Roxanne

Cher Pierre,
Roxanne est aide-soignante à la Vernie, un établissement médico-social d’une soixantaine de lits, pas facile à trouver ; aux yeux des ressortissants du Jorat, Crissier et Chavannes, Prilly, Ecublens et Renens constituent en effet l’une des plus solides énigmes urbanistiques du canton de Vaud.

Deux sections au troisième étage, Emeraude et Rubis ; j’entre dans la seconde, déniche sans peine la salle commune, deux chiens sur mes talons ; je n’ai pas terminé de saluer Roxanne que F s’approche en souriant ; on fait les présentations.
Je lui propose de me faire visiter le centre ; mais arrivée en début de semaine, F n’est pas encore au top ; Roxanne me donne un coup de main en m’indiquant ce qu’il faut connaître de ce labyrinthe. Elle me refile même son badge qui nous permettra de sortir et d’entrer dans la section : je m’appellerai donc Roxanne.
La Vernie est un bâtiment datant de 2010, situé à l’emplacement de l’ancienne halle de stockage Baumgartner Papiers SA. Elle comprend, outre l’EMS qui se répartit sur deux étages, un centre d’accueil pour les écoliers, un service de psychologie, psychomotricité et logopédie, une cantine, la bibliothèque. Mais aussi un centre d’hébergement informatique sécurisé et une entreprise de fabrication et de livraison de repas.
La chambre est spacieuse, remplie de soleil, F regrette pourtant que les fenêtres ne s’ouvrent pas. Rien à accrocher non plus aux fils des cimaises, ça viendra. Elle me dit avoir bien dormi cette nuit, ça n’avait pas été le cas en début de semaine.
On monte ensuite dans la salle polyvalente du 4ème, avec une bouteille d’eau que Roxanne nous a refilée. Je m’assieds au piano et tricote à l’estime quelques arpèges, elle ne s’y trompe pas, en rit ; qu’importe, j’en ris, on boit un verre. On devrait pouvoir organiser une fête un de ces quatre, réunir les amis dont je croise l’ombre depuis quelques mois.
Sur la terrasse du premier étage, un vieil homme bronze torse nu. On s’attable un peu plus loin, nos mots vont un bout ensemble, avant de se séparer sans qu’on y attache beaucoup d’importance, on a assez à faire chacun de notre côté, fragments de pensées qui soudain se croisent à nouveau dans le gris des alentours, du côté de l’enseigne orange de la COOP Brico + loisirs ; de celle, bleue d’Athleticum.
A cause peut-être de la photo de Jojo aperçue dans sa chambre, je lui raconte ce qui me reste du repas que nous avions fait à la Tour de Trême, il y a trente ans peut-être ; elle s’en rappelle bien et précise qu’Hélène était là, que c’était son anniversaire et qu’on était rentrés à point d’heure. Un moineau échappé du parc de Cery vient nous rendre visite, elle me raconte alors une histoire de rapace, un rapace qui ne tournoie qu’un bref instant autour de nos têtes avant de filer en coup de vent du côté d’Hermenches, là où Louis engraissait des poulets et des lapins.
On remonte dans la salle commune de l’Oasis, il est midi, je remets mon badge à Roxanne ; elles me raccompagnent toutes deux à l’ascenseur. F est soudain désorientée, inquiète, sort de sa poche une feuille blanche pliée en quatre, me demande de me décider si oui ou non je lui en fournirai, qu’elle voudrait bien savoir. A tout hasard je lui assure que je lui apporterai un lot de feuilles blanches : la voilà rassurée.
Elles me tournent le dos, les portes de l’ascenseur se ferment. Il y a aujourd’hui au menu un velouté d'asperges, de l’émincé de veau à la crème, du riz Pilaf, du chou-fleur à la ciboulette et une salade d'ananas au basilic.
Jean Prod’hom