Je me souviens d’avoir marché sur l'asphalte
Je me souviens d’avoir marché sur l'asphalte plus de deux heures, entre le village et le Riau, et d’avoir souffert des lombaires le lendemain matin, tandis que je terminais le Dictionnaire amoureux de Schifano sur Naples et que je lisais les premières pages du beau livre que Fernandez lui a consacré. Je me souviens du sentiment qui m’a saisi lorsque j’ai pris conscience qu’ils parlaient au fond de la même ville, d’une ville restée au bord de l'histoire, un sentiment qui ne m’a pas quitté et que je suis allé vérifier à deux reprises sur place.
Je me souviens du fœhn qui a soufflé tout au long de cette journée de fin avril et de la tempête qui a conduit les responsables à interrompre la grande patrouille des glaciers, je me souviens de m’être endormi au milieu de l’après-midi à deux pas d'un cauchemar qui ne payait pas de mine, d’avoir pu m’en extraire mais d’être demeuré une bonne heure dans la glu. Je me souviens d’avoir préparé une mayonnaise pour le soir, puisque c’était l'anniversaire de Sandra et que les petits avaient demandé de pouvoir manger une fondue chinoise. Je me souviens qu’on a joué en famille à un jeu de stratégie et que les filles se sont couchées après 23 heures, je me souviens de ce vendredi-jà. Je me souviens que Louise avait réintégré son ancienne chambre après qu’on eut attrapé la souris qu’Edelweiss avait ramenée et qui avait provoqué un sacré remue-ménage. Je me souviens que Lili avait décidé de dormir porte fermée parce qu’elle avait la certitude qu’il n’y avait plu aucune souris à l’intérieur mais que Louise trouvait qu'il était plus important de dormir porte ouverte, avec le risque qu’une souris passe la nuit dans sa chambre, sous son lit ou ailleurs, peu importe puisqu’une souris n’a jamais fait de mal. Je me souviens qu’Arthur avait considéré cette discussion avec un certain recul. Je me souviens d’une phrase – Quand il pleut, ce bruit de clavier sur les vitres me pousse devant l’écran, là où je ruisselle, incapable – que j’ai recopiée ce jour-là et des hortensias que j’ai pris en photo devant le hangar alors que la nuit tombait.
Jean Prod’hom