Prodon ou Proton
Cher Pierre,
Vous l’avez compris, je suspends jeudi prochain la rédaction quotidienne de ces billets – à vous adressés depuis janvier 2015. Etrange et belle aventure que cette correspondance fictive, semi-fictive, réelle, quand bien même ma vie, si on la balance à la vôtre, est bien légère. Mais soyez certain que je vous tiendrai au courant de ce que nous vivons ici au passage des saisons.
Il a plu toute la journée ; j’enchaîne à l’abri, comme chaque lundi, sept périodes éclairées par des lectures. Je lis aux élèves de 10ème la fin de la première partie du Grand Meaulnes, à ceux de 9P le troisième chapitre de La Vallée de la Jeunesse. Ceux de 9G se penchent sur les chapitres 12, 13 et 14.
Il y a des cartes postales qui font du bien, j’en découvre une à midi dans la boîte aux lettres, avec un chardonneret et un roitelet peints au XVIIème siècle par le Strasbourgeois Johann Walter. C’est Raymonde qui souhaite une bonne année à toute la famille ; on ne s’est jamais vus, mais son écriture trahit sa générosité ; elle nous mentionne tous, du plus vieux à la plus jeune, sans oublier Oscar.
Autre cadeau, un ami me signale par mail qu’on parle de Marges dans Le Matricule des Anges. Je n’y suis pas abonné et les terminaux français, sur internet, ne font pas confiance aux banques suisses, ils refusent ma carte de crédit. Adieu la version pdf.
Je fais un saut à la Bibliothèque cantonale. Inutile. Le numéro 169 de la revue ne leur est pas encore parvenu, il me faudra patienter.
Franck m’écrit en fin d’après-midi qu’il jettera un coup d’oeil dans sa bib, avant qu’Estelle, une abonnée, me fasse parvenir une copie de l’objet. Ce n’est pas un mot mais deux belles colonnes qui réchauffent mon amour-propre.
Une seule faiblesse, l’auteur, Monsieur ou Madame Dominique Aussenac, estropie mon nom en l’affublant, après l’apostrophe, d’un H majuscule. Je ne lui en veux pas, personne n’y peut rien. Nous devons nous y préparer, les années qui viennent vont nous précipiter dans les tourbillons du tambour numérique et mes enfants et leurs petits-enfants en ressortiront certainement nus, leur patronyme débarrassé de l’apostrophe et du h – majuscule ou minuscule – à valeur zéro. Ce seront alors des Prodom, des Prodon, ou des Proton.
Sandra et Louise sont à Oron, Arthur est au Parkour, Lili lit une BD ; Je parviens enfin à convaincre le service financier du Matricule de mon honnêteté et reçois la version pdf de l’article de Dominique Aussenac. Je prépare une salade, continue la lecture de La Carte et le territoire, réchauffe des restes.
Je suis le premier à me retirer, bien décidé à lire les dernières pages du Houellebecq. Quelque chose s’est essoufflé, chez lui ou chez moi. La carte et le territoire se termine en ligne droite, en ligne droite perdue dans un delta.
Jean Prod’hom