sept. 2016

J’allais – passager inutile – en contrebas du cimetière

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J’allais – passager inutile – en contrebas du cimetière,
l’évidence apparut, discrète.
Pas besoin d’y glisser le pied, la porte ne se refermerait pas.

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Jean Prod’hom

Si la mort d’un enfant

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Si la mort d’un enfant nous semble si injuste,
c’est parce qu’elle lui a été enlevée avant l’heure,
parce que le temps ne lui a pas été donné de la faire sienne.

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Jean Prod’hom

Qu'on vous laisse entendre

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Qu'on vous laisse entendre, un jour, que vous n'êtes pas indispensable dans l'exercice de vos fonctions - que vous ne l'avez même certainement jamais été, malgré votre engagement de tous les instants, - ne manquera pas de raidir votre bonne volonté et de mettre à mal votre orgueil.

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A l'inverse, que vous vous en avisiez un jour, sans l'aide de personne, et que vous concédiez en toute bonne foi qu'un autre aurait pu s'acquitter de votre tâche avec les mêmes résultats et un égal bonheur, a la vertu de vous libérer sur le champ d'une imagerie pesante et de vous rendre à nouveau le monde dans toute sa largeur. Vous voici prêt à déposer les armes et à lever les yeux au ciel.

Jean Prod’hom

Si j’écris quotidiennement

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Si j’écris quotidiennement, c’est, je crois, pour répondre à l’appel de Frantz, donner de mes nouvelles aux copains du quartier, à Dominique ; leur dire que je n’ai rien oublié de nos aventures et que je suis resté fidèle, comme eux, aux promesses que nous nous sommes faites.
Leur rappeler que s’il a fallu que nous nous séparions un jour, ce n’est pas suite à des manquements ou à des trahisons, mais en raison d’un sortilège auquel les enfants n’échappent pas ; qui les oblige, chacun, à reprendre à leur compte tout ce qui leur a été remis dans l’heureux aveuglement de l’enfance, à lui donner une forme qui ne trouve pas sa cadence sur des chemins où l’on marche de front, mais que ceux d’autrefois devraient reconnaître au phrasé pareil à la vague qui nous portait alors, pendant les vacances, du matin au soir.

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Jean Prod’hom

Sur leur visage une grimace

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Sur leur visage une grimace,
la même, fondue et enchaînée,
celle de la terre qui tremble.

Sur ton visage un sourire,
le même, fondu et enchaîné,
celui de la mer qui danse.

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Jean Prod’hom


L'allée conduisant au cimetière de Corcelles-le-Jorat

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Il y a peu, je me suis aperçu que l’allée conduisant au cimetière de Corcelles-le-Jorat (où je serai enterré si je meurs) était précédée d’un panneau indiquant une Intersection comportant la priorité de droite. Je me suis promis d’être attentif le moment venu.

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A ce propos, on aurait tout intérêt, je crois, à nous pencher sur la question et à nous préparer en conséquence. C’est en effet une Chaussée glissante qui attend les habitants d’une commune de la Broye vaudoise, et un Double virage que devront négocier quelques-uns de ceux qui vont mourir dans un hameau du pied du Jura. Je le déclare, il y a autant de philosophies et de façons d’aborder la mort que de panneaux de signalisation routière placés à l’entrée des allées, des chemins et des routes conduisant aux cimetières de nos villages.
L’inventaire que j’ai eu l’occasion de dresser, depuis, place au premier rang, loin devant les autres, l’impitoyable Impasse, talonnée par le Sens unique ; ils ne laissent aucun espoir. L’indication d’une Place d’évitement en donne à nouveau, c’est heureux, aux habitants d’une petite commune fribourgeoise, comme celle qui donne la Priorité aux véhicules venant en sens inverse : le retour est donc possible pour les pendulaires de cette bourgade viticole du canton de Genève.
Les municipaux qui ont exigé du service de police qu’elle place, en bordure du chemin, un panneau rouge d’Interdiction de s’arrêter a fait perdre la tête à plus d’un citoyen d’une grande commune neuchâteloise. Quant à l’Interdiction de faire demi-tour, elle a mis au pas les têtes brûlées d’un bourg valaisan qui espéraient reprendre leurs affaires sitôt les formalités de leur enterrement réglées. Dans le même canton, les panneaux d’Interdiction de skier et d’Interdiction de luger ont rappelé aux promoteurs de l’une des mecques du sport d’hiver que la mort n’était pas une partie de plaisir.
Je n’ai pas encore relevé de panneau annonçant un Tunnel ou un Passage souterrain, mais je ne désespère pas. Ce matin, j’ai rencontré au café un ressortissant de la Singine, il m’a confié que le chemin caillouteux menant au cimetière de son bled était précédé d’un panneau représentant un Dos d’âne, qu’on appelle aussi Cassis ; on a tout de suite fraternisé. Je n’ai pas pu m’empêcher de lui parler de mon préféré, un panneau situé à l’entrée de la route conduisant au cimetière d’un modeste village des Franches-Montagnes, il représente une Chaussée rétrécie. Après, on a parlé d’Antoine Jaccoud et de Bern ist überall.

Jean Prod’hom

Chaud dedans froid devant

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Chaud dedans froid devant,
vent cru, soleil de septembre,
corps nus sous la couette.

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Jean Prod’hom

S’il y a un mystère

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S’il y a un mystère dans notre traversée de la nuit,
il y en a un, plus étrange encore,
dans celle de nos jours.

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Jean Prod’hom


Il y a des jours

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Il y a des jours
où tu frôles
ta propre disparition.

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Jean Prod’hom

Donner corps à cette voix qui nous précède

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Donner corps à cette voix qui nous précède, que nous hébergeons quelque part dans la tête et que nous sommes seuls à entendre ; une voix qui pousse et appelle, cherche un passage à ce qu'elle ne saurait dire sans notre aide ; une voix à laquelle nous nous devons de rester fidèle, en lui prêtant une langue qui n’est pas la nôtre et qui sonne creux, qu’il s’agit de tendre et de tordre aussi longtemps que la voix, prisonnière, ne la fasse revivre en l’irriguant. L’une et et l’autre trouvent alors leur compte, sans contreforts : « J’ai fait mon job, je peux aller marcher. »

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Jean Prod’hom




J’ai appris plus tard

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J’ai appris plus tard que ses forces s’étaient mises à décliner et qu’elle s’était détachée depuis quelque temps déjà des affaires du monde, de ses amis, de sa famille. Ceux-ci avaient rapidement compris que personne ne la retiendrait, c’était à prendre ou à laisser, et qu’ils peineraient à la rejoindre là où elle s’était établie, dans une insouciance et une légèreté à laquelle seuls goûtent les vieux. Elle n’écrirait plus.

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J’habitais avec les miens tout près de chez elle, et j’avais lu, à mesure qu’ils paraissaient, l’ensemble des écrits qu’un éditeur fidèle et soucieux fit connaître trente ans durant, emballé par les mondes que ses proses et ses poèmes faisaient naître, par les paysages qui m’étaient familiers, et surtout, je crois, par leur inimitable mélodie.
Lorsque je me suis hasardé du côté de Pra Massin, elle avait, depuis quelques années déjà, tourné le dos à l’écriture ; mais elle semblait ne rien avoir abandonné, elle portait à bout de bras quelque chose qu’elle avait fait voir et entendre en écrivant, cousait de silence et de lenteur le coin de terre et la fermette qu’elle habitait, au milieu des objets familiers sur lesquels elle se penchait encore, mais tout autrement qu’autrefois, lorsqu’elle les invitait à rejoindre ses songeries et le petit bureau de chêne, sur lequel ne restent aujourd’hui, dans sa maison presque vide, qu’une ou deux enveloppes ouvertes, des récapitulatifs et d’inutiles formulaires.
S’il m’a bien fallu admettre que le manque de forces fut pour beaucoup dans sa décision de renoncer à écrire, la proximité soudaine de tout ce qui l’entourait, qui accompagna son déclin, n’y fut pas pour rien non plus.
Elle notait pourtant, au cours de la journée, les quelques mots qui, parfois, faisaient halte dans sa gorge, et qui trouvaient sans effort la place qui était la leur : deux ou trois phrases qu'elle déposait d'une écriture hésitante sur un feuillet qu’elle détachait du bloc-notes qui traînait sur le buffet de la cuisine, qu’elle ne retouchait plus, avant qu’il ne rejoigne, loin de toute idée de livre, un fond de tiroir ou le tas de papier à recycler.
Je m’étais risqué à lui dire, alors qu’on se connaissait à peine et que notre amitié cherchait ses voies, que je le regrettais ; j’aurais voulu en effet qu’elle s’engage une nouvelle fois dans une écriture au long cours. Je me suis ravisé lorsqu’elle m’a regardé de très loin, indiquant qu’elle ne se trouvait pas là où je croyais. Je me suis tu sans rien ajouter à ma maladresse, renonçant même à lui dire combien ce qu'elle avait écrit m'avait nourri.
Quelques semaines après, alors que nous marchions sur le chemin des Tailles, elle me dit qu’elle ne regrettait rien ; quelque chose s'était refermé derrière elle, comme un rideau de fer d’une boutique de quincailler, mais sans faire de bruit ; elle n’avait jamais eu besoin de dire adieu au langage, l'écriture l’avait abandonnée assez soudainement ; elle n’y voyait aucune perte, c’était comme un enfant lorsqu’il quitte la maison, ou un amour qu’on oublie.
Elle ajouta qu’elle lisait encore, un peu, mais ne parvenait que rarement à donner un corps à ce qui était écrit ; elle éprouvait pourtant le plus vif plaisir à tenir un livre dans ses mains, comme on tient un bol de terre ou un sécateur, un chapelet ou un mouchoir. A la fin, disait-elle, un livre fermé vaut mieux qu'un livre ouvert.
Qu’arrive-t-il lorsque vie et poésie, avec la vieillesse, se confondent? Cette question, m’a accompagné avant l’heure, en vivant dans les parages d’une poétesse qui s’est tue, ne laissant pour réponses que quelques feuillets sur un buffet, que j’ai lus, lus et relus, et dont je me souviens.

Jean Prod’hom

Ce n'est pas l'autre en réalité qui menace

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On s’avise soudain que ce n'est pas l'autre, en réalité, qui menace, induit la peur, la vraie et la violence ; c'est au contraire son absence et la crainte d'en manquer.

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Alors on bricole, on fait de l’autre avec du même, à tour de bras ; on en déterre, on en rapatrie, on en caricature, on en invente ; ça jase et ils se multiplient : des nus, des costumés, des monstrueux, des innocents, des grimés, des angéliques, des colorés, des coupables, des masqués. Chacun s’agite, rien n'y fait, l’autre, inconsistant, se dérobe.
Si bien qu’à défaut d'en rencontrer un vrai, un autre vrai, un qui ferait du bien, qui dessinerait un continent, promettrait de l’inconnu, chacun prend le parti d’occuper la place laissée vide, sans se méfier qu’il étend ainsi la tyrannie de l'un. On a beau accuser, rire, vitupérer, regretter, se moquer, prêcher, personne ne viendra nous délivrer.
Le seul autre qui nous reste, intact, n'est peut-être que celui dont on héberge la voix, qui nous recommande de ne pas jouer aux sorciers, de ne rien ajouter à ce qui est, de ne pas souffler sur les braises ni attiser le feu, de nous détourner du tohu-bohu, du côté de ce que nous imaginons à peine, de cet autre – fleur, bête ou pierre – qui ne promet rien, mais campe au-delà des murs invisibles de nos territoires.

Jean Prod’hom

Peu de choses distinguent la durée d’avec l’étendue

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Peu de choses distinguent la durée d’avec l’étendue, par quelque bout que ce soit ; l’une et l’autre occupent une même région, au-delà de ce qui semble accessible ; une région en direction de laquelle notre regard tend machinalement lorsque nous nous retirons de la partie ; que nous pourrions rejoindre si nous en prenions le temps, immobile et invisible. Forme sans bord, aux innombrables centres, qu’on devine lorsque le travail, la solitude, la fatigue, ou simplement les circonstances nous y conduisent, de l’autre côté, de l’autre côté de la nasse. De cette nasse si étroite que les regrets ne passent pas. Quelque chose se lève alors, s’étend, déborde, rassemble les fragments ternis par nos oublis et rongés par nos affairements, leur offre un peu de paix et renouvelle les alliances.
S’y rendre ou demeurer où l’on est, qu’importe, le chemin revient sur lui-même, embarque l’étrange et le familier, rabat ce qu’on a vécu à ce qui est à vivre : mêmes passants, mêmes bassins, mêmes ruisseaux, mêmes obscurités.

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Jean Prod’hom

Gif | 31 août 2016

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Cher Jean,
J’étais devant l'ordinateur. Merci pour les nouvelles. Est-ce une consolation si je te confirme que plus à l'ouest et en plaine, le jour décroît aussi par les deux bouts, qu'il fait nuit noire, à six heures du matin, et que c'est un crève-coeur.
Non, la vue du lac ou de quoi que ce soit d'autre, à la porte-fenêtre du salon-salle à manger, ne suffit pas au bonheur. On le rencontre inopinément au détour d'un chemin. Il a partie liée avec les biens sans maître - "res nullius"-, les roches, les plantes, les bêtes, une échappée, des bouts de verre et des tessons d'argile. Le vieux Sénèque: "il faut une vie pour apprendre à vivre". Quand on était pour se réjouir d'y voir plus clair, le tableau va s'effacer. La saison incline aux mélancoliques pensées.
On n'a pas eu de printemps mais, tout récemment, une vague de chaleur. Pour la deuxième année consécutive, je ne ferai pas la rentrée. Me sens coupable, confusément, de ne pas verser ma contribution, si mince soit-elle, à l'effort collectif. Les jeunes sont partout. On vieillirait?
En pj, mes voisins corréziens. Une boutade du peintre Cueco: si les vaches limousines sont rouges, c'est parce que c'est la complémentaire du vert. Ainsi s'explique encore que les prés sont noirs, en Charolais.
Amitiés.
Pierre

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Photo | Pierre Bergounioux