Le Riau qui aurait pu être ailleurs

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Cher Pierre,
Cette journée du jeudi, dite JOM, que les élèves de 9ème consacrent à la découverte du monde professionnel, annule, belle pioche, trois de mes cinq périodes habituelles. Je m’en réjouis naturellement, mais le nouveau règlement veut que les enseignants, même si le soleil les invite à tout autre chose, restent sur leur lieu de travail. Je regarde par la fenêtre les arbres qui sont en droit de se faire du mauvais sang : les feuilles ont perdu leurs couleurs, se froissent, se tordent et se plissent comme dans un séchoir à tabac

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Je lis aux élèves de 10ème le troisième chapitre du Grand Meaulnes, que je leur propose ensuite de télécharger sur leur ipad, avec Les Histoires et Les Nouvelles Histoires extraordinaires d’Edgar Allan Poe. Quelques-uns profitent de télécharger d’autres textes tombés dans le domaine public : Les Misérables, Les Dix Petits Nègres, d’autres livres encore. C’est un monde qui semble s’ouvrir à certains. D’un clic à portée de main.
Je remonte au Riau à 14 heures, lis les belle pages que Mankell consacre aux conséquences des périodes glaciaires sur la pérennité de notre espèce, aux limites de la mémoire, à l’épineuse question du présent lorsqu’il devient, avec le temps, le passé d’un futur auquel personne n’avait songé.
Dany Schaer – du Journal de Moudon – frappe à la porte, elle vient me poser quelques questions sur la parution de Marges, le choix des textes et des photos, leurs relations. Sur ce qui m’a amené à écrire, à vouloir retenir ce quelque chose sans lequel il n’y aurait rien. Sur mon commerce avec le temps ; je lui bégaie alors le piège qu’il nous tend, mais aussi la liberté qui nous est laissée de sortir de ses ornières et d’adoucir sa pente, d’aménager des chemins de traverse jusqu’à ces aires de repos qui ne manquent pas, désertes, bois ou vergers. Je parle de la mort aussi, qui se venge d’être écartée ou tue ; je lui parle d’ici, du Riau qui aurait pu être ailleurs ; des années qui viennent, de ce site dont je voudrais faire un atelier ouvert,...
Nous allons, Sandra, Oscar et moi, faire le petit tour. On se quitte à 17 heures 30, le brouillard m’attend au village, j’en sors à Peney, y rentre à Villars-Mendraz pour ne plus en sortir jusqu’à Thierrens. Je fais une courte halte à Saint-Cierges, bois une verveine avec Claude au café du Cerf ; Marie-Lise qui nous rejoint peu après me montre un beau tesson trouvé à Lutry. J’imaginais qu’elle allait me l’offrir, elle m’autorise à en faire une photographie. Je suis à la fois étonné et soulagé qu’elle veuille le garder.
Dans un box, utilisé désormais comme sellerie, Delphine et Louise se parlent comme deux amies, je me joins à leur conversation, Gwenaëlle a une sciatique, la vie n’est pas toujours facile. Retour au Riau où Lili nous attend ; on mange du vacherin et des miettes de merveilles ; Sandra remonte à 20 heures des portes ouvertes du Bugnon ; Arthur à 21 heures, en bus puis à pied : il a vu une histoire filante.

Jean Prod’hom