La lampe éteinte et la chanson perdue

Capture d’écran 2015-11-21 à 21.44.19

Cher Pierre,
Il est un peu plus de six heures ce matin lorsque le cliquetis des chaînes et le grondement de l’acier raclant le bitume l’annoncent, c’est Pierrot. Avec à l’avant du tracteur bleu de la commune – qui est un peu le sien – une lumière crue qui creuse une poche orpheline s’éloignant dans la nuit. Il vient de loin, passe et repasse, poussant dans le pré de Freddy et de Jean-David les dix centimètres de neige tombés pendant la nuit. Tout est blanc de chaque côté du ruban noir, luisant, sur lequel je roule jusqu’au Mont.

IMG_4091

Lorsque je rentre à 14 heures, la douceur a pris le dessus ; Sandra et Louise, méconnaissables dans leur veste et sous leur bonnet, terminent un imposant bonhomme de neige. Chacun vaque à ses occupations, je fais un feu dans le poêle et monte à la bibliothèque.
Je traverse pour la première fois les pages que Philippe Jaccottet a consacrées en 1968 à Gustave Roud, au pas de course, pour les relire bientôt.
Je feuillète le second volume du Journal du Joratois. Pas trace dans ses notes de 1956 des grands froids ; quelques rares mots en 1957, énigmatiques, sur le récit de son irruption dans l’éternel, que le poète dit avoir entrevu, si souvent, ébauché en pensée ; suivis de lignes sans âme sur son séjour d’une quinzaine de jours à Rome et Naples ; presque rien en 1958.
Il faut attendre 1959 pour que Gustave Roud se réveille, décide d’ouvrir un cahier neuf pour renouer avec la longue suite de notes intermittentes qui remplit tant d’autres cahiers anciens. Il écrit son angoisse de ne plus entendre la fauvette qui l’éveille depuis bien des jours déjà. A l’écriture la tâche de relayer ce vide béant et rappeler tout ce que signifiait ce petit oiseau et son chant. Ce texte trouvera une place, avec quelques variantes, dans « La lampe éteinte et la chanson perdue » de Campagne perdue.
Sandra s’est rendue aux Trois-Suisses de Vucherens avec Marinette et Nicole, on mange de notre côté une pizza ; les enfants se bagarrent ensuite avec un tel soin que j’en viens à croire qu’ils suivent une partition ; fort heureusement, la fatigue aura raison de leurs plans. Je cherche de mon côté, mais sans méthode, une ou deux choses qu’évidemment je ne trouverai pas, tout en prenant connaissance à la télévision de quelques-uns des aspects, sombres et lumineux, du monde du football : la fin de Sepp Blatter et le renouveau de la Juventus de Turin. Sandra rentre à un peu plus de 22 heures.

Jean Prod’hom