Elle est grande
Elle est grande, brune, étanche, c’est une force de la nature. Elle a un faible pour les longs couloirs des administrations, tient depuis toujours, dans la main droite, un trousseau de clés auxquelles elle fait sonner périodiquement le tocsin. Elle aime s'entendre venir de loin, au pas, s'aligne avec elle-même, à gauche et à droite des portes vitrées, roule ses lourdes hanches. Elle a servi depuis le temps plusieurs institutions : police, école, institution religieuse, prison, colonie de vacances.
Dedans, la méchanceté et la suffisance macèrent, ça ne se voit pas, la donzelle sait où mettre les pieds. Si le vent tourne, elle se replace, demi-tour ou culbute. Toujours prête à donner à celui qui peine le coup de main qui l'achèvera, ça ne coûte rien : un mot tordu, une savonnette, une encouble, une grimace, un peu d'acide. Elle écoute, collecte les rumeurs qu'elle jette dans son alambic, il en sort du vinaigre qu'elle verse sur les plaies.
Ne vous méprenez pas, la dame aux yeux gris-vert est sensible ; elle s'est décidée pour un second tatouage, un joli tatouage, un papillon peut-être, sur le mollet ou sur l'épaule, elle hésite encore.
Les plus lucides se taisent, craignent qu'elle se dégonfle et qu'ils l’aient sur les bras. Ils la laissent faire, alors elle continue.
Jean Prod’hom