. Je me réjouis.

Jean Prod’hom

Sois un peu fou mais ne perds pas de vue la raison

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Cher Pierre,
Lorsque je remonte ce matin au Riau pour mettre la main sur les photos que je ne retrouve plus au Mont, les échafaudages de la maison ont été escamotés et le pignon a fière allure ; Sandra a fait du bon travail, c’est elle qui a choisi et pris les décisions qu’il fallait prendre.

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Je la retrouve toute pimpante devant la salle de la Douane à Moudon où se déroulent les promotions, le mousse en finit aujourd’hui avec l’école obligatoire. Cette officialité n’intéresse ni Lili ni Louise qui font bande à part : elles ont préféré participer au cortège de leur école à Mézières.
J’ai trouvé ces derniers jours le mousse lumineux, sur le point d’accepter pour toujours que sa tête repose sur ses propres épaules. On va manger à Servion pour fêter l’événement, il boit une bière et un verre de vin, mange comme un ogre, rempli de sollicitude pour Louise et Lili qui le regardent avec une mystérieuse admiration.
Sandra, avant de rentrer au Riau, le conduit à Peney où une fête est organisée ; nous ne le reverrons certainement pas avant demain. Je m’inquiète un peu, bien conscient pourtant de la nature de ce double bind : vouloir que notre fils soit assez prudent pour ne pas succomber à la folie des groupes et à leurs égarements. Souhaiter tout de même qu’il se montre ouvert aux aventures qui se présenteront et lui permettront de goûter à l’inédit. Sois un peu fou mais ne perds pas de vue la raison, j’entends la double injonction par laquelle chacun de nous est invité à réaliser l’impossible.
Louise prend goût à la vie de sauvage, déroule un sac de couchage dans le jardin, elle s’y glisse pour la nuit ; Lili dort dans sa chambre, comme un ange.

Jean Prod’hom

Le train ne nous attendra pas

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Cher Pierre,
On a déjeuné et fait les rangements, Micheline est très émue lorsqu’on s’en va, Bernard aussi mais il ne le montre pas ; on descend sur le macadam avant de trouver le sentier qui longe la Baumine. Il faut se hâter, le train ne nous attendra pas.

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C’est le père d’une élève qui me ramène au Mont où je travaille d’arrache-pied tout l’après-midi. Les comptabilités des camps à Naples et dans le Jura sont prêtes à 5 heures, je repars pour Baulmes et les Combettes. Mais le berger et la bergère ne sont pas rentrés de Bioley-Magnoux où ils ont pirouetté et engrangé, avec leur fils, des balles de foin.
Je laisse un mot et une boite de chocolats sur la table en-bas des escaliers, Cannelle aboie ; Micheline et Bernard me font penser à Philémon et Baucis. Fais une halte chez A qui habite cette petite ville du pied du Jura, on y vivrait bien. Je rentre ensuite au Riau, les cartons d’invitation de Grignan sont arrivés. Yves et Anne-Hélène m’attendent au Bugnon samedi matin.

Jean Prod’hom