Tu roules en famille

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Tu roules en famille depuis deux fois soixante minutes et tu ne crains pas les heures qui vont suivre. C’est les vacances. Bien sûr, au commencement les enfants râlent, puis ils hurlent ; c’est toujours comme ça avant d’avoir l’autorisation de se connecter. Tu gardes le cap au sud.

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C’est tout blanc, on a giclé les bas-côtés de l’A7 à l’eau de Javel ; on tient un bon 120, les hommes ont appris à conduire, ils respectent les règles et tu t’en félicites. Toute la famille est contente de faire une halte au restoroute des Portes de la Drôme. Tu y entres sûr de ton fait, sans éprouver le besoin de trouver à redire, c’est une belle journée. Vous y mangez un sandwich au jambon avec de la mayonnaise ; les enfants font la meule, tu finiras par céder et tu leur offriras des oursons de gélatine. Dans la file devant la caisse, tu écoutes tes voisines qui disent du mal des leurs, tu en souris avec la caissière. Toi et ta femme, vous boirez un café, un peu trop sucré à ton goût, dans un verre en carton : vous vous ferez un clin d’oeil.
Comme une foule fait la queue aux toilettes, tu iras pisser contre le mistral, si violent qu’une pie est incapable de rejoindre son nid – tu aurais aimé lui expliquer.
Tu n’as pas grogné contre les embouteillages à l’entrée de Valence, vous avez écouté France Inter et tu as compté les cadavres sur l’un des deux côtés de l’autoroute, tu as doublé le résultat. Le bouchon n’a pas cédé, alors vous avez pris par Crest ; vous vous êtes égarés un plus loin, à cause du GPS, dans un village dont personne ne saura dire le nom. Il s’est mis à pleuvoir, la nuit est tombée avec le brouillard, vous avez annoncé que vous arriveriez plus tard.
Le gyrophare d’une ambulance vous a fait voir un bref instant la vie en bleu. Ça a roulé ensuite, tu t’es dit alors que la vie était bien faite, que c’était du gâteau, que du gâteau ; d’autant plus qu’on vous attendait. Bientôt, tu aperçois dans la nuit le château meringué de Grignan où vécut, raconte un drôle, Madame de Massepain, avec ses bougies et ses angelots. Tu pourrais allonger la liste et mentionner les mille autres choses extraordinaires qui ont eu lieu ce jour-là et que personne ne dira.
Ça y est, vous êtes arrivés, ta journée est faite. Alors tu te réjouis une dernière fois en te disant que tu serais prêt à tout recommencer pour te retrouver là.

Jean Prod’hom