Pendant que la ferme du poète brûlait

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Cher Pierre,
Pendant que la ferme du poète brûlait – et que celui-ci se réveillait nu comme un ver, vivant, comme on doit l’être –, dans sa maison à elle, l’oubli s’était installé depuis quelques mois déjà, sans fracas ; il avait entamé l’ordre précaire dans lequel chacun de nous vit, défait les piles fragiles, dispersé ce qu’elle avait cru bon laisser : tout. Son ombre faisait le ménage chaque jour mais la poussière effaçait ses traces. Dedans sa tête, quelque chose avait bougé.

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Il n’y avait pas eu de tragédie, elle était bien vivante, loin du lieu où on l’attendait, avec l’essentiel dont elle semblait nous parler. Elle avait pris un peu d’avance, dans l’abandon auquel nous serons tous tôt ou tard invités, indiquant en souriant ce qu’on aurait à vivre, sans insister ni vouloir convaincre, risquant des passages inouïs entre coq et âne, non pas qu’il fût nécessaire de passer par là, ou de nous rendre dans telle ou telle direction.
Tout ceci n’a évidemment aucune importance ; la manière dont on disparaît, dont on s’efface, dont on se retire n’est pas une question prioritaire. Mais que dire lorsque quelqu’un vous fait entendre du dedans qu’une seconde vaut une éternité ? Bien sûr on n’y comprend rien, d’autant plus lorsque cette personne ajoute qu’elle est à la fois celle qui aurait pu tout perdre et celle qui a tout perdu.

Jean Prod’hom