L'hiver s'est réinstallé



L'hiver s'est réinstallé durant la nuit, ce matin une fine couche de neige recouvre les prés. Fais un feu et prépare le pique-nique d'Arthur ; c'est que cet après-midi il descend pour la première fois en ville avec des copains, il emporte trois petits sacs à dos : son pique-nique, ses affaires de gymnastique, celles de l'école, et sa trottinette, il a fier allure le mousse, un Tati des temps modernes. Ramasse son copain D qui s'est coupé les cheveux et les emmène tous les deux à l'arrêt de bus.
Plus de neige à la Marjolatte, trouve une place de parc derrière l'église, les travaux ont interdit pour plusieurs mois l'accès au parking. La même équipe de trois ouvriers s'affairent sur le chantier, ancrent une nouvelle série de palplanches. Le contremaître va et vient sans qu'on sache exactement à quelle tâche il se livre.
On ne me trouve aucune occupation, aucun collègue absent, si bien que je passe cette seconde période du jeudi matin assis dans l'un des fauteuils rouges du fond de la salle des maitres à écouter une version audio du K de Buzati. Je retrouve un peu de goût à être là, avant de retrouver les élèves de la 9 auxquels je parle du casque blanc du contremaître, des idées reçues, de l'idée de trait distinctif.
Aux ouvriers aperçus la veille s'ajoutent deux nouveaux venus, coiffés chacun d'un bonnet de fourrure, ils occupent le jardin qui jouxte le chantier, l'un d'eux, gros pic au plumage orange, est monté sur le poteau de fortune qu'ils viennent de dresser et et y fixe un épais fil noir. J'apprendrai plus tard qu'ils répondent aux dégâts collatéraux de la creuse : des lignes téléphoniques ont été sectionnées. Ils ne l'ont su qu'aujourd'hui, n'ayant pas reçu, comme il se doit, le coup de téléphone qui aurait pu les avertir. La classe 9 est aux premières loges, un élève veut en savoir plus, je l'autorise à aller s'informer, mais il revient vite, bredouille. Les préposés aux télécommunications parlent une langue qu'il ne comprend pas.
Repas éclair avant de retourner à la salle d'informatique où une éleve cherche une solution élégante à la question des discours rapportés directs, lorsque trois interlocuteurs, un père et ses deux filles, veulent se faire entendre. On discute de l'ambiguïté et de ses ressorts, du monde nouveau qu'elle fait entrevoir. Me rejoignent ensuite trois rêveurs qui croient qu'il est possible de d'improviser, vite fait bien fait, quelque chose qui tiendra en haleine le premier venu.
Je discute à 6 heures avec l'un des responsables du vibrofonceur : c'est 19 tonnes de fonte qui fournissent une poussée de 40 tonnes sur les palplanches. Sais pas trop comment entendre tout cela d'autant plus que d'autres personnes m'ont expliqué l'affaire différemment la veille.
Pose Arthur à Ropraz, tout s'est bien passé lors de son après-midi à Ouchy. M'arrête au café de Vucherens en allant chercher les filles à la poterie. Cinq hommes sont autour d'une bouteille de blanc, ils s'entretiennent : de la femme, de la guerre, de leur commune, de motos, de la vie nocturne dans le quartier du Flon à Lausannne, de l'Armée du Salut, de tout ce qu'il faudrait raser, de tout ce qui est pourri. A Vulliens, Louise a façonné une belle poule de terre.
Passe à la maison avant de retourner à Ropraz où je passe une vingtaine de minutes en compagnie des parents de coureurs dans l'ambiance tiède du grand mobilhomme que le comité du club a fait placer au fond du hangar. Fait froid dehors.
Ce soir la lune n'est pas dans le ciel à l'endroit où on l'attendait et les nuages s'enfuient comme des voleurs.

Jean