Un immédiat qui se ressaisit



A l’arrière des enfants confortablement installés dans l’ombre, affairés et à la peine, têtes penchées, rangs serrés. Ils cachent leurs yeux sous un chapeau à larges bords. Je leur tourne le dos, je suis sur le seuil accoudé à la fenêtre, personne dans la cour déserte. Devant moi la lumière seulement, le frémissement des feuilles de trois platanes, le bruit de quelques voitures qui vont et viennent un peu plus loin, et les alpes dans un coin de ce tableau sans cadre qui s’élargit à mesure que mon regard s’avance au-delà.
Je vois distinctement un espace sans fin, à l’appel duquel les enfants restent sourds – mais n’en suis-je pas un peu responsable? Je m’avance dans cette étrange direction qui ne mène nulle part puisque c’est de partout qu’il agit. Le temps y enveloppe les formes simples du monde: le lac, les chemins, la clairière. Immobile je tends l’oreille du côté des bois et des animaux qui les habitent: lièvres, chevreuils, renards désoeuvrés. J’y suis un instant. M’en vais et reviens. Y reste. Y reste. Y reste.
Il me faut pourtant rejoindre ceux que j’ai laissés en arrière et leur appendre le langage des loups.
Je ne comprends pas exactement pourquoi tout cela, mais je sais que les tréteaux sont là et qu’il suffit de dresser la table pour s’y inviter. Je voudrais chaque jour disposer d’un instant pour filer comme aujourd’hui à l’anglaise, là où tout est horizon, dans l’ouverture d’un immédiat qui se ressaisit.
Demain par l’angle d’un tableau sans cadre j’irai sur les rives de l’océan.

Jean Prod’hom