L'autre voie
Ne doit-on pas s'inquiéter de cette habitude tenace qui a attaché le gros de notre esprit au secret des mouvements qui font tourner la grande noria, à leur chiffre et à leurs résultats ?
Tu t'inquiètes toi-même de te retrouver à la fin du jour, insatisfait au milieu d’eux, à l'affût de la porte qui ouvrirait sur un pays d'essence plus haute, que ta précipitation éloigne et te fait manquer. Tu te débats pour obtenir un peu de vide dans ce trop plein, histoire de respirer, c'est peine perdue.
Faudra-t-il que tu acceptes encore la mainmise de ce que nous appelions faute de mieux le romanesque, qui nous éloigne non seulement de cet autre pays mais aussi du vieux pays qui invitait ses habitants à n'être qu'un presque rien s’ajoutant au presque rien, sans contrepartie, au milieu des morceaux d'un paysage incompréhensible que le mouvement de leurs paupières découpait ? Ils allaient presque immobiles dans l'à peine mobile, faseyant, déroulant sous leurs pieds les pièces du monde comme dans un film muet, un film aux raccords mal faufilés.
Oui, car c’est là qu’il fait bon vivre, loin des plaintes et des espérances, des courtisans et des complaisances. Souviens-toi d'Olympie, lorsque les athlètes s'en vont le stade est désert, croissent en bout de piste, derrière le talus, des ronciers et des chênes verts, ils annulent le récit de tous ces récits qui ne mènent nulle part, sinon au regret de ne pas avoir un jour emprunté au carrefour l'autre chemin.
Jean Prod’hom