Néocolors
Sonnerie encombrée, puis silence qui se prolonge dans les tempes, bruits de pas lointains. La maman de Michel ouvre la porte et me souhaite la bienvenue, voix douce, elle semble parler une autre langue et habiter un monde à l’autre bout du couloir qu’elle ira rejoindre lorsqu’elle m’aura accompagné jusqu’au salon. De la musique sort d’un bahut encastré dans une grande bibliothèque, du piano peut-être, le battant est ouvert et on aperçoit le disque noir qui lance quelques éclairs ; discipliné, le bras se soulève, il fait sombre.
Michel me regarde à peine, il dessine. Partout sur la table des néocolors qui roulent et butent contre des obstacles indifférents, petits morceaux en désordre.
Michel m’a invité à dessiner, son père est là, la pipe à la bouche. Il regarde ravi l’engagement de son fils qui remplit de grandes feuilles, à grands traits, à raz-bord. Il piaffe, bouche avide, lèvres épaisses, je le regarde de biais. Je ne comprends rien, le père a disparu dans l’ombre. Michel emporte tout sur son passage, sans s’arrêter, sans lever les yeux. Ce devait être un samedi, nos deux mondes se cotoyaient mais ne se touchaient pas.
Jean Prod’hom