Pisiq
Le 7 décembre 2008, il y a 4 ans jour pour jour, à la suite de la lecture du chapitre IX du Grand Meaulnes j’écrivais un billet dans lequel je rappelais un souvenir. J’avais essayé, ça devait être un soir d’été, de dire à Arthur qui me le demandait où je pensais qu’on allait quand on mourait. J’avais balbutié une ou deux choses en utilisant, j’imagine, des mots qu’un enfant de 6 ou 7 ans pouvait comprendre. Je les avais traduits pour moi le soir de la manière suivante :
L’homme qui meurt va rejoindre les fragrances des lilas et des acacias, les mille souffles qui éloignent la touffeur de l’été et toutes ces petites musiques qui rappellent ce qui n’est plus.
Je concluais ce billet en concédant qu’il n’était pas sûr qu'Arthur, jeune encore, ait compris ce que je ne comprenais pas moi-même exactement et que j’espérais comprendre un jour. J’y ai repensé souvent depuis, sans beaucoup avancer dans le domaine. J’ai relu Epicure et Lucrèce, qui me semblaient avoir dit des choses sensées sur la question, sans pourtant être totalement satisfait. On en a rediscuté Arthur et moi, je m’en souviens, c’était il y a une année, en été, sur le chemin de Froideville, un dimanche encore.
Et puis j’ai écouté hier un pisiq, composé – précise Philippe Le Goff dans son article intitulé Oralité et culture vocale inuit – vers le début du XXème siècle par le grand oncle d’Emile, Kappianaq, à la suite de la mort de son jeune frère Amarualik. Dans ce chant, Kappianaq s’adresse au défunt. Il cherche à le percevoir dans l’air qui passe, mais ses sens ne lui permettent pas de le saisir. Il se sent limité, mais cherche les signes que pourrait émettre son frère dans les vibrations de l’air. Voici ce texte traduit de l’inuktikut.
Je ne suis pas assez sensible
aux choses qui m’entourent
ijajaja je ne suis pas assez sensible
Je ne suis pas assez sensible
je suis stupide
ijajaja ne peux-tu écouter ?
Ne peux-tu écouter ?
l’air qui va par là
ijajaja ne peux-tu entendre ?
Ne peux-tu entendre ?
l’air qui vient par ici
ijajaja je ne suis pas assez sensible
Je ne suis pas assez sensible
je suis stupide
ijajaja
Je me suis réveillé ce matin avec ce chant dans la tête et ces mots : « Si je meurs, qui le saura ? » Mes démons s’étaient donc eux aussi réveillés. Ceux qui resteront seront-ils assez sensibles ? Pas trop stupides ? Mon père s’est alors retourné dans sa tombe, il ne voulait pas être dérangé.
Jean Prod’hom