Oscille sous le fléau et plie sous le joug
Sale journée aujourd’hui, une mauvaise nuit, les premiers moustiques, la lecture du petit opus de Jean François Billeter sur le silence millénaire de la Chine (Chine trois fois muette, Editions Alia, 2010), l’abattement des élèves dès 8 heures, le soleil qui n’avertit pas, les grondements du chantier tout à côté, le racolage où qu’on soit, les simplifications outrancières, l’inadéquation de nos moyens.
Suis-je le théâtre de cette noirceur, ou cette noirceur habite-t-elle les choses ? Hésite sur la réponse à donner, oscille sous le fléau et plie sous le joug.
Me dépêche de quitter la mine lorsque je le peux, en me réjouissant de me retrouver à 870 mètres au-dessus de la mêlée et en espérant que cela suffira à transfigurer le reste de ma journée.
D’apercevoir la nouvelle acquisition de Sandra tirée de la benne aux déchets encombrants et déposée au pied de l’érable, d’entendre les éclats multicolores de Louise sitôt la porte ouverte, d’apercevoir Arthur qui fait ses devoirs en souriant, de goûter à la fraîcheur des pierres de taille du Riau m’incline à penser que je suis à l’origine de cette noirceur excessive.
Sans trop me réjouir pourtant, je n’exclus pas en effet que la crainte et le pessimisme de Billeter ne soient fondés. Que reste-t-il dans cette société qui ne soit soumis à la logique économique ? Ce lieu mis à part, peut-être, où je me replie, où il m’arrive encore de vivre comme ceux qui sont venus avant moi et, je l’espère, ceux qui viendront après, s’ils maintiennent intact l’altérité sur laquelle reposait le possible et que nous croyions sans prix, mais à laquelle s’est attaquée depuis peu la raison marchande. Ecrire et résister.
Jean Prod’hom