(P. F. 7) Philippe Jaccottet
C’est une petite chambre sans allure, murs nus et fenêtres grandes ouvertes, remplie des odeurs âcres d’un feu de sarments, de vieux ceps, de brindilles et de feuilles mortes. L’enfant qui a levé la tête de la revue qu’il parcourait avec avidité observe avec une lenteur qui étonne la campagne que des fumées bleues enveloppent. Les tenons de la chaise grincent et tordent les pailles du placet. Il est debout, rien ne lui appartient vraiment dans cette chambre, il en sort, il s’assied sur les escaliers qui descendent jusqu’au chemin qui conduit au plantage. Le vieux qui brûle les restes de taille lui fait un signe auquel il répond de la main. Ils n’aiment pas parler ; ce qu’ils aiment par-dessus tout, c’est ne rien avoir à ajouter à ce qui est. Une impression traverse soudain l’enfant, comme une flèche, une sensation de pureté qui dure, croît, avant de s’éloigner, de prendre ses quartiers plus loin dans la campagne et se mêler aux chants des cigales et des grillons.
Il descend les ruelles du village en ne touchant à rien, traverse les herbes sèches de l’ancien camping jusqu’à la rivière. Marc et Jeannot refont le gué, les pluies d’avril ont tout emporté. C’est sur le dos de la rivière que Marc et Jeannot traversent l’été ; lui fait la petite main, amène des pierres, obéit, demeure en-deçà, à l’abri. Les travaux n’ont guère avancé quand la nuit tombe mais il faut rentrer.
Lorsqu’il parvient au clos de la Bastide, tout est comme neuf, le vieux n’est plus là, il ne reste qu’un tas de cendres. L’enfant marche entre les oliviers, sans assurance mais sans inquiétude non plus, ses paupières battent lentement, il ne songe à rien. Rien n’arrête son regard qui s’attarde, c’est l’heure. Les yeux plus pâles que bleus, il se réjouit demain du gué et du rayonnement de la rivière. On ne dispose que de peu de temps pour saisir ce qui file entre les doigts.
Il se couche la fenêtre ouverte, pas besoin d’enfermer le monde dans une prison, il suffit de le garder à sa portée, de laisser aller et venir les odeurs. Demeurer reste le seul chemin qu’on peut faire soi-même. Le prix à payer est faible en comparaison.
La chaise et son placet, la table qui leur fait face veillent lorsqu’il s’endort, acceptent sans contrepartie qu’il se taise. Ils seront une aide précieuse lorsque l’enfants saura écrire et que le moment sera venu d’en témoigner avec l’oeil de l’aigle et la légèreté du papillon.
Jean Prod’hom