Premier établissement


Avant la conquête
le ciel
la nuit
les vagues
massives et gauches
butant sur l’île
nue et amaigrie
lettre de guingois
vue du ciel

fenêtres grand ouvertes
sur les grains
sur les vents
courants d’air et pluie
bois blanchis
bestioles à plumes compostées
coques nacrées écailles bris
os et caillasse concassés

mais voici les goélands
rescapés d’un interminable voyage
maigres et faméliques
les cormorans
idées étroites idées noires
ils cherchent à s’établir

le claquement de leurs ailes
le reflet de leur trajectoire
dans le miroir de l’océan
les tiennent
éloignés de l’île
ils s’installent à deux pas
sur un îlot de rien
pas la force de repartir

qui les aurait vus
les aurait vus aller et venir
puis plus rien
rien de neuf
sur l’île mourante
des années durant

c’est aux oiseaux de la mer
que l’on doit
ces quelques images
de l’île d’avant la conquête

à eux aussi la suite
ils préparent leur retour
cris insupportables
affûtent
retroussent leurs paupières

ils partagent
d’abord le ciel
les constellations
avant de tirer des droites à la verticale
de chacune de leurs hésitations
ils repèrent sur l’île
les ronciers et les vasières
établissent des nichoirs
sur tout le territoire
colonisent les terres
toutes
jusqu’aux confins

procédure stricte
reproduction des conditions
réaction du milieu
étude de l’impact
apport des modifications
avant d’astreindre le tout
aux fins prévues
chacun dans son quartier

tout fut réglé
tambour battant
du plan de la mosaïque
au prix de la dot
localisation des sources
établissement des droits de passage
constitution de réserves
contrôle des influences
nomination des autorités de substitution
loi sur le contingentement
asservissement du solde

le récit des oeuvres
des oiseaux de la mer
allège aujourd’hui encore
la tâche des chefs de provinces
en peine de justifications

on appelle cette année-là
l’année du grand partage
c’est aux oiseaux de la mer
qu’on la doit
et sur l’océan
la lettre de guingois
reprit un peu de caractère

Jean Prod’hom