J’allais – passager inutile – en contrebas du cimetière
J’allais – passager inutile – en contrebas du cimetière,
l’évidence apparut, discrète.
Pas besoin d’y glisser le pied, la porte ne se refermerait pas.
Jean Prod’hom
Si la mort d’un enfant
Si la mort d’un enfant nous semble si injuste,
c’est parce qu’elle lui a été enlevée avant l’heure,
parce que le temps ne lui a pas été donné de la faire sienne.
Jean Prod’hom
Sur leur visage une grimace
Sur leur visage une grimace,
la même, fondue et enchaînée,
celle de la terre qui tremble.
Sur ton visage un sourire,
le même, fondu et enchaîné,
celui de la mer qui danse.
Jean Prod’hom
Chaud dedans froid devant
Chaud dedans froid devant,
vent cru, soleil de septembre,
corps nus sous la couette.
Jean Prod’hom
S’il y a un mystère
S’il y a un mystère dans notre traversée de la nuit,
il y en a un, plus étrange encore,
dans celle de nos jours.
Jean Prod’hom
Il y a des jours
Il y a des jours
où tu frôles
ta propre disparition.
Jean Prod’hom
Ecouter le premier venu
Ecouter le premier venu
comme un sage précédé d’aucune réputation,
il en faut du courage.
Jean Prod’hom
On ne s’éloigne guère
On ne s’éloigne guère du lieu où l’on a vu le jour.
Où qu’on aille.
Sans quoi on ne passerait pas.
Jean Prod’hom
Le maître se doit de maintenir
Le maître se doit de maintenir
ses élèves à distance,
aussi longtemps qu’ils en sont affectés.
(Le maître n’a qu’une seule tâche,
celle de maintenir ses élèves à distance, en jouant petit,
aussi longtemps qu’ils n’ont pas pris la main.)
Jean Prod’hom
Oscillant entre la déception
Oscillant entre la déception
de n'avoir rien retenu
et le détachement, l’insouciance, la légèreté.
Jean Prod’hom
Attendre
Attendre aussi longtemps que le désir nous tient éveillé,
mais en gardant la force, le moment venu,
de tourner les talons.
Jean Prod’hom
Aussi multiples et distants de nous-mêmes
Aussi multiples et distants de nous-mêmes
que les innombrables sources d'une même rivière,
solidaires.
Jean Prod’hom
Ce qu'on leur doit
Pour Françoise et Edouard
Ce qu'on leur doit et qu'on ne dit pas,
parce qu'on ne sait pas trop bien quoi dire
et qu'on l’écrit.
Jean Prod’hom
Les disparus peuplaient le monde vide
Les disparus peuplaient le monde vide,
les vieux ceps disparaissaient sous la mauvaise herbe,
les champs rétrécissaient comme des peaux de chagrin.
Jean Prod’hom
«Ici s’élevait le château des Barons de Montauban, premiers Seigneurs connus de Montbrison. En 1284, Dame Randonne cède par testament ses terres à son fils Roncelin de Lunel, dont les droits sur le château de Montbrison. Plus tard, le Prince d’Orange y paraîtra en maître sous la suzeraineté des Dauphins du Viennois. Les princes d’Orange tenaient leurs droits à Montbrison depuis le mariage de Raymond IV des Baux avec Anne de Viennois, fille du Dauphin Jean. Ils en seront Seigneurs jusqu’à la révolution.
La première construction apparaît vers la fin du XIème, début XIIème siècle. La ceinture et les autres bastions datent du XIIIème siècle ou du XIVème siècle. Une muraille s’élevait au Sud-Est du plateau et servait de défense au château-fort. A l’est une muraille s’élève, percée d’une porte monumentale. Environ 300 personnes vivaient au Vialle, où une chapelle était encore en service jusqu’au XVIIème siècle. Vers 1359 Guillaume des Baux, frère du Prince d’Orange fut emprisonné dans le donjon suite à un conflit entre le Dauphin et le Prince.
Une légende orale venue du fond des temps raconte que le château, du haut de son pic rocheux était imprenable. Les Seigneurs environnants se livraient alors de nombreuses batailles pour agrandir leurs domaines, et seul Montbrison résistait. Un chevalier plus astucieux que les autres eut l’idée d’attacher des bougies allumées aux cornes de centaines de chèvres lâchées une nuit dans la Lance. Très intriguée par ces flammes dansantes, la garnison au grand complet se rassembla au sommet du donjon abandonnant toute surveillance. Les remparts ainsi désertés par les curieux furent bientôt franchis par les rusés assaillants, et la porte ouverte aux troupes assiégeantes cachées non loin dans les fourrés.» (D’après A. Le Roux J.C Mège, Petit guide de Montbrison-sur-Lez, 1996)
Fraises
Fraises, ombre, sieste.
Un pas de plus,
ça aurait fait un poème.
Jean Prod’hom
Accorder un droit
Accorder un droit,
c’est toujours, d’abord, une manière de garder la main.
S’imposer un devoir, c’est tout autre chose, c’est faire un pas.
Jean Prod’hom
Nourriture sous clé
Nourriture sous clé et partenaire sexuel sous toit,
l’homme tourne, avide et sans relâche.
Le menace aujourd’hui ce qui lui donne tant d’assurance.
Jean Prod’hom
Nos vies seraient-elles désormais sans lendemain ?
Nos vies seraient-elles désormais sans lendemain ?
En un certain sens,
pour autant qu’on ne cède pas au pire.
Jean Prod’hom
Dans les éboulis
Dans les éboulis qui jouxtent la villa Cassel,
à côté des épervières et des silènes penchés,
dans le soleil touchant, l'achillée erba-rotta au parfum de musc.
Jean Prod’hom
Brelan
Faire le mur,
l’amour, le mort.
Pas mieux.
Jean Prod’hom
Photo | Arthur Prod’hom
Tu me conseillais de ne pas insister
Tu me conseillais de ne pas insister,
et de me réjouir de ceux qui ont trouvé une place : faucons, galets, raiponces.
Je le concède aujourd’hui, ce n’est pas si mal.
Jean Prod’hom
De la salamandre qu’on admirait sur son épaule
De la salamandre qu’on admirait sur son épaule,
il ne resterait bientôt qu’un hématome,
un hématome chronique.
Jean Prod’hom
Inutile de vouloir fixer le milieu
Inutile de vouloir fixer le milieu
dans lequel les choses apparaissent et disparaissent.
Il est, suivant leur lenteur, ces choses qui vont, viennent et s’effacent.
Jean Prod’hom
PS
«... on pourrait parler de la photo comme d’un nouement et d’un dénouement simultanés : nouement, parce que l’image se saisit en une seule fois de plusieurs temporalités : dans un simple portrait, par exemple, où le regard, photographié depuis son retrait à l’intérieur de l’ici/maintenant incontestable de la pose, suscite toujours la divergence d’un futur. Et dénouement, parce que l’image apparaît en même temps comme l’unique résultat possible de ce concours de temporalités, et comme l’apaisement des tensions mêmes qui l’habitent. »
Jean-Christophe Bailly, L’Instant et son ombre
En gardant un secret
En gardant un secret, nous lui donnons
l’occasion d’aller plus loin ; en l’accompagnant d’une mélodie,
nous lui offrons une portée réelle.
Jean Prod’hom
Averse de lumière
Averse de lumière,
ombres portées.
Persiste l’écho immobile de ce qui passe.
Jean Prod’hom
PS
«Ce que l’on devrait se demander devant l’immobilité ou le suspens de l’image, c’est : de combien de temps une photographie se souvient-elle ?
Jean-Christophe Bailly, L’Instant et son ombre
Un prénom et un nom
Un prénom et un nom,
deux dates, tenues à distance
par un trait d’union. Juste assez.
Jean Prod’hom
Battre les cartes de ce qu’on pressent
Battre les cartes de ce qu’on pressent, lui donner forme,
et place et lumière. Faire feu de tout bois, de ce qui est, de ce qui n’est pas.
Pour le reste, se fier au principe des vases communicants.
Jean Prod’hom
Campagne perdue
Pour Stéphane Goël
Campagne perdue.
On reverra néanmoins tout ce qu’on a vu ;
le poète aussi, qui reviendra comme un cheveu sur la soupe.
Jean Prod’hom
Le XIXe siècle a rapatrié la gourmandise
Le XIXe siècle a rapatrié la gourmandise du côté des vertus, l’assassinat
du côté des beaux-arts, l’escroquerie du côté des sciences exactes.
Aux XXe et XXIe siècles le soin de terminer le travail.
Jean Prod’hom
Le lecteur en sait tout autant que l’auteur
Le lecteur en sait évidemment tout autant que l’auteur.
Mais s’ils veulent en être assurés un jour,
l’un d’eux se doit de prendre les devants : le plus impatient.
Jean Prod’hom
Durer le temps qu’il faut
Durer le temps qu’il faut, ni pierre ni éphémère ;
calculer, évaluer, ne pas perdre de vue les unités ;
quitter la partie.
Jean Prod’hom
Déception de n'avoir rien retenu de vraiment solide
Déception de n'avoir rien retenu de vraiment solide.
Soulagement aussi,
qu'en aurais-je fait ?
Jean Prod’hom
Sa tête était pleine de vide
Sa tête était pleine de vide ;
ses pensées y déambulaient souvent les mains dans les poches,
avec quelques îles où s'étendre et d'où regarder le ciel.
Jean Prod’hom
Une observation
Une observation dont j’aurais souhaité être l’auteur :
les hommes, les orties et les moineaux,
jamais l’un sans l’autre.
Jean Prod’hom
La modestie voudrait que nous nous en réjouissions
La modestie voudrait que nous nous en réjouissions :
l’homme est le rejet d’une poussée qui lui survivra.
Nous couper de cette évidence signerait notre arrêt de mort.
Jean Prod’hom
Entre poèmes et romans
Entre poèmes et romans, pamphlets,
fables, mystères et sermons,
un continent.
Jean Prod’hom
Derrière les portes closes des jardins de l'hôpital
Derrière les portes closes des jardins de l'hôpital,
un homme, jeune encore, est assis sur un banc.
Il a repris comme chaque matin - mais où ? lui-même l'ignore - le chantier laissé la veille.
(cf. Pierre Crevoisier, L’homme sans nez, in Mes trous de mémoire, Slatkine 2016)
Jean Prod’hom
Avec Arthur, Gibus, Michèle et Kurt
L’odeur de la térébenthine,
la pâte des craies grasses,
le grain âpre du vin d’Algérie.
Jean Prod’hom
Champ d'immanence de l'utopie | J.-C. Bailly
Le vent souffle où il veut.
Une fenêtre s'ouvre un jour, pour qui veut,
tout autour une maison se construit.
« Ou encore, et ce serait là sans aucun doute l'exemple clé, l'emblème même de ce temps repris, les milliers d'heures au cours desquelles le facteur Cheval, augmentant ses tournées et prenant sur elles, collecta les pierres destinées à son palais ou construisit celui-ci : «Je l'ai construit à temps perdu dans mes moments de loisir que me laissait mon service de facteur», a-t-il pu écrire, mais dans le court texte autobiographique où figurent ces mots, comme sur le monument lui-même, se ressent tout son orgueil de travailleur, de paysan : «Au champ du labeur j'attends mon vainqueur», il y a ainsi, gravées dans la pierre de telles formules, par lesquelles on voit bien que l'oisiveté est aux antipodes, et que c'est au sein même du travail, et même sans doute à l'intérieur d'une idéologie de l'effort qu'est venu se lever ce rêve de poète formidable (et quelque peu négligé aujourd'hui, il me semble) qu'est le Palais idéal.
En tout cas, c'est entre la puissance pure et négative de Bartleby et l'affirmation héroïque et monumentale du facteur Cheval qu'il faut placer l'espace de ce temps à la fois très occupé et très libre par lequel les hommes se dégagent de la sphère productive pour déboucher sur l'utopie active d'une sorte de plein emploi d'eux-mêmes et du monde. «Plein emploi» dont l'art, à condition qu'on le considère lui-aussi de plain-pied, c'est-à-dire hors du «monde de l'art», est sans doute l’exposant le plus vif et le plus répandu, mais qui existe aussi tout autrement, comme en une friche qui serait aussi une réserve, utopie qui donc commence ou recommence à chaque accroc dans le tissu tramé des travaux et des jours :
à même un chemin de campagne, comme ce chemin près de Hauterives où un jour une pierre ( «une pierre molasse, travaillée par les eaux et par la force des temps») surgit pour imposer au facteur Cheval ce qui devint dès lors pour lui le but exclusif de son existence, sa voie de sauvetage, de sortie et de réintégration,
à même les rues des villes aussi bien - et le facteur allongeant sa tournée et traînant le pas serait ici Kurt Schwitters qui lui aussi, par-delà ses collages et ce qu'ils sauvaient du monde, en vint à édifier autour de lui, avec le Merzbau, son propre «palais idéal», construction-coquille enrobant l'atelier et formant un réseau serré de curios, de fragments et d'objets chargés, tous soustraits à leur passé servile comme à leur rejet.
Le lien entre le non-artiste et l'artiste est ici, je crois, suffisamment clair et parlant. Ce qu'il envoie, ce n'est ni l'assomption de l'homme du peuple vers le ciel des idées, ni le gain, pour l'art, d'une emprise populaire, c'est un équilibre et une fragilité où les modes d'être de l'évasion et de la rupture se côtoient et se ressemblent. Il y a une sorte de fonds commun, une sorte de champ d'immanence de l'utopie. : il ne s'agit là ni d'un havre ni d'une terre de tout repos, mais d'un champ d'action auquel n'importe qui, s'il le veut, peut avoir accès. »
Jean-Christophe Bailly,
L’autre de l’«homo faber », in L'Élargissement du poème
La distraction
La distraction,
par où l’épuisé s’extirpe de lui-même,
traverse le paysage qui l’accueille. Jusqu’au chant.
Jean Prod’hom
Pour sortir au plus vite de la partie
Pour sortir au plus vite de la partie,
la gamine avait pris l’habitude d’abréger les échanges,
Gagner ou perdre était devenu secondaire.
Jean Prod’hom
Pour réduire le domaine laissé à l'imprévu
Pour réduire le domaine laissé à l'imprévu,
les autorités décidèrent d’interdire les dons et
de rémunérer les bénévoles.
Jean Prod’hom
De la pinte du village
De la pinte et de la boulangerie du village,
il ne restera rien,
pas même des ruines.
Jean Prod’hom
Être mortel, on s’y fait
Être mortel, on s’y fait ;
bientôt mourir,
c’est autre chose.
Jean Prod’hom
Je voudrais parfois que plus rien ne change
Je voudrais parfois que plus rien ne change,
l’utile se déposerait et l’inutile se dissiperait.
Resterait ce qui dure.
Jean Prod’hom
Un genévrier
Un genévrier, un bouleau, des galets,
le ciel, quelques aubépines, le lac.
Tout est en place, la nuit peut tomber.
Jean Prod’hom
Un écrivain ça n’est pas forcé d’écrire
Un écrivain ça n’est pas forcé d’écrire,
ça doit gagner son pain.
Ecrire, c’est autre chose.
Jean Prod’hom
Parler, parler parler
Parler, parler parler,
c’est toujours
un peu expirer.
Jean Prod’hom
Je vais lisant et écrivant
Je vais lisant et écrivant,
bien déterminé
à m’en passer un jour.
Jean Prod’hom
De village en village
De village en village,
d’auberge en auberge,
ailleurs et chez soi.
Jean Prod’hom
La grève des écrivains ne fit pas long feu
La grève des écrivains ne fit pas long feu,
la plupart en effet écrivaient en cachette
le récit de cette lutte avortée.
Jean Prod’hom
Les nouveaux-venus
Fil à tordre
Fil à tordre, retordre, détordre ;
moments flottants,
cousus ensemble.
Jean Prod’hom
Aussi longtemps que nous prendrons le temps
Aussi longtemps que nous prendrons le temps
de nous attarder, nous attendrir, vieillir,
les grelots des amourettes fleuriront.
Jean Prod’hom
De l’oseille et de la pervenche
De l’oseille et de la pervenche, de l’iris et du plantain,
en carré ou canton, tapis ou cortège,
s’élève la rumeur d’une gaieté indocile.
Jean Prod’hom
Tourner le dos au carrousel
Tourner le dos au carrousel
d’où nous ne voulions, autrefois,
descendre sous aucun prétexte.
Jean Prod’hom
Impossible de dénoncer la comédie
Dénoncer la comédie,
impossible
sans y succomber.
Jean Prod’hom
Qu'il existe quelque chose plutôt que rien
Qu'il existe quelque chose plutôt que rien,
il convient aujourd'hui
de ne pas nous en effrayer.
Jean Prod’hom
Donner un peu de corps à l’avenir
Donner un peu de corps à l’avenir,
en nous tournant, le soir,
du côté de la nuit qui tombe.
Jean Prod’hom
Sous les feuillets de ce qui a été dit
Sous les feuillets de ce qui a été dit :
ce qui a eu lieu pour de vrai,
qu’il nous faut inventer une seconde fois.
Jean Prod’hom
A-t-on le droit de photographier le lac
A-t-on le droit de photographier le lac ?
demande l’enfant ? Et le ciel ?
La question est moins idiote qu’il n’y paraît.
Jean Prod’hom
Fontaine, lamiers et véroniques
Fontaine, lamiers et véroniques,
c’est bien assez pour aujourd’hui.
Le chemin ira sans moi.
Jean Prod’hom
C’est jour férié
C’est jour férié,
les vivants et leurs morts ont déserté les lieux.
Quelque chose frémit alors. Sans eux.
Jean Prod’hom
Parler ne rimerait avec rien
Parler ne rimerait avec rien,
si ne nous avait été octroyée
l’occasion de nous taire.
Jean Prod’hom
Il pleut, les benoîtes tremblent
Il pleut, les benoîtes tremblent,
l’eau se hâte, n’a qu’une idée,
rendre son lit au ruisseau.
Jean Prod’hom
Poète ou sorcier
Poète ou sorcier,
chacun fait son pain.
Avec ou sans levain.
Jean Prod’hom
Le principe du tiers exclu
Le principe du tiers exclu étend son empire,
les zones intermédiaires plient.
Vivre tout de même, sur une palette ou dans une coque de noix.
Jean Prod’hom
Demeurer encore
Demeurer encore,
parce qu’il en ira ainsi
jusqu’à la nuit.
Jean Prod’hom
Vulpin, fêtuque et paturin
Vulpin, fêtuque ou paturin,
puccinellie, houlque ou dactyle,
ni écrire ni marcher ne sont des gagne-pain.
Jean Prod’hom
Tout s’emballe en mai
Tout s’emballe en mai,
bruisse, fleure, éclate. Et nous ?
D’un seul coup à la traîne, avec la tête qui tourne.
Jean Prod’hom
L'enfant ouvre les yeux sans disposer du langage
L'enfant ouvre les yeux sans disposer du langage,
le vieux les ferme en préférant se taire.
On n'en saura pas plus.
Jean Prod’hom
C’est brouiller les cartes
C’est brouiller les cartes
que de détourner les ruisseaux :
le ruisseau est détour.
Aurore femelle
Jean Prod’hom
C’est à la vérité
C’est à la vérité
que revient l’honneur de porter l’habit de gala
de l’ignorance.
Jean Prod’hom
Né nu au fond d'une nasse
Né nu au fond d'une nasse,
l'homme croise le poisson qui s'y enfonce.
Il retient son souffle.
Jean Prod’hom
Suivre un ruisseau
Suivre un ruisseau, remonter à sa source,
c'est quelque chose.
Mais le devenir ?
Jean Prod’hom
Solidarités
Il y a celle des frères et soeurs,
celle des papillons,
il y a celle des eaux du ruisseau.
Jean Prod’hom
Si les récalcitrants sont envoyés derrière la porte
Si les récalcitrants sont envoyés derrière la porte
– ou font l’école buissonnière –, c’est parce qu’on en a besoin.
Ce sont eux les héros de demain, des romans mis au programme.
Jean Prod’hom
Tu auras été
Tu auras été
une goutte d'eau dans l’océan,
et celle qui aura fait déborder le vase.
Jean Prod’hom
Les réponses sont éphémères
Les réponses vont de l'avant.
Les questions veillent,
en retrait.
Jean Prod’hom
Vous voulez en finir avec les questions
Vous voulez en finir avec les questions de vos gamins,
exigez des réponses.
Jusqu'à épuisement.
Jean Prod’hom
Aucun poème ne fera entendre
Aucun poème ne fera entendre
le champignon sortir de terre.
Ni l’hermine ni la taupe.
Jean Prod’hom
La mutité des haies
La mutité des haies,
les talus,
la mémoire des chemins creux.
Inventaire lausannois | Yves Yersin | 1981
Jean Prod’hom
Tourne tourne
Tourne tourne,
c’est dans la nuit que
le soleil se lève.
Jean Prod’hom
Ne pas user de l'épée
Ne pas user de l'épée, ni dedans ni dehors.
Démêler la pelote, se garder d’être pris dans ses mailles.
Suivre le filon, à tâtons, sans être avalé par la nuit.
Jusqu’au seuil et l’aube.
Jean Prod’hom
Tu pleures les morts
Tu pleures les morts,
fais entendre qu’ils t’ont accompagné.
Te reste donc à continuer seul. Avec les vivants.
Les meilleures idées sont à l'origine des prisons les plus hermétiques. Leurs auteurs gesticulent, étendent leur empire et l'or qu'ils croyaient tenir dans le creux de leurs mains se transforme en poix collante, dont le collectif ne parviendra à se débarrasser que lorsque les épigones, gardiens et défenseurs seront sous terre.
Jean Prod’hom
Le bavardage entérine les usages
Le bavardage entérine les usages ; avec eux – et lui – les croyances. Il équilibre les consciences, pacifie les humeurs, arase les passions, étête, râle, racle, bine ; son importance est considérable.
Mais il ne serait rien sans les taupes qui le minent, lui donnent air et couleur, vif et jeu. Sans elles nul avenir ni faille, ni clair-obscur, mémoire, roses et taupinières par où le désir va et vient, va, et vient.
Jean Prod’hom
Pris dans le calcaire de Hauterive
Pris dans le calcaire de Hauterive,
brûlé par la chaux vive,
avalé par les circonstances.
Jean Prod’hom
Les mots nous obligent au détour
Les mots nous obligent au détour.
Mais les mélodies qu'ils font naître ont le goût parfois,
et le grain, des fraises qui rosissent nos nuits.
Jean Prod’hom
Yves Zbinden
Corps
Corps, langage,
l’un et l’autre s’ouvrent et se ferment,
comme des huîtres.
Jean Prod’hom
Ce que tu n’espérais plus
Ce que tu n’espérais plus,
confondus,
sujet, objet et circonstances.
Jean Prod’hom
Reprendre l’examen
Reprendre l’examen
comme au premier jour,
sans songer, de ce côté-ci, à en voir la fin.
Jean Prod’hom
Un jour les hirondelles
Un jour les hirondelles,
une nuit les chauves-souris
ne reviendront plus.
Jean Prod’hom
Rien de plus romanesque
Rien de plus romanesque,
de plus tragique qu'un livre et son signet,
abandonnés sur un banc public.
Jean Prod’hom
N’existent en réalité que deux voies
N’existent en réalité que deux voies :
la première ne mène nulle part,
la seconde conduit à une impasse.
Nous pouvons en effet, chaque matin, reprendre les choses là où nous les avons laissées la veille, avec l’assurance – somme tout raisonnable – que notre chemin filera de travers, une fois encore, que nous irons hésitants, qu’il nous faudra une fois encore faufiler le vrai avec le faux et le faux avec le vrai, sans jamais bien distinguer l’un de l’autre. Avec la modeste ambition de faire, un jour peut-être, le tour de la vérité sans jamais y toucher.
Nous pouvons aussi, comme on dit, vouloir tout reprendre à zéro.
Je penche naturellement pour la première voie ; car si la seconde est concevable, elle se fonde sur un leurre et n’est que le signe d’une présomption coupable : le « je » nous précède en effet de beaucoup et c’est sur un palimpseste que nos yeux s’ouvrent au jour de notre naissance.
La première nous promet en outre de croiser ce qui nous obligera à infléchir la courbe du chemin que nous avons emprunté, à bifurquer, à nous ouvrir à l’imprévu, ou même à revenir sur nos pas.
Il n'y a, en définitive, rien de plus sérieux que l'adage des stoïciens : Ex falso sequitur quodlibet. A quoi il faudrait tout naturellement ajouter, pour être complet, que perseverare non diabolicum est.
Nous en avons parlé aujourd’hui, Frédéric. et moi, il serait en effet insensé de vouloir tout reprendre à zéro. Lorsqu’on s’est quitté à Nyon, je me suis souvenu de ce que je venais de lire au midi du cadran solaire du clocher de l’église de Gingins : Il est plus tard que tu ne le crois.
Jean Prod’hom
Tirer du jour
Tirer du jour
quelque chose
à quoi l’accrocher
un épi
une gerbe
un baiser
une fleur
un dessin
Jean Prod’hom
Il est urgent de réinjecter de l’autre
Il est urgent de réinjecter de l’autre
mais l’autre – pour rester autre –
doit rester ailleurs
Jean Prod’hom
Laisser aux mains de nos enfants
Laisser aux mains de nos enfants
du temps à perdre
et le temps de s’égarer
des friches
des casse-tête
des minutes creuses
les petites rivières
des chansonnettes
et la pâte à mots
avant qu’ils n’étouffent
et ne nourrissent la croissance
la croissance des hommes dangereux
Jean Prod’hom
Dans ce désert
Dans ce désert
sans image
sans voix
dans ce désert
sans musique
entendez-vous le bruit du vent ?
Jean Prod’hom
S'il était clé d’évasion
S'il était clé d’évasion
un seul livre suffirait
non non – les livres ramènent à la maison
Jean Prod’hom
Les certitudes de l’homme tombé du nid
Les certitudes de l’homme tombé du nid
ange ou démon
donnent le vertige
dans un jardin – à l’écart –
une vieille
arrose ses fleurs
Jean Prod’hom
Jusqu’à l’évidence
Jusqu’à l’évidence
malgré l’épuisement
et puis reprendre des forces
Jean Prod’hom
Les dimensions de nos vies
Les dimensions de nos vies se réduisent trop souvent
à celles d’une conduite dans laquelle il nous suffirait de faire transiter
ce qui est à faire – en direction de ce qui ne le sera bientôt plus
Jean Prod’hom
Au premier signe du printemps
Au premier signe du printemps
l’enfant regardait les pâturages enneigés
de l’autre côté de la vallée
pressé qu’apparaisse du fond de la terre
le mot qui lui assurerait qu’il n’était pas seul
et qu’il était compris des dieux
Jean Prod’hom
Le long des haies
Pour Kurt von Ballmoos
Le long des haies
dessous les jupes ou sur le chemin
les yeux fermés
Jean Prod’hom
C’est à la fin que l’esprit s’avise physiquement
C’est à la fin que l’esprit s’avise physiquement
qu’une seule et même chose peut demeurer
et revenir multiple et immobile – lorsque la mémoire vacille
Jean Prod’hom
Voeux brefs
Voeux brefs
ni ajout ni mise à ban
allons faire la fête
les ruines se referont un visage
fleurs et crépis
au jardin d’hiver
je jouerai au tiercé
tu chanteras
nous ralentirons ce qui fuit
Jean Prod’hom
Mon coeur bat avec l'intensité d’un vieux réverbère
Mon coeur bat avec l'intensité d’un vieux réverbère
je termine à l'instant les travaux d’étanchéité
pas sûr que l’année qui se clôt ne s’écoule dans celle qui suit
Jean Prod’hom
A la lumière froide
A la lumière froide et mortelle
qui rôde parfois en plein jour
la tiédeur de la nuit
Jean Prod’hom
Flaques et ciel vides
Flaques et ciel vides et pics
os et coques et ceps nains
les saules y ont laissé leur peau
Jean Prod’hom
N’emporte avec toi
N’emporte avec toi le jour de ton départ
que ce que tu ne voudrais pas
avoir à retrouver à ton retour
Jean Prod’hom
Rêveries sous son bonnet de neige
Rêveries sous son bonnet de neige
couleurs mais aussi résistance
tout la rapprochait de la bruyère
Jean Prod’hom
Il y a deux éternités
Il y a deux éternités
celle au goulot de laquelle on s’abreuve une vie durant
celle qui nous a laissé filer entre ses doigts
Jean Prod’hom
Serrer en trois lignes
Serrer en trois lignes
ce qui en appelle au langage
et libérer son parfum
Jean Prod’hom
CXL | Conte de Noël
Pour Sylvie Durbec
Chemin faisant avec Robert Walser, « Le portrait du père » in Seeland
Benoîte pensait
que ses pairs se féliciteraient
de ses succès
elle n’avait jamais douté
de l’amour universel
mais il n’y a pas de couvert pour elle
ils affectent
de se réjouir
au cas où
creusent un fossé
autour de sa naïveté
rongés par l'envie
qu’à cela ne tienne
elle rentre pour faire du feu
leur ouvre sa maison
ils s'installent
dents blanches
idées reçues
il y a trop de bruit
de rumeur
trop de jalousie
Benoîte monte à l’étage
les roitelets peuvent rester
elle fait sa valise
le soleil l’attend sur le pas de la porte
un chien aussi et l’eau de la fontaine
et l’allée des noisetiers
elle sourit
sourit à la communauté des orties
des vieux hortensias
à la communauté des haies vives
Benoîte qui croit à l’amour universel
va recommencer ailleurs
Jean Prod’hom
C’était un lieu
C’était un lieu
qui ne s’émancipait pas
de la nuit
quelque chose l’y retenait
au voisinage de l’abandon
jusqu’au soir
on devinait l’absent derrière les volets
les yeux grand ouverts
à l’image des arbres dans les bois
grains de blé dur et vieux bouquets de lavande
empreintes de moineaux dans la poussière
et mies sèches
aucune promesse
hormis celle de rester fidèle
à celui qui reviendrait
Jean Prod’hom
(FP) Chacun est dépositaire
Chacun est dépositaire
de deux ou trois lieux
qui veillent sur lui
intacts
quoi qu’on leur retranche
quoi qu’on leur ajoute
sous la pluie
ou en janvier
au soleil ou sous la neige
un tas de pierre ou l’arrière d’une mécanique
la courbe d’un chemin ou un fond de jardin
une maison vide
ils perpétuent
le secret
de ce qui passe
le rais de lumière
qui fait pâlir la suie
dans les hottes des cheminées (P)
Jean Prod’hom
Bilan
Bilan de fin d’année sur un chemin à double ornière
des jachères et des labours
avec du rouge et du bleu qu’on ne voit pas
Jean Prod’hom
L’été retient
Edouard Monot
L’été retient
l'ombre du tilleul
au pied du tilleul
l’hiver trace dans la neige un liseré
que nos craintes repoussées à l’intérieur des bois
ne franchissent pas
l’alternance du jour et de la nuit l’atteste
le corail flambe derrière le pare-brise
dans le gris souris de nos vies
Jean Prod’hom
On n’est jamais autant avec soi-même que sans
Edouard Monot
On n’est jamais autant avec soi-même que sans
interdiction donc à l’étang
de mêler nos visages au ballet des lumières
les dessous du ciel se mêlaient à ceux du marais
réunissant en un seul lieu ce qui se fait de mieux
on allait ainsi jusqu’au soir
c’est aujourd’hui comme un pansement sur un manque
l’assurance que les visages et nos vies
s’abreuvent à une même brise
Jean Prod’hom
Le ciel
Le ciel !
Ferdinand,
et le Moléson vu du Château des Jaunins
Jean Prod’hom
Ne pas s’opposer
Ne pas s’opposer aux modifications
ou à la disparition d’un texte qui tient debout –
pour autant qu’il ait dépassé toute attente
Jean Prod’hom
Une voix répète inlassablement
Une voix répète inlassablement
qu’à la fin
tout malgré tout ira mieux
une seconde
affirme du fond de l’avenir
qu’au pire il faut s’y faire
crains aujourd’hui que la seconde
n’ait recouvert la première
en étendant son empire comme une marée noire
Jean Prod’hom
En s’en remettant à l’idée de vocation
En s’en remettant à l’idée de vocation
les hommes donnent un air de noblesse
au maton qui patrouille leur visage et verrouille l’avenir
Jean Prod’hom
Une vie pour quitter la partie
Une vie pour quitter la partie
nu
sans arrière-pensée
Jean Prod’hom
Penser après
Julian Charrière | accrochage Vaud 2014 | détail
Penser après
après après
après après après
Jean Prod’hom
La vieille dame au masque d’inuk
Nous chérissons tous quelque part
une vieille dame au masque d’inuk
son silence nous rappelle la sagesse qui nous manque
Jean Prod’hom
Deux coups de godets
Deux coups de godets n’auront jamais raison
de la maison de la gaieté
et de son jardin respectueux
Jean Prod’hom
La poésie
Ne pas demander au ruisseau de faire déborder la mer
ne rien demander à la poésie
lui faire son lit
Jean Prod’hom
Gringalets
Gringalets sous le cagnard d’août
eau froide sous la peau
os sur pilotis
Jean Prod’hom
L’oublieux se souvient avoir tout laissé
L’oublieux se souvient avoir tout laissé
en vrac dans un sac
à Belle Chaux
se souvient du souffle court des linaigrettes
du parfum noir des nigritelles
de la sente de Bonne Fontaine
se souvient de l’arête dans la brouille
de la main ouverte des martinets
mais rien du sac laissé au pied de Teysachaux
Jean Prod’hom
Première neige
D’avoir suivi les traces laissées par celui qui aurait dû me rester un inconnu
m’aura appris à me méfier de ce que je laisse derrière moi
averti que souvent l’inespéré nous précède et nous ramène sur nos pas
Jean Prod’hom
Bartasses pagaille
Bartasses pagaille
ronces rame rame
viendront risée et sourire
Jean Prod’hom
Aller en avant
Aller en avant – ou en arrière – dessous
ou mieux à côté tandis qu’un enfant souffle
sur les flammes d’un coquelicot
Jean Prod’hom
Au grand jour
Au grand jour
le coeur sur la main
dans l’élan que leur offre ce sursis
Jean Prod’hom
Ce matin j’ai ouvert les fenêtres
Ce matin j’ai ouvert les fenêtres
sur le jardin
sur les promesses des portes closes
Jean Prod’hom
A l’abri des regards
A l’abri des regards
et du poids des corps
l’hiver est ici chez lui
lac nu et astres pâles
nul récit
où s’égarer
île sans sommeil
le jour et la nuit
ont la couleur du sable
Jean Prod’hom
De toutes les noces
De toutes les noces
se sont celles – je crois –
de la sobriété et du lyrisme que je préfère
Jean Prod’hom
Tourner le dos
Tourner le dos – se raidir – mourir
sans avoir à entendre
« Il méritait mieux »
Jean Prod’hom
Le poète
Le poète était retourné à son troupeau
préférant la rivalité des bêtes
à celle de ceux qui l’avaient consciencieusement ignoré
Jean Prod’hom
Il plastronnait
Il plastronnait
dans les salles communes
enveloppé dans ses habits de titulaire
l'animateur de l’établissement
à la mâchoire de hyène
était le grand prêtre des loisirs
personne
au grand jamais
ne devait sortir du rang
les autres le suivaient
innocents
un signe sur le dos
ils allaient tous à l'abattoir
eux et leur animateur
pour l'assiette et pour le fun
Jean Prod’hom
La voix
La relation pédagogique prend fin
La relation pédagogique prend fin
lorsque l’élève découvre que l’ignorance de celui qui est supposé savoir
est de même puissance que la sienne
Jean Prod’hom
L’art est une paroi vertigineuse (R. Walser)
L’art est une paroi vertigineuse
dont on n’atteint le sommet
qu’en se laissant glisser
on tomberait de haut
si cils et paupières ne faufilaient
le ciel et le pré
Jean Prod’hom
La rivière
La rivière détournée
la vallée comblée
sainte Barbe au fond d’un réduit
Jean Prod’hom
Nous avançons
Nous avançons sans bien savoir
faisons de la lumière avec de la nuit
dans la nuit
Jean Prod’hom
Ce qui me détourne
Ce qui me détourne des fous de Dieu
ce n’est pas au grand jamais Dieu ou leur folie
mais ce à quoi ils tournent le dos : ce qui nous reste
Jean Prod’hom
Personne désormais
Personne désormais ne se souviendra
de novembre sous les toits
des deux corps nus sous l’édredon
Jean Prod’hom
Bien se tenir
Bien se tenir et être poli
éviter les gens méchants
habiter une jolie maison
Jean Prod’hom
Loi du moindre effort
Pour Stéphane
La loi du moindre effort oblige celui qui veut bien l'honorer
d'engager des travaux sans commune mesure avec le gain
Ainsi marchent de concert le progrès et l’exploitation de l’homme par l’homme
Jean Prod’hom
Serres accrochées à tapis d'aigreur
Serres accrochées à tapis d'aigreur
ces beauté-là
paupières fanées
Jean Prod’hom
A la surface d’une poche retroussée
A la surface d’une poche retroussée
avec la mer et le ciel au bout de la langue
et une langue qui est comme une île
Jean Prod’hom
De la phrase qui a refroidi
De la phrase qui a refroidi
un sourire parfois
alors toutes les barrières se lèvent
Jean Prod’hom
Brouillard aux Tailles
La vieille de Pra Massin souriait de n’avoir eu
qu’un seul souci dont elle ignorait toujours davantage tout
mais qui s’était adouci à mesure qu’elle l’avait fait marcotter
Jean Prod’hom
Pas sûr que les gens se réjouissent avec toi
Pas sûr qu’on se réjouisse avec toi
à moins qu’on ne te prenne pour un idiot
va falloir le rester
Jean Prod’hom
Te retirer sur la point des pieds
Te retirer sur la point des pieds
lorsque la porte s’ouvre
tu y auras été pour quelque chose
Jean Prod’hom
L’échappée belle
Existe un tiers continent dont la traversée offre à nos vies
un joli chemin en prose
que les héros d’André Dhôtel ont balisé en leur temps
Jean Prod’hom
Dans le train de 8 heures 07
Pour Jean-Louis Kuffer
Dans le train de 8 heures 07 à destination de Venise
Pier Paolo Pasolini et Confucius
au fond du sac
Michaux et Simon Leys dans le brouillard
Alice Munro et Olivier Roy que je rencontrais pour la première fois
Kafka et Peter Sloterdijk
Thierry Vernet si discret
Philippe Sollers
Max Lobe et Marcel Proust évoquant les pierres de Venise
Jean Prod’hom
Le jour se lève
Chaque fois que le jour se levait
ça faisait coup d’état
on avait besoin d'innombrables "comme si" pour s’en remettre
Jean Prod’hom
L’ecclésiastique se prit les pieds
L’ecclésiastique se prit les pieds
dans une parabole qui se renversa
laissant filer son or dans le caniveau
Jean Prod’hom
CXXXIX | Lili écrit
- Je sais pas quoi écrire aux Sénéchal, pas d’idée.
- Envoie-leur un bec.
- Jamais, ils fument.
Jean Prod’hom
(FP) A l’écriture de faire entendre
Je prie mon épouse Fanchette née Favre
« Je prie mon épouse Fanchette, née Favre,
de donner mes habits, linge de corps aux enfants
pauvres de l’orphelinat d’Auboranges. »
(Pierre Pache, 28 mai 1869)
Plus de gamins dans l’ancien orphelinat
mais les chants d’une poignée de fidèles
Madeleine et un prêtre chaque premier vendredi du mois
Jean Prod’hom
Le château
Que penser de l’homme qui n’aurait à la fin
pas même eu le temps
de dire trop tard
Jean Prod’hom
La Broye
Ne lâcher la phrase
Ne lâcher la phrase
que lorsqu’elle coule
entre les mots
Jean Prod’hom
Le poison que distille le succès
Le poison que distille la réussite
ne se répand pas dans le corps sur le champ
pas plus que les bénéfices promis par l’échec
Jean Prod’hom
De Corcelles à Echallens
On a traversé le jour
d’est en ouest
sans que rien ne nous arrête
Jean Prod’hom
CXXXVIII | Martingale
Incipit tragœdia
Ni laisses ni friches
rien à dérober personne à soudoyer
Incipit tragœdia
Jean Prod’hom
Daniel Christoff
Langue-monde entourée de douves
il y vivait seul
nous l’écoutions sur l’autre rive
Jean Prod’hom
C’était à craindre
Effrayée par notre gestion du travail à flux tendus
c’était à craindre
aucune mousse ne s’installait plus
Jean Prod’hom
Laissez-moi
Lugrin (5 avril 2014)
Laissez-moi
reprendre des forces
laissez-nous être oubliés
Jean Prod’hom
On naît...
On naît
on croît
on diminue mais c’est de notre vivant qu’on meurt
Jean Prod’hom
Dans chaque tas de pierres
Dans chaque tas de pierres
se maintient quelque chose de vivant
vivant de n’y être plus
Jean Prod’hom
Lac de Neuchâtel (22 août 2009)
C’était un samedi
la veille cinq plongeurs italiens avaient été arrêtés
alors qu'ils pillaient un champ d'amphores au sud de la Corse
Jean Prod’hom
CXXXVII | S’il croisait le regard d’une poupée
S’il croisait le regard de cette poupée de porcelaine
derrière les rideaux d’une riche demeure
cet ami à moi
entrerait par effraction pour la libérer
pas la poupée
mais la prisonnière
Jean Prod’hom
Epierrée
Première collecte après la herse et le semoir
au milieu des jeunes pousses
pierres remontées des labours
Jean Prod’hom
Vacances à la Creusaz
On allait
maman mes soeurs et moi
sous le chemin d’Emaney
trente-trois fois trois myrtilles
à lâcher dans un gobelet de yoghourt vide
libres ensuite
Jean Prod’hom
Quelque part à l’intérieur du jour
Quelque part à l’intérieur du jour
une porte
elle y conduit
Jean Prod’hom
Je voudrais parfois
Je voudrais que le ciel et les nuages
les montagnes et même parfois l’eau des fontaines
prennent quelquefois un peu plus d’initiatives
Jean Prod’hom
Chagrin
Souffrir des conceptions du temps en vigueur
et vouloir s’en défaire dans les plus brefs délais
ne va pas sans contradiction
s’en réjouir et compter sur une prolongation renouvelée de cette jouissance
n’est en toute rigueur
guère plus cohérent
Jean Prod’hom
Après le passage de la herse
Glisser la main dans une anfractuosité du jour
un froissement suffit
suivre la veine
Jean Prod’hom
A la Sernanty
On attend
ce qui a déjà eu lieu
là où bientôt il n’y aura personne
Jean Prod’hom
Confier au chef d’orchestre
Confier au chef d’orchestre qui me précède dans le langage
le soin de faire taire le charivari qui m’habite
au profit d’une mélodie qui me consolerait
Jean Prod’hom
Laisser en héritage
Laisser en héritage ce sur quoi l’acier ne mord pas
les nuages et la mer
vers lesquels coule l’encre du papier noirci
Jean Prod’hom
On n'écrit pas seul
On n'écrit pas seul
mais il faut être seul
pour entendre leurs voix
Jean Prod’hom
Elles rêvaient de Chenonceau et de Versailles
Du balcon de la grande galerie
de la centrale hydroélectrique de Mühleberg
nous rêvions de Chenonceau et de Versailles
les dix minutes passées sur le pont du générateur dedans une turbine Francis
nous ramenèrent cheveux aux vents à la dure réalité
au naufrage du Titanic
Jean Prod’hom
Clôture à Mühleberg
Des hommes veillent sur les rives de l’Aar
à l’abri des affaires du siècle
le coeur de Mühleberg vit au rythme de celui de Sainte-Sophie
Jean Prod’hom
Le seul rêve qui se réalise
Le seul rêve qui se réalise continument
est ce rêve que personne n’a rêvé
et qui n'attend personne
Jean Prod’hom
Avant que le jour n’annule la nuit
Avant que le jour n’annule la nuit
timides et secrets
l’argent des labours et l’or de la chaume
Jean Prod’hom
Tirer du fatras
Tirer du fatras
ce dont la pointe serait si fine
qu’elle se confondrait avec l’étendue
Jean Prod’hom
Au cours de sciences
Ecartez le bruit et retroussez les manches,
ajoutez à l’eau versée dans les douves du château de sable un peu de sel,
vous ferez lever la mer.
Jean Prod’hom
Augustin Rebetez
Rien à quoi s’appuyer
le marionnettiste a quitté la partie
pas le temps de récapituler
chute libre
dans un univers en expansion
même lorsqu'il se réduit
Jean Prod’hom
Carrouge
Des jonquilles
un merle
sur un prunier
des iris
sous l’aulne
près de l’étang
les courges enfin
les pommes
et le dernier train
Jean Prod’hom
Quatre heures du mat'
Le jour repousse la nuit
dans la nuit,
ne nous en laisse que la traîne.
Jean Prod’hom
1945
Réduire la fracture
Réduire la fracture qui maintient l’effet éloigné de la cause,
l’avenir étranger au passé et l’obligation privée de liberté.
Ce que fait entendre le ruisseau se confond, parfois, avec son murmure.
Jean Prod’hom
Mercredi après-midi
Une douzaine de gamins attendent
assis sur le muret bordant le terrain de foot de la Colline,
j’attends toujours
Jean Prod’hom
Tessons à paraître
On ne sait pas trop quoi dire
par où commencer
alors on se tait à deux pas de ceux qui n’en savent rien
Jean Prod’hom
Hesselbarth au Vieil Arsenal
Un caillebotis en guise d’embarcation
un bec verseur d’acier et un bambou d’avant le goupillon
qui tombe d’en-haut comme un trait de lumière
Jean-Claude Hesselbarth au Vieil Arsenal (26 septembre 2014)
Jean Prod’hom
La Rivière
Jean-Claude Hesselbarth
Vieil Arsenal
Du 26 septembre au 2 novembre 2014
J’aurais voulu encore
J’aurais voulu encore que le poète eût assez de forces
pour écrire l’instant où celles-ci lui ont manqué
l’ont laissé sans le poème mais peut-être au plus près de son évidence.
Jean Prod’hom
Cery
Passe l’ombre d’un poète
les pierres qu'il a déposées dans l’allée
m’aident à ouvrir le portail
Jean Prod’hom
Quelque chose
Quelque chose qui ne restera pas
un char de foin
pour voir venir
Jean Prod’hom
L'aventure ne figure dans aucun bilan
Si on le peut
Un peu en-deçà
dans l’anonymat
c’est ce qu’on fait de mieux
Jean Prod’hom
Villages
Ils se sont regardés tout l’été de travers
aujourd’hui plongés dans la brouille
villages bientôt sous la neige
Jean Prod’hom
Tout le monde se tut
La voix de la vieille sortait d’un de ces fonds de tiroir branlant
qu’on ne réparera pas où s’empilent des napperons
des boîtes de fer blanc remplies de boutons et de fermetures éclair d’argent
Jean Prod’hom
Ils s’en prennent
Ils s’en prennent comme d’hab à ceux qui ont pris acte de la nouvelle donne
au prétexte d’assurer la sécurité de ceux qui viendront après eux
leur refilant en sous-main les représentations antiques qui les paralysent
Jean Prod’hom
Silence et déni
Silence et déni
pour conjurer l’échec
dont se réjouit celui qui a gardé confiance
Jean Prod’hom
De l’autre côté du décor
Arthur Prod’hom
De l’autre côté du décor
l’inachevé passe et dure et brille
avec dessus la nuit qui respire et le ciel qui prend le large
Jean Prod’hom
Il y a des fatigues
Il y a des fatigues et des regrets
il y a des faiblesses et des hésitations
il y a des attentes qui ne reviendront pas
Jean Prod’hom
Sculpture sans sacre
Sculptures sans vernis ni sacre
visite libre à l’arrière des maisons
la nuit personne ne surveille le site
Jean Prod’hom
L'or fin
L’or fin confond au matin les êtres qui plastronnent
les plonge dans la glaise
seconde nuit dont ils ne s’émanciperont pas
Jean Prod’hom
Il faisait un ciel bas
Il faisait un ciel bas
Rebecca Bowring et Alexandre Schild
Mai 2014
Petit
Depuis la disparition des refuges que lui laissaient la terre et le ciel
lorsque ceux-ci partageaient la clé du royaume
l’homme est redevenu le théâtre des premières terreurs
Jean Prod’hom
Septembre aux Lofoten
L’homme qui titube dans le port de Svolvær
traîne un jerrican d’aquavit
la lune ne se retourne pas et continue sans lui
Jean Prod’hom
Une belle carrière
Une belle carrière ponctuée d’indignations et de colères
de sacrifices et de révisions
en révisions d’épurations
Jean Prod’hom
Boîte crânienne
Boîte crânienne entrouverte comme une noix
s’y glissent homéostatiques
le ciel et les bois
Jean Prod’hom
Le silence
Sa voix puissante ne laissait rien dans l’ombre
pas même l’ombre
moi je campais
Jean Prod’hom
J’entends faiblement
J’entends faiblement
l’ailleurs qui appelle du dedans le langage
mais je l’entends
Jean Prod’hom
Silence de bibliothèque
Foires à lire
Inviter aux foires à lire d’autres personnes que les auteurs
et d’autres objets que les livres
changerait considérablement la donne
Jean Prod’hom
L'anniversaire
L’enfant tourne le dos au linge que soulève le vent dans le jardin
gonfle les joues pour éteindre les bougies d’un gâteau en forme d’île
meringues double crème et cerises bleu noir de seiche
Jean Prod’hom
Rentrée littéraire
Photo : Louise Prod’hom
Parvenue au bas de la première page
la lectrice du bord de la mer leva la tête
les autres auraient-elles été de trop ?
Jean Prod’hom
Ramenés de l'île d'Yeu
Le propre de l’homme ?
à coup sûr la poche
n’était le kangourou
Jean Prod’hom
Sans les prépositions
Sans les prépositions
les mots ne sautilleraient pas de branche en branche
et les quarts de soupir demeureraient sur la ligne d’horizon
Jean Prod’hom
N'y touche pas
Si je m’écoutais
il ne resterait rien
qui vaille la peine d'être ajouté
Jean Prod’hom
Plus de choses dans le livre que dans la vie
En se figurant qu'il y a plus de choses dans le livre que dans la vie
le lecteur se coupe du vertige et de l’ivresse
que lui offrent l’un et l’autre lorsqu’ils sont l’un dans l’autre
Jean Prod’hom
Les eaux de la mer Rouge
Les eaux de la mer Rouge s’écartaient s’écartaient
lorsque je m’avisai que je m’étais endormi au fond d’un chemin creux
qui montait montait se perdre dans le ciel
Jean Prod’hom
Sont où les papillons ?
Le solitaire et le grand sylvain sont en danger
l’hermite est au bord de l’extinction
le petit agreste éteint
Jean Prod’hom
Les 236 espèces de Papillons diurnes et de Zygènes observées à ce jour en Suisse font partie des insectes les plus familiers et les plus appréciés du grand public. Extrêmement sensibles aux variations de la qualité ou du mode d’exploitation de leurs principaux habitats – prairies et pâturages maigres secs ou humides, landes et écotones buissonneux notamment – ce sont d’excellents indicateurs de l’évolution des biocénoses des milieux ouverts et semi-ouverts. Ces quelques caractéristiques justifient à elles seules leur prise en compte dans les programmes de suivi de la biodiversité en Suisse et d’actualisation des Listes rouges nationales des espèces menacées.
Parmi les espèces évaluées, 78 (34,5 %) sont menacées: 3 (1 %) sont éteintes en Suisse (RE), 10 (4 %) au bord de l’extinction (CR), 27 (12 %) en danger (EN), et 38 (17 %) vulnérables (VU). 44 (20%) sont potentiellement menacées (NT). La majorité des espèces de ces catégories se retrouvent principalement dans les prairies et pâturages maigres, les menaces étant plus marquées à basse et moyenne altitude que dans les pelouses subalpines et alpines. Les milieux buissonnants et de transition jouent également un rôle important. Les zones humides et forestières hébergent un nombre plus limité de Papillons de jour et de Zygènes, mais la proportion d’espèces menacées y est par contre plus forte, en particulier dans les milieux humides. Les milieux contruits et les cultures peuvent jouer un rôle dans la survie de quelques espèces menacées, même si ces dernières n’en sont pas dépendantes et colonisent principalement d’autres mi- lieux semi-naturels plus propices.
Liste rouge Papillons diurnes et Zygènes
Publié par l’Office fédéral de l’environnement OFEV
et par le Centre suisse de cartographie de la faune CSCF Berne, 2014
Grands-Praz
Immobile sur la rive droite de la Carrouge
divisé
ni taupe ni milan
Jean Prod’hom
Jourde et Meizoz
Réouvrir les boîtes trop vite scellées
bijoux mal acquis et voeux pieux
accords infects et mariages forcés
Jean Prod’hom
Héritage
Elle y a ouvert les yeux avant qu’on lui en barre l’accès
pièce vide verrouillée du dedans
pas même le nom de sa mère
Jean Prod’hom
A titre d'honoraires
Avance sur les droits d’auteur
quinze ans de mariage et trois enfants
assez pour t’offrir des fleurs et vous payer une quatre-saisons
Jean Prod’hom
Butin
Se rendre à l’évidence
à l’aise dans les fosses
à l’aise dans les laisses et les poches
Jean Prod’hom
Rien à signaler sur le front scolaire
Rien à signaler cette année sur le front scolaire mis à part
de nouveaux caporaux et des améliorations dans l’étanchéité des bâtiments
la mise à jour du jeu des injonctions et des soumissions
Jean Prod’hom
Isotropie
Tu crois connaître la passe qu’emprunte l’avenir
pour rejoindre le passé
mais connais-tu celle qu’emprunte le passé pour rejoindre l’avenir
Jean Prod’hom
La Murée
C’est parce qu’elle mourut en ignorant que ce tableau viendrait jusqu’à moi que
les découvrant côte à côte sur une ancienne photo
je perçus le mystère qui les entourait
Jean Prod’hom
Les coeurs
Les coeurs demeurent à découvert
à côté du lieu où ils battent
dans la paille
Jean Prod’hom
Visite au cimetière
Le nom des morts ne connaît pas de repos
les époux font chambre à part libres de ce qu’ils s’étaient promis
je pique-nique avec les enfants adossés à leur arbre généalogique
Jean Prod’hom
Coïncidences
Les circonstances coulissent
comme les décors d’un théâtre
ça fait bien au total cent mille milliards de poèmes
Jean Prod’hom
Structures élémentaires de la parenté
Chacun rejoint la place qui lui revient
dans l’un ou l’autre des compartiments du convoi des générations
dans la hâte mais en bon ordre comme au mikado
* (1898?) Augusta / Marie (Joliquin) / Lucie / Louis / Elisa / Marcel / Charles Rossier / Blanche
Jean Prod’hom
Rue du Nord (1983)
Seul près du poêle j’entendis des voix
la plus nue se proposa de tirer parti du charivari
et fit entendre la chambre vide
Jean Prod’hom
Rueyres
Plus loin le foin tout juste sorti du four
des abeilles dans le tilleul et de la cire dans les oreilles
deux draps blancs au vent et une ribambelle de mirabelles
Jean Prod’hom
Morvan (1980)
Il parlaient dans une langue à gros galets
d’où jaillissait un filet d’eau
corps de lierre et jambes de bois
Jean Prod’hom
Dernière fête du bois (1959)
Les nouveaux firent leur mélange de gravier et de ciment dans la caisse à sable
supprimèrent l’épingle à cheveux qui ramenait les papillons aux ateliers
tranchèrent d’un coup de ciseau indolore et le bandeau et les escaliers
Jean Prod’hom
Palette d'Isenau (1957)
Nous sommes nés d’une même pâte translucide
éclats d'un seul tenant que rien ne pouvait séparer pas même les pleurs
rires ivres qu’un regard dont on ne saura rien faisait monter au gré du vent
Jean Prod’hom
Incipit tragoedia (1959)
On apprit émerveillés les différents rôles de la tragédie qui nous attendait
avant d’accepter celui que les circonstances nous commandaient d’endosser
et dont nous aurions à nous affranchir le restant de notre vie
Jean Prod’hom
Plans-sur-Bex (1962)
C’est en y jouant de longues heures dehors sous l’auvent
que le Monopoly imposa à nos vies intérieures
un premier plan directeur
Jean Prod’hom
Vie personnelle (1958)
Ma vie personnelle prit naissance au fond des yeux fermés de papa et maman
corollaire du désintérêt qu’ils me portèrent soudain pour sauver la leur
et de la confiance qu'ils me firent pour disposer d’un peu de temps mignon
Jean Prod’hom
Baron perché (1957)
L’intrusion du passe simple
nous contraignit à partager nos vies avec les héros de nos récits
à concevoir un ailleurs et d’autres asiles
Jean Prod’hom
Grandes vacances
Les paupières décollées
notre futal enfilé
nous nous glissions entre ciel et terre pour rejoindre notre bivouac
Jean Prod’hom
Riant-Mont
Notre quartier s’étendait jusqu’au petit parc
à la colline et au fond du jardin
au-delà un domaine inconnu où régnait le gros Georges au milieu de rien
Jean Prod’hom
Plus tard
Une adolescence à mobylette
rythmée par de petites explosions
des ratés soigneusement organisés
Jean Prod’hom
J’ai essayé
J’ai essayé d’imaginer les Australiens comme l’école nous y obligeait
à chaque coup un vertige me saisissait et je m’accrochais à la cime des arbres
le ciel à mes pieds et la tête en-bas jurant qu’on ne m’y reprendrait pas
Jean Prod’hom
Des lieux auxquels je ne demandais rien
Des lieux auxquels je ne demandais rien
des lieux d’avant les questions et les réponses
des mariages et des divorces
Jean Prod’hom
Allais au ralenti
Allais au ralenti
lorsque tout allait bien
avec la conviction des balles perdues
Jean Prod’hom
Aussi loin que mon regard
D’aussi loin que mon regard pouvait porter
sourdait une nostalgie vivace
sans passage secret
Jean Prod’hom
Happy boots
Batterie de chants au couchant
le soleil mijote derrière le barbecue
croque de cake et coup d’bourdon
Jean Prod’hom
Laves bleues
Laves bleues
chaume vert-de-gris
la toison d’or entre chien et loup
Jean Prod’hom
En avoir toujours déjà fini
En avoir toujours déjà fini avec les affaires courantes
déroute au lever du jour
point d’orgue jusqu’à la nuit
Jean Prod’hom
Retour au Riau
Ne pas en faire plus l’un pour l’autre
que de nous redire la nuit que nous partageons
et dans laquelle tu te réfugies avant moi
Jean Prod’hom
Au ciel
Ni tri ni carde
ni peigne ni fil ni trame
l’haleine du vent
Jean Prod’hom
Tsahal 1985-2009
Tonnerre et Arc-en-ciel
Opéra et Jambe de bois
Pluie d'été et Plomb durci
Jean Prod’hom
Poésie verticale
Ne pas forcer le système à retourner en arrière ou aller de l’avant
mais redescendre le seau au fond du puits
en levant le cliquet et la tête au fond du ciel
Jean Prod’hom
Saint-Auban-sur-Ouvèze
Jamais au grand jamais disais-tu
sans imaginer qu’il eût pu en aller autrement
saisi du vertige d’être bel et bien ici plutôt que là
Jean Prod’hom
Bergerie du Lou
Elle est entrée dans la partie par effraction
en a appris les règles par distraction
l’a quittée avant son terme
Jean Prod’hom
Rive du Lez
On croit pouvoir infléchir le cours des choses sans avoir à changer soi-même
on manque naturellement le premier objectif
on parvient sans effort au second
Jean Prod’hom
Adieu au langage
Aussi inconcevable de dire adieu au langage
qu’à l’ombre qui nous suit
à moins de s’enfoncer dans sa nuit
Jean Prod’hom
Dans les gorges du Chassezac
Dans le creux de midi
les cris de l’été couvrent le silence de ceux qui soudain manquent
la maison de Casteljau dort
Jean Prod’hom
Quelque chose qui demeure
Quelque chose qui nous aura accompagnés tout au long de notre existence
semblable au ciel qu’on aperçoit
du fond d’un chemin creux ou des talus qui le bordent
Jean Prod’hom
Quelque part
Le silence dans lequel l’inclinaison de son visage le plonge
celui qui accompagne les fronces de tes sourcils attestent d’un séjour partagé
où nous sommes assurés de ne rencontrer personne
Jean Prod’hom
Rideau de pluie
Nous étions restés tout le jour
à l’abri derrière un épais rideau de pluie
le soir venu chacun de nous lui tourna le dos
Jean Prod’hom
Sous Chabanne
Pêches pommes prunes
derniers feux d’un jardin en terrasses
rendu à la patience des ronces
Jean Prod’hom
Espace Chauvet
J’appelle « espace Chauvet » toute réplique homothétique
d’un espace protégé ou laissé à l’abandon
dont la réalité se substitue in fine à celle dont elle est la réplique
Jean Prod’hom
Murettes
Galets blancs et basalte noir
dans les eaux de l’Ardèche
et les pierres sèches des murettes que déracinent les genets
Jean Prod’hom
Pléiades
S’est vu trois fois refusé un permis de conduire
s’est rabattu sur la poésie
qui l’a conduit dans la constellation des pléiades
Jean Prod’hom
La négation
La négation ne retranche rien
mais ouvre aux lisières du langage
des échappées vers ce qui se dérobe
Jean Prod’hom
Qui n'a pas vu double
Qui n'a pas vu double
dans le train et sur le quai n'a rien vu
il nous faut désormais songer à voir triple
Jean Prod’hom
Termoli
L’enfant treuille le trabucco descendu la veille
les mailles du filet laissent filer la mer
et ce point de tangence auquel l’enfant touche pour la première fois
Jean Prod’hom
Un bon intellect
Un bon intellect fonctionne
sur le principe de la double digestion
il se satisfait lui aussi de nourritures très pauvres en énergie
Jean Prod’hom
Goût de cendre
Mêmes huissiers à l'entrée des palais du bon et du mauvais goût
même architecte mêmes oubliettes
mêmes pissotières même amertume
Jean Prod’hom
De toujours
De toujours les conversations aveugles
en-bas sous les tilleuls
bercent ceux qui ont jeté l'éponge
Jean Prod’hom
Le silence
Le silence que sécrétait l'ombre dans le lit du Lignon
remontait les prés jusqu'à la butte du Molard
dans ses blancs le cri jasmin d'un courlis
Jean Prod’hom
Prisonnier
Prisonnier de son courant
immobile sur ses rives
successivement et simultanément
Jean Prod’hom
Chose qu'on entend mais qu'on ne voit pas
Près de la fontaine du refuge de Ropraz
j’entends des champignons sortir de terre
impossible de les surprendre
Jean Prod’hom
N'écris pas trop court
N'écris pas trop court
ceux qui te lisent ne te liront plus
si tu fais plus long
Jean Prod’hom
Heureux égarement
De l’heureux égarement dans lequel je m’étais trouvé au milieu du bois Vuacoz
je conclus qu’il dépendait certes de l’affaiblissement de ma mémoire
mais qu’il était avant tout la conséquence de l’acceptation de mon ignorance
Jean Prod’hom
Au bois Vuacoz
Parti vers l’ouest sur le dos d'un Boeing
revenu
sur celui d'une libellule
Jean Prod’hom
Dans les myrtilliers
Le chant du merle et les odeurs de la résine
l'eau dans la brise et une poignée de framboises
ensemble dans la même main
Jean Prod’hom
Pierrot a ouvert le bal
Pierrot a ouvert le bal
ondins des prés jardins de paille
toisons tressées entre terre et ciel
Jean Prod’hom
Ce soir
Soudain ce soir le temps a tourné
dans le ciel
des nuages se baignent
Jean Prod’hom
Doubler notre monde (c)
Les tentatives de doubler notre monde
sont à l’origine de l’invention et du développement du récit
l’histoire est la chronique de cet échec
Jean Prod’hom
Métalogue (c)
Mais alors quitter la maison
et rentrer chez soi
c’est pareil au même
Jean Prod’hom
Inconscience ou grandeur d'âme (c)
Traiter avec la même bienveillance ceux qui se serviront demain
des outils enseignés pour asseoir leur domination
inconscience ou grandeur d’âme
Jean Prod’hom
Mes yeux brillent (c)
Mes yeux brillent et ton sourire ouvre les bras
paire d'heures dans un chemin creux
puits de fraîcheur dont tes lèvres dessinent l’ombre
Jean Prod’hom
CXXXIV | Topologie (c)
Les rolex et les menottes font partie d’une seule et même famille d’objets
ce sont en effet aux poignets de ceux qui exhibent les premières
qu’on passe tôt ou tard les secondes
Jean Prod’hom
La petite vieille
L’infirmière porte la valise de la petite vieille
dans la chambre bleue
la poupée en porcelaine ne bronche pas
Jean Prod’hom
Il pleut sur la tôle (c)
Il pleut sur la tôle et les fougères ploient
myrtilles et framboises attendront
cueillette sous l’édredon
Jean Prod’hom
Avant l'orage (c)
Au second plan le triticale main au képi
au premier ivre et vanille
le fol épi
Jean Prod’hom
CXXXIII
De bien petits seins ma foi
à moins qu’elle ait mis son soutien-gorge à l'envers
je m’avisai plus tard que c’était sa tête qui l’était
Jean Prod’hom
Malaxe
Vieux rêve qui se réveille
celui de baigner ton corps dans les verts
craies grasses non solubles à l'eau
Jean Prod’hom
Clairière (c)
Clairière où se sont repliés
parfums et toisons
d’avant la conquête
Jean Prod’hom
Parthénogenèse (c)
Un rideau coupe en continu nos jours
sans que nous sachions exactement
de quel côté nous avons installé notre campement de base
Jean Prod’hom
A Geoffrey Cottenceau et Romain Rousset (c)
C’est le même voyage familier
mais rien ne va comme on l’imagine
les cairns vacillent
Jean Prod’hom
Demain l'école
Nous sommes sans réponse de nos commanditaires
on commencera donc l'année scolaire sans chaises ni tables ni papier
une chance pour notre école qui volera de branche en branche
Jean Prod’hom
Plan-Châtel
Les sangliers ont tourné la butte du vieux
le Mont-Blanc a mis son chapeau
les raiponces ont les cheveux en bataille
Jean Prod’hom
Orgevaux (c)
C'est là qu'on s'établira
on essartera et dans la pente fleuriront
renouées scabieuses et centaurées
Jean Prod’hom
L’essence du bref (c)
Court plus court mains jointes
ne rien écrire avant que
le commencement et la fin ne fassent qu’un
Jean Prod’hom
Talent
L’absence de talent ne l’a pas handicapé bien au contraire
il aimerait le faire entendre à ceux qui lui en prêtent un
le dire avec élégance et précision sans pour autant leur faire croire le contraire
Jean Prod’hom
Viale Ruggero di Lauria (Catane)
Des fleurs dans un pot de grès
un lot de pauvres parés d’étoiles
le jour entre les barreaux par où s’invitent une tourterelle et un air de liberté
Jean Prod’hom
Du Gueulard au paradis
En lisant dans les carnets de Dante
le compte-rendu d’une fête à laquelle j’ai participé sans le savoir
je me suis réjoui une fois encore de la pluralité des mondes et de mon ubiquité
Du Gueulard au paradis / Le Retour de Dante
Daniel Gaemperle / Jean-Pierre Gerber / Pascal Rebetez
Saint-Ursanne / Fours à Chaux (22 juin - 27 juillet 2014)
San Giovanni Li Cuti (Catane) (c)
Corps et cailloux brûlants expulsés des bouches de la ville
la mer a relevé ses jupes
et les accueille entre ses cuisses
Jean Prod’hom
Via Vittorio Emanuele II (Catane) (c)
Ne pas déchirer l'enveloppe
derrière laquelle
chacun vit incognito
Jean Prod’hom
Ginostra (Stromboli)
Une vingtaine d’indiens
l'hiver sans illusion
pris entre rêveries et volcan qui se racle la gorge
Jean Prod’hom
Enfers (Stromboli)
Une baleine noire
neuf évents chauffés à blanc
personne vraiment personne
Jean Prod’hom
Cimitero di Lipari
Les habitants de l'île avaient mis leurs morts
sous perfusion
pour les maintenir en l'état
Jean Prod’hom
Vespa (Vulcano)
Vespa de Piano à Gelso
une obsidienne dans la poche
des genêts s'accrochent
Jean Prod’hom
Ce que j'avais égaré (Milazzo) (c)
Milazzo
Retrouve enfin ce que j'avais égaré
avec la soudaine conviction
que j'aurais pu m'en passer
Jean Prod’hom
Hôtel Conti (Vulcano)
Tonnerre de lave noire
la vague battue disparaît dans les sous-sols
dans la nuit Alicudi Filicudi et Salina
Jean Prod’hom
Aller de l'avant (c)
Certains remontent très loin en arrière
pour en avoir le coeur net
c’est peut-être la seule manière d’aller de l’avant
Jean Prod’hom
Avec Descartes
Passe l’après-midi au bord du lac avec Descartes
il revient sur la dualité de la pensée et de l’étendue
sans daigner m’écouter lorsque j’évoque les effets à long terme d’une telle idée
Jean Prod’hom
Mantra
Professionnel mot mantra mis à la disposition des enseignants
pour que les amateurs qu’ils resteront n’aient à répondre
ni de leurs actions ni de celles de l’institution à laquelle ils obéissent
Jean Prod’hom
A la pêche (c)
Parfois la ligne et le filet
le leurre la mouche le fer et la proie ne font qu’un
ainsi le poème
Jean Prod’hom
Ce que je vaux (c)
Ce que je vaux
tout le monde le sait
à moi d’en douter
Jean Prod’hom
En tongs
En tongs
dans le lit de la Corcelette
l’eau froide me monte à la tête
Jean Prod’hom
Elle n’avait laissé sur son corps nu
Elle n’avait laissé sur son corps nu
que son long nom long et vallonné
à l’ombre duquel les hommes rêvaient lorsque le soleil était de plomb
Jean Prod’hom
Culture (c)
L’utilisation des pesticides a permis
également
la culture extensive du bon goût
Jean Prod’hom
Après-midi (c)
On avait ouvert le parasol
le vent soulevait ta jupe
tandis qu’un enfant lisait fenêtre ouverte et volets clos
Jean Prod’hom
Près de l'Escargotière
A côté des oiseaux qui traversent le ciel et les poèmes
il y a des oiseaux à grand bec
qui attendent sans toucher à rien
Jean Prod’hom
Jeunesses campagnardes
Ils voyagent sept fois l’an
pas de prise de tête l’été c’est une jolie saison
sur un timbre poste entre Roms et traditions
Jean Prod’hom
Caput variationis est positio certarum partium (c)
Une vie pour occuper puis céder sa place
et remettre à ceux qui viennent
un insaisissable secret
Marche en plaine (c)
Grande traverse de Fey au Riau
sans précaution
presque nus
Jean Prod’hom
Priorité
Mon appareil photo est le seul
à me le demander encore
priorité à l’ouverture ou à la vitesse
Jean Prod’hom
Offrir une assiette (c)
Offrir une assiette aux morceaux épars
de la beauté
du monde
Jean Prod’hom
Attente
Prolonger indéfiniment les préparatifs
prendre mille précautions
ne jamais en venir à quoi au fait
Jean Prod’hom
D'autre part
Il saisit dans ce que j’ai fait
ce que je n'y ai pas mis
me voilà soulagé
Jean Prod’hom
Présomption (c)
Je ferais je crois
un excellent fou du roi
à qui m’adresser
Jean Prod’hom
L’éternel retour du même (c)
L’éternel retour du même
personne ne le nie
peu s’en satisfont
Jean Prod’hom
Syllogomanie (c)
Bientôt plus de place aux archives
va falloir faire l’économie
de l’avenir
Jean Prod’hom
Construire (c)
Construire solidement ses jours
ne pas oublier les arcs de décharge
une seule porte suffit
Jean Prod’hom
Ne cours pas après l'impossible (c)
Tu ne seras définitivement guéri que
lorsque tu comprendras qu’il ne s’agissait
que d’une rémission
Jean Prod’hom
La Cerjaule
Se détacher
en taillant les marches
qui feront entendre musique et cadence
Jean Prod’hom
Poursuite du vent (c)
Tu te trouves là sans savoir ni comment ni pourquoi
alors tu te penches et rêves à ce qui était
lorsque tu n’étais pas
Jean Prod’hom
Vertus des petites colères
Commenter s’abstenir
grogner c’est du même
je soutiens les vertus des petites colères
Jean Prod’hom
Inversion des pôles
On s’avise mais trop tard
la folie qui a porté l’homme à sortir de son réduit
le rapatrie aujourd’hui au pays des punaises et dans sa nuit
Jean Prod’hom
Ce qui aurait pu le combler (c)
L’homme vit de différer ce qu’il rejoindra à la fin
ne s’avisant pas toujours que ce qui aurait pu le combler
est précisément ce qui l’aura porté
Jean Prod’hom
J'aime la dépression (c)
J'aime la dépression qui revient chaque dimanche
les mondes qui s'y côtoient
sans jamais se toucher
Jean Prod’hom
Jurisprudence
Monsieur c'est vrai
qu'un jour on n'aura plus le droit
de faire des photos du lac
Jean Prod’hom
Rappel
La connaissance est le seul vrai obstacle
rencontré par le maître dans sa volonté
de mettre ses élèves sous tutelle
Jean Prod’hom
Via Cittadella
Plus de serre-joint
la nuit s'engouffre
un oiseau s'y glisse
Jean Prod’hom
Ça tient (c)
En haut d'innombrables moineaux
dessous une couche de pluie
tout autour un invisible serre-joint
Jean Prod’hom
Madonna del Sasso
Il a quinze ans aime farouchement le sport
athée dit-il en fermant les yeux
l'esprit saint n'est décidément pas tombé bien loin
Jean Prod’hom
Brione
Cuivre et indigo
mêlés au torrent
gneiss passé à la verge des prés
Jean Prod’hom
Lac Majeur
Fin de leur partie d'échec
trente ans qu'ils viennent au camping
en voilà deux qui ont appris la durée
Jean Prod’hom
Pandore
La boîte était si belle que
personne ne songea à l’ouvrir
on raconte qu’elle contenait des reliques foie rate et poumons
Jean Prod’hom
Traité de ponctuation
Aller et venir de virgule en virgule
point-virgule pour faire le point
point on reprend à zéro
Jean Prod’hom
Riant-Mont
Hegel demande son chemin
devant chez Zappelli
personne ne lui répond le temps s’arrête
Jean Prod’hom
Claquet (c)
Des petites mines qui éclatent
Un mot qui bourgeonne
Des poèmes qui ratent
Jean Prod’hom
Passe encore
Passe encore celle du velcro
celles du calcul infinitésimal et du paratonnerre
mais celle des anges
Jean Prod’hom
Si l’efficacité d’un aphorisme (c)
Si l’efficacité d’un aphorisme est à mettre en relation
avec la brièveté de son expression et la profondeur de son propos
la Recherche du temps perdu n’en est un qu’à moitié réussi
Jean Prod’hom
Pluralité des mondes
Pierre est mort il y a une semaine je l'ai appris ce matin
qu’a-t-il donc fait pendant tout ce temps
et moi dans quel monde me suis-je égaré
Jean Prod’hom
« Atelier contemplatif » (c)
Dans la nasse
dans la passe
piégé et consentant
Jean Prod’hom
Tôt ou tard (c)
Condamnés à rejoindre l'arrière de l’embarcation
que leurs enfants ont quittée un jour
ils poursuivent la main sur le safran dans une nuit piquée d’or
Jean Prod’hom
En marchant (c)
Donner en marchant
un rythme à sa lassitude
qui bientôt s’éloigne en trottinant
Jean Prod’hom
Un souvenir de Solférino
Oublié l’effroi
une stèle de marbre blanc se dresse à la croisée du transept
les draps lavés sèchent dans une salle du musée
Jean Prod’hom
Bois-Mermet
Condamnés à se satisfaire
de ce qui leur appartient
écartés de ce qui seul nourrit
Jean Prod’hom
Cyclamen (c)
Un battement d’aile suffit parfois
à donner une orientation à celui qui s’est perdu
dans ce qui n’en a pas
Jean Prod’hom
Equanimité (c)
On l’atteint parfois
lorsqu’on parvient à écarter sans les brusquer
ce qui aurait pu être et ce qui n’est pas
Jean Prod’hom
Ce n’est qu’une image (c)
Ce n’est qu’une image qui s’en va à tombeau ouvert
le bleu du lin mêlé aux longs cils du seigle
aux pavots et au vent
Jean Prod’hom
Ici au moins leur peine n'aura pas été vaine
Ils emmuraient leurs secrets
jetaient des bouteilles à la mer et dans le ciel
sans qu’aucun œil n'y pût rien découvrir de suspect
Jean Prod’hom
Pssst
Au salon du livre
un peu trop de livres
mais François Jasmine Daniel et Odile Denise et Pascal
Jean Prod’hom
Un milan (c)
Un milan a jeté l’ancre
dans les quartiers-sud de notre ciel
on se réjouit qu’il nous ait choisis et de ce qu’il écrit
Jean Prod’hom
Mai (c)
On a remisé les puzzles au fond des armoires
dehors aucune pièce ne manque
les couleurs et la lumière se roulent dans l’herbe de mai
Jean Prod’hom
Avec Robert Walser
J'ai croisé Robert Walser tout près du Dählhölzli
il longeait un joli canal sous les frênes qui bourgeonnaient
la viorne obier et l'aubépine étaient en fleurs
Jean Prod’hom
Jour de pluie
Cuir détrempé sous la peau
plus fin qu’une coque d’oeuf
maison pleine de trous
Jean Prod’hom
Zivilschutzanlage (c)
Des inconnus s’étaient installés à nos portes
on a fini par les oublier
avec eux la pluie et le vent
Jean Prod’hom
La vieille
Elle avait beaucoup maigri
feignait de l’ignorer
oh ! comme elle était belle
Jean Prod’hom
Rua Augusta (c)
C’était une rêverie
relayée par d’autres rêveurs elle m’est revenue
dotée de tous les attributs de l’évidence
Jean Prod’hom
São João (c)
La durée
plus brève que l’instant
plus longue et plus large que l’océan
Jean Prod’hom
Enigme (c.c)
C’est dans un retrait radical
que l’enfant recouvre l’identité
dont il a été dépouillé à la naissance
Jean Prod’hom
Revolução dos Cravos
Le roi Joseph à cheval
sur la place du Commerce
il y a 40 ans le général de Spinola
Jean Prod’hom
Alcochete (c)
De l'autre côté du Tage
des vasières
un cul de sac et des merveilles
Jean Prod’hom
Cemitério Alto de São João
Oasis née du choléra
où fanent les cendres
et les fleurs artificielles
Jean Prod’hom
Azulejos
Déposer le passé et l'immatériel
au Mont-de-piété offrir l'avenir
à celui qui veut bien l'accepter
Jean Prod’hom
Nuit
L’incompréhension de Joseph
la stupeur d’Abel
l’effroi de Winnie
Jean Prod’hom
Belém
On souhaite qu'elle se dérobe
la bonne espérance
mais on a mis le pied dessus
Jean Prod’hom
Ligne du Tonkin
Dans le dernier wagon
du dernier train
un récit coupé de ses racines
Jean Prod’hom
Loi des aires
En équilibre
centrifuge et centripète
le milan royal les saules aussi
Jean Prod’hom
Perdu le nord (c)
Impossible
de retrouver le fil
les hirondelles sont de retour
Jean Prod’hom
Jacques Drillon
La poésie qui se proclamant comme genre littéraire
s’est affranchie des signes de ponctuation
souffre plus du manque de virgules que de l’absence de points
Jean Prod’hom
Appréhension (c)
Tu doutes de la solidité de la terre
crains le feu qui couve
ferme le poulailler et allons boire un thé
Jean Prod’hom
Il y a mieux à faire
Les salariés de l’enseignement obligatoire
colportent on le savait les vérités d’avant-hier
avec l'assurance des scientologues c’est nouveau
Jean Prod’hom
Jeu (c)
A l’intérieur de soi
une partie à deux
l’un est seul l’autre est foule
Jean Prod’hom
Antienne
Coups d’archet sur les mousquetons de la balançoire
trilles liquides dans le tremble
un enfant et un merle aux deux bouts du pré
Jean Prod’hom
Weltanschauungen
Je l'appelle l’Escargotière
tu l'appelles le village des Italiens
autres rêves
Jean Prod’hom
Prévenant
L’enfant du pays a placé des bancs
sur tout le territoire de la commune
et bien au-delà encore
Jean Prod’hom
Clôture (c)
Un suaire tient
le monde et nos visages
à l’abri des hommes
Jean Prod’hom
Travaux de printemps (c)
Le ciel a repoussé l'horizon
les bûcherons ont éclairci les bois
reste encore à brûler mes propres dépouilles
Jean Prod’hom
Inconcevable
Inconcevable
la disparition à soi-même
ce qui fait vivre le vivant
Jean Prod’hom
Le petit peuple des oiseaux (c)
Le petit peuple des oiseaux
fixe les limites du jour
pas un mot sur la nuit laissée au cri du seul hibou
Jean Prod’hom
En Rachigny (c)
Poussés de l’arrière
tendus vers l’avant
l’oubli et la mémoire au pas d’amble
Jean Prod’hom
L’adolescent
L’adolescent écartait de la main
tout ce qui aurait pu l’intéresser
pas question de se mettre la bague au doigt
Jean Prod’hom
Spiritualité
Les dieux sont de retour
guignent aux lisières
ils ont la gueule de bois
Jean Prod’hom
Dans les couloirs
La donzelle avait tout du tramway
lui manquait son charme
et un pantographe
Jean Prod’hom
Anxiété (c)
Anxiété
dans le petit monde de la poésie
le vide se réduirait
Jean Prod’hom
Bascules
Le train fantôme est un souvenir
l’homme est convié désormais
de bascule en bascule à faire la grande roue
Jean Prod’hom
Carnaval
Elle s’étonne des passants
qui lui tournent le dos
un malheur les a-t-il emportés
Jean Prod’hom
Gué (c)
Pierres immatérielles
sur lesquelles nous allons
immobiles
Jean Prod’hom
Tendre
Main lichen
joue de ton ventre
à la lisière terre meuble et bois
Jean Prod’hom
Fin de journée
Compromissions cousues de fil blanc
ravalement de façades
la belle pleure derrière les volets clos
Jean Prod’hom
Tourner le dos (c)
Laisser libre
la porte dérobée
du théâtre intérieur
Jean Prod’hom
Près de la Chaux
Cherche près de la Chaux le bohémien
au bandeau blanc taché de sang
et la maison albinos
Jean Prod’hom
Dans les soutes
Dans les soutes de l’Achille Lauro
au trapèze d’un dériveur
ou dans la nuit sur une coquille de noix
Jean Prod’hom
Tête au vert
Les bourreaux huilent leurs chaînes
les victimes versifient
il est temps de mettre ma tête au vert
Jean Prod’hom
Déserts (c)
Le silence sur lequel débouchent nos certitudes
nous met davantage en danger
que ne le fait celui auquel s’abreuvent nos doutes
Jean Prod’hom
Caresses (c)
Lorsque la neige cède
le ventre souple et rond de la terre
plein sous la main
Jean Prod’hom
Sans issue (c)
La clé est à coup sûr
dans la bouche
de ceux qui se taisent
Jean Prod’hom
Ce qui n'appartient à personne
Se saisir de ce qui n'appartient à personne
le lui rendre
comme une offrande
Jean Prod’hom
Fin de partie (c)
Partie
dont on ne peut connaître le fin mot
en donnant sa langue au chat
Jean Prod’hom
Aussi longtemps (c)
La langue nous lie
aussi longtemps
que son usage ne nous en affranchit pas
Jean Prod’hom
Belle histoire (c)
Si rien n’a de fin c’est
peut-être parce que
rien n’a vraiment commencé
Jean Prod’hom
Mars
Le ciel se baigne
dans les flaques des labours
tapissées de boues lisses
Jean Prod’hom
Objectivement (c)
Seule manière de considérer
objectivement ses pensées
les tenir à respectable distance
Jean Prod’hom
Preuves
Jours fériés
dimanches
indiscutables preuves de l'existence de Dieu
Jean Prod’hom
Homéostasie (c)
J’héberge deux soi
l’un se tait quand l’autre fait la sourde oreille
chacun son tour
Jean Prod’hom
Panique
Assuré de marcher sur un chemin emprunté mille fois déjà
chercher sans y parvenir les signes d’une familiarité
perdre la raison
Jean Prod’hom
Ecrire (c)
Ecrire pour exister hors de soi
et faire dedans un peu de place
à ce qui fait défaut
Jean Prod’hom
Obligés de personne (c)
Père et fils unis
dans l’obligation d’être à la fin
les obligés de personne
Jean Prod’hom
Les associations (c)
Les associations
sont toujours à la fin
des associations de malfaiteurs
Jean Prod’hom
Conscience (c)
Sur les écrans de la bonne
et de la mauvaise conscience
les mêmes larcins
Jean Prod’hom
Innocent
Innocent
qui n’a ni fui ni désobéi
devenu bourreau obéissant
Jean Prod’hom
Jusqu’au bout (c)
Jusqu’au bout
là où les ornières se perdent
où il n’y a plus rien
Jean Prod’hom
Tant que j’ai ma tête (c)
Tu ne me forceras pas
tant que j’ai ma tête
qu'on ne s'acharne pas si je la perds
Jean Prod’hom
Jouer petit
Jouer petit
forcer ainsi l'enfant à prendre la main
l’obliger à se retrouver devant
Jean Prod’hom
Ça tient (c)
Ça tient
non pas que ce soit vrai ou qu’on y soit pour quelque chose
non ça tient
Jean Prod’hom
Un peu à côté (c)
Vivre un peu à côté
dans une parenthèse
avec juste ce qu’il faut
Jean Prod’hom
Une tache de soleil
Derrière le chantier désert
le vin coule à ras bord
l’esprit fait l’accordéon
Jean Prod’hom
J’entends (c)
J’entends le chant d’une mésange
air et brindilles
de feux réchauffés
Jean Prod’hom
Changements (c)
Il y a bien quelques changements
les rosiers taillés
le bois livré
Jean Prod’hom
Surseoir (c)
Surseoir
aussi longtemps que possible
sans élever de digue
Jean Prod’hom
Quelque chose
Quelque chose insiste
dans la vague que suit
ma respiration
Jean Prod’hom
Février
Bras noirs des pommiers du verger
cercles de boue nue
tout autour le pré enneigé
Jean Prod’hom
Demi-dieu (c)
L’homme ne dépend que de l'inaccessible
pour le reste
carte blanche
Jean Prod’hom
Retrait (c)
Décoller du trafic
en se laissant couler
comme le sable au fond du verre
Jean Prod’hom
Nuit (c)
Ne pas faire la lumière sur tout
maintenir quel qu’en soit le prix un coin d’ombre
où déposer sa fatigue
Jean Prod’hom
Plein air (c)
C’est la qualité de l’air qu’on respire
qui donne à nos pensées
un semblant d'allure
Jean Prod’hom
Plaie d'époque (c)
S’en référer à la loi
pour ne pas avoir à lui désobéir
lâcheté de sous-lieutenant
Jean Prod’hom
Ne me fie (c)
Me tiens au courant
m'étonne de ce bazar
ne me fie qu’à ce qui penche
Jean Prod’hom
Bulletin scolaire
Six points sur douze
la gamine huit ans ne dit rien
terre d’asile
Pleure à la récré
pas de points de suture
crime contre l’humanité
Jean Prod’hom
Légèrement en retrait (c)
L’homme ne précède que de quelques pas la mort qui le suit
et qui le fait tenir droit aussi longtemps qu’il vit
et qui recueille son corps lorsqu’il meurt
Jean Prod’hom
Dans le pré
La même inquiétude
mais une autre réponse à ce qui ne lui convient pas
une manière de consentir en tournant le dos
Jean Prod’hom
Becs d’acier (c)
Becs d’acier et bambous
figés dans l’encrier
j’attends le dégel
Jean Prod’hom
L’homme prêche (c)
L’homme prêche à journée faite
personne ne s’en soucie
pas même le désert
Jean Prod’hom
D'encre et d'huile
Les ruisseaux tracent dans la neige
de longues lettres noires
dans lesquelles se mêle un peu du bleu du ciel
Jean Prod’hom
L’insensé (c)
L’insensé a entouré sa vie intérieure
d’une telle isolation que
plus rien n’en sort
Jean Prod’hom
Laisser l’ignorance (c)
L’ignorance conduit là où
ni l’enfant ni vous
ne songiez vous rendre
Jean Prod’hom
Plus de murs (c)
Plus de murs
on cherche désormais quoi mettre en tiers
pour fabriquer de l’autre autrement
Jean Prod’hom
Pris au mot (c)
Pris au mot dans la cour des grands
quelque chose s’accroche
au goulot des fontaines
Jean Prod’hom
Deux ou trois mots (c)
Deux ou trois des mots à boire
qui t’ont fait danser
reposent au fond du verre
Jean Prod’hom
Sourire (c)
Sourire à la traîne
fine lézarde où affleure
une fatigue de plomb
Jean Prod’hom
Le regard
Le regard du fratricide
celui d’Abel
la nuit des citernes
Jean Prod’hom
Dedans dehors
Dedans dehors
comme chien et loup
néon dans l’obscurité
Jean Prod’hom
Erreur fatale
Erreur fatale
blocage général
l’administrateur a foutu le camp
Jean Prod’hom
Rentrée des classes
Mise en boîte
et placards au prix fort
fausses pistes et chausse-trapes
Jean Prod’hom