(P. F. 9) Marie Métrailler
- Que l’éternité s’offre à nous, toute nue, à nous qui sommes limités dans le temps, de part en part, c’est un cadeau n’est-ce pas ?
Elle n’a pas dit les choses ainsi, mais peu importe, ses copines ne l’ont pas écoutée, une fois encore, et l’ont renvoyée à sa solitude. Alors la petite raisonneuse s’est tournée vers la pile de livres dans lesquels elle cherche une idée de Dieu, simple, universelle et aimable qui la libérerait d’une crainte qui ne la quitte pas.
Elle tombe sur un recueil de récits, de ceux qu’on racontait à la veillée dans les Alpes au siècle dernier, au printemps et en automne, tandis que sous le lumignon les femmes filaient la laine blanche et les hommes taillaient des figurines de bois, longs récits mélancoliques interrompus par la visite des morts endimanchés, procession d’hommes et de femmes en blouse et capuche blanches, réclamant qu’on prie pour eux pour les délivrer et écourter leurs peines.
La gamine interrompt sa lecture, croise ses mains qu’elle dépose à l’angle de la table. Inutile que nos morts défendent notre cause, notre pays est assez solide, il suffit de s’ouvrir aux forces cachées, à ce que personne ne veut voir, il suffit de labourer nos croyances, fluidifier nos idées fixes. Elle regarde le soleil se coucher sur les montagnes de la vallée, une vallée en déshérence. Laisser entrer le sel, le fer et le riz, et laisser filer notre eau. Donnant donnant. Ne pas gaspiller nos forces pour rien, ce qu’on fait a de la valeur.
Elle a un bouclier devant les yeux, derrière lequel bout sa résistance et que ne parvient plus à franchir la haine de ceux qui veulent la faire taire en la soumettant à leurs arriérés. Un masque de résistance fermé à toute propagande, jamais un rire, ni un sourire. Résister et y parvenir pour passer outre et aller au-delà.
Jean Prod’hom