Marie-Noël

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Elle traverse la cour en faisant basculer ses pesanteurs de gauche à droite et de droite à gauche, comme une oie, une oie gonflée à bloc mais sans canetons, suçotant continument le mot de respect qu’elle postillonne au visage des quidams comme un chien pisse au pied des buissons. Héritière des kapos aux lèvres fines et à la croupe de pouliche, elle tient serré dans la main droite un trousseau de clés, se dandine si lourde et si sotte qu’on la préférerait attelée. Marie-Noël est le prototype de la suffisance et de la bêtise universelle, enfant gâté de la tertiarisation, avatar couinant la satisfaction, elle est née du croisement de la prétention et de la frustration. Les institutions qui l’engagent ont tôt fait de le regretter, mais trop tard, la donzelle est une procédurière, difficile de s’en débarrasser.
Marie-Noël est la vice-présidente d’une association qui prône le couvre-feu, elle a épousé un concepteur de gendarmes couchés qui l’a quittée traumatisé quelques mois après son mariage, elle anime des ateliers foireux dans une haute école. Elle en impose en posant des lapins, brasse eaux claires et eaux usées, se saoule le vendredi et le samedi soir.
Marie-Noël est la meilleure amie de Jean-Rémy, une amie de la première heure. Ils aiment aujourd’hui l'art vrai et le piano quand il est bien joué, ils gonflent le premier août des ballons de toutes les couleurs, satisfaits de participer ainsi à la restauration des valeurs. Marie-Noël et Jean-Rémy constituent le plus sombre des continents.

Jean Prod’hom