LIV
Il y a plusieurs minutes que le coin des petits inauguré début août est désert, je m’interroge. Est-ce parce que, des deux boîtes de légo placées là naguère par les tenanciers, il ne reste que deux briques? Parce que les six gobelets en plastique qui contenaient de la pâte à modeler sont remplis de mégots? Ou encore parce que la boîte de biscuits bretons qui cachait douze crayons de couleur n'en cache plus aucun? Nos enfants ne sont plus là, ça c’est sûr et je m’en inquiète. Les conjectures sans consistance qui suivent ne m’empêchent pourtant pas de reprendre mon verre et la lecture du journal local que ma femme a bien voulu me céder.
On entend soudain des hurlements provenant de derrière la Grande Salle, des hurlements sinistres, semblables à ceux d'un cochon qu'on égorgerait. Deux fois, trois fois puis silence, l'enfer, un long et mortel silence.
Sandra est blême...
– Arthur! Louise! Lili!
Elle se précipite, je la suis de près, on contourne le bâtiment, notre coeur va lâcher... On aperçoit alors nos trois enfants alignés main dans la main, ils contemplent immobiles et stupéfaits le corps mort du cochon que le boucher vient d'abattre, portes ouvertes, dans le dernier abattoir de campagne de notre région.
Deux fois soulagés: de retrouver nos enfants vivants, de ne pas avoir à assister en leur compagnie à un événement constitutif de notre culture auquel il est préférable d’avoir toujours déjà assisté les yeux fermés.
Jean Prod’hom