Dans le jardinet de la cure de Mézières

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Cher Pierre,
C’est du côté de mon grand-père maternel – Louis Rossier d’Epalinges – que je me tourne ce matin, avec la certitude que les livres, c’est quand même mieux que la volaille, les fruits ou les légumes : le coffre de ma Nissan-Micra pourrait en effet accueillir bien des choses encore.

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Un chevreuil me coupe la route à l’entrée du village, fond dans le ravin en face du cimetière, là où la Corcelette a raviné la molasse. Sœur Françoise-Marie et Soeur Marie-Jeanne de l’abbaye cistercienne de la la Fille-Dieu à Romont sont déjà à pied d’oeuvre dans les jardins de la cure ; il faut dire qu’elles ont déjà les vigiles derrière elles, devant elles une armée de bocaux. Ce ne sont pas des hosties qu’elles vendent aujourd’hui, brunes ou blanches, avec ou sans gluten, mais des moutardes au miel, forte, extra forte ou à l'ancienne, des sauces, jardinière ou aux fines herbes.
Anne, l’organisatrice vient aux nouvelles, je n’ai besoin que d’un clou qu’elle trouve au fond de son sac à merveilles ; la présidente du Conseil de paroisse vient ensuite me saluer.
A côté de la quincaillerie et des tresses vendues au bénéfice de la paroisse, des particuliers sont venus vendre la leur. Il y a tout près de mon stand un vigneron de Ropraz, un vendeur de sauces et de bouillons valaisans, un autre de courges locales, des bénévoles de TerrEspoir, une dame de Servion qui vend des bougies et un livre qui raconte l’histoire de son village, un bouquiniste.
S’il s’avère que la somme de bienveillance quotidienne dont font preuve les hommes est constante, il est sûr que j’en aurai privé aujourd’hui plus d’un. Je préfère, en attendant le verdict, parier sur le fait que cette somme n’est pas fixée une fois pour toutes, donnant à ce premier samedi d’octobre les couleurs de l’innocence et à ceux qui viennent l’espoir que notre espèce, si l’on y travaille de concert, se bonifiera.
J’ai le bonheur de recevoir la visite d’Anne-Marie, sous le soleil d’automne qui peine à éponger l’humidité de la nuit, venue tout exprès de Lucens pour me saluer alors que nos chemins se sont séparés lorsqu’il a fallu réorienter sur Cugy une partie du corps enseignant du Mont. Remué, encore une fois par sa voix, si caractéristique, un peu tremblante, un peu hésitante, à fleur de peau, dans laquelle je perçois une fragilité, celle que nous avons en partage, pour autant que nous reconnaissons au monde les égards qu’il mérite.
Et puis Micheline et Pascal, que j’ai reconnus de très loin, souriants au tour qu’ils me jouaient, alors que je les imaginais aux îles de la Madeleine ; on s’est retrouvés comme des enfant qui auraient eu trop à dire et qui le disent. Micheline a sorti un sachet dans lequel elle a plongé la main ; elle en a ressorti une poignée de tessons trouvés sur ces îles qui sont devenues un peu les leurs. Ils y ont en effet établi leur campement depuis quelques années déjà, en dépit de tout bon sens, heureux aujourd’hui encore du bon coup qu’ils ont joué à ceux qui n’y croyaient pas, faisant la nique aux prévisions et au destin tout fait.
Monika enfin qui m’a raconté un bout de sa vie entre Vucherens et Königsberg. Elle habite aujourd’hui Lausanne, j’en saurai plus lundi puisqu’elle m’a promis de m’envoyer le récit de ses pérégrinations entre le Jorat et la Prusse orientale. Je me réjouis. Cette correspondance, Cher Pierre, a du bon, puisque elle est à l’origine de ces rencontres ; je crois même qu’elle me rend meilleur. Monika est venue avec sa fille, nous sommes restés assis un belle demi-heure à babiller, avant qu’elle ne reparte à Moudon et moi au Mont.
La fête de l’inauguration des nouveaux bâtiments scolaires ne m’aura pas fait oublier ces moments passés dans le jardinet de la cure de Mézières, avec Monika, Micheline et Pascal, Anne-Marie et les autres, autour de presque rien, un presque rien qui n’est pas vain, aussi longtemps qu’on accepte qu’il nous traverse.
Je reçois encore un gentil mot de Daniel de Roulet à propos de Marges, qui cite les mots de la postface de François Bon évoquant le pays où je vis, un si beau pays... où certaine stabilité donne poids et aux hommes et aux mots. Tout cela n’est pas grand chose, mais donne envie d’interpréter encore quelques lignes de cette musique qui persiste et qui ravit davantage à mesure qu’on allège l’air dans lequel elle se propage. Et qu’on accepte de ne pas y toucher.

Jean Prod’hom