Nous préférons goûter à la mousse aux fraises
Cher Pierre,
Nous avons lu la semaine passée, les élèves de 10ème et moi, les premières pages du Grand Meaulnes ; j’ai risqué quelques observations. Je leur ai lu le second chapitre aujourd’hui, lento, bien décidé à poursuivre ces prochains jours, aussi longtemps qu’ils le voudront. A eux de continuer à voix silencieuse la lecture de cette merveille lorsqu’ils en émettront le souhait.
Je passe ensuite dix fois dix minutes en tête à tête avec dix d’entre eux, autour de l’abstract qu’ils auront à distribuer avant de lancer leur présentation orale. Pendant ce temps, les autres font vivre Cocktail, animé cette année par une soixantaine d’élèves qui lisent, écrivent, éditent et publient. Une dizaine sont désormais capables d’utiliser Rapidweaver et d’assurer, techniquement, la vie de ce site.
C’est encore difficile de diversifier, dans le même lieu, les activités avec les petits de 9ème, mais ils sont sur le bon chemin, et la manière dont ils s’adressent à leurs camarades est déjà remarquable. Je vérifie encore et toujours l’idée, somme tout évidente, que le principal obstacle aux apprentissages sérieux, c’est le maître. Dont la tâche la plus haute, vraisemblablement, est d’être aussi absent que possible et donc, d’abord, de se taire, d’entendre là où ils sont, ceux qui s’essaient à parler, en leur faisant voir sans rien leur montrer que tout est déjà là, à portée de leurs mains.
Je fais quelques courses à Mézières avant de rentrer : des fruits, de la pâte brisée, des épinards congelés et un gâteau de chez Ronny. Lili a fait son test d’histoire sur la fondation de Rome, elle espère que son prof n’y verra que du feu, car enfin, le Tigre et le Tibre c’est du pareil au même. Quant à la question de ce qui distingue l’histoire et la légende, je dois confesser à ma Lili que je serais bien emprunté de répondre à une telle question, les légendes ne sont-elles pas toujours des histoires ? Et au lieu de la renvoyer, elle qui a 11 ans, au legenda qui en dit tant, nous préférons goûter à la mousse aux fraises. On fête par la même occasion Louise qui a fait zéro faute à sa dictée, et Arthur qui a eu l’honneur de s’entraîner avec le roi du parkour à Lausanne, sous les feux de Couleur locale : Jesse Perveril.
Je lis, avant de reprendre Mankell, le 92ème chapitre que Jean-Louis Kuffer publie ce soir dans ses Riches Heures de lecture et d’écriture. Ses mots, où se croisent les deux enfants que nous avons été, réjouissent naturellement l’adulte que je suis devenu.
Jean Prod’hom