L'utilisation du langage
Cher Pierre,
L'utilisation du langage assure, à lui tout seul, le maintien de la paix parmi les hommes et nous autorise à l'imaginer perpétuelle ; on aurait pu aisément se passer de la monnaie. Mais ni le premier ni la seconde ne sont capables de faire autre chose que d'établir des relations d'équivalence entre des réalités aveugles. Qui peut en effet imaginer que l'autre perçoit, éprouve, pense ce que je pense, éprouve et perçois ? C'est pourtant cette supposition reconduite dans nos échanges qui nous fait croire en retour que ce que nous pensons, éprouvons et percevons confusément pourrait être dit.
C'est à Oron, que j'écris ces propos pour le moins décousus, en attendant Lili qui court, saute et lance. Au café de l'Union, devant une verveine ; la porte de l'établissement est ouverte, mais le dehors ne se mêle pas au dedans, un seuil large comme la main l'en empêche. Nous sommes 4 clients à deux pas les uns des autres : un ouvrier qui mange, un retraité devant un verre de rouge, un quadragénaire qui tapote sur son portable. Cette mise en scène qui assure la paix de l'espèce est d'une complexité qui donne le vertige. Nous sommes parvenus à nous désolidariser des processus physiologiques pour n'abriter qu'un esprit. C'est de très loin qu'on entend désormais battre nos coeurs, sans y croire vraiment, ou dans l'effroi.
Retour par Ropraz où les jeunes cygnes se sont mis à déployer quelques-unes de leurs 24 vertèbres cervicales, l'air a fraîchi ; Sandra a préparé un gratin de choux-fleurs et une tarte aux framboises.
Il est peu de personnes qui ne se soient amusées, à un moment quelconque de leur vie, à remonter le cours de leurs idées et à rechercher par quels chemins leur esprit était arrivé à de certaines conclusions. Souvent cette occupation est pleine d’intérêt, et celui qui l’essaye pour la première fois est étonné de l’incohérence et de la distance, immense en apparence, entre le point de départ et le point d’arrivée. (Edgar Allan Poe)
L'harmonie universelle a toujours fait l'économie des substances.
Jean Prod’hom