Corentin
Lorsqu’il pleuvait on le savait à l’abri, au fond de l’écurie vide à Pierrot, dans l’ombre du réservoir éventré de la Verne, sous l’auvent de l’ancienne école, ou dans l’un ou l’autre de de ces lieux abandonnés dont personne ne tient plus le registre, pas même la vieille de Pra Massin qui avait décidé de terminer la partie qu’elle et ceux de sa parentèle avaient commencée il y a plus de cinq cents ans dans le hameau. « Si je ne le fais pas, qui le fera à ma place? »
Quant à Corentin il avait une douzaine d’années et vivait seul avec sa mère dans l’étroite partie habitable de la ferme communale que les autorités avaient destinée au seul entreposage de ce qui ne sert plus, barrières, pare-neige, piquets et vieux outils mêlés à quelques betteraves desséchées, gros dés immobiles au pied de vieilles balles de foin, galets, galets qu’on aurait dit polis par la mer, galets mêlés à la terre humide.
Comme la poudre de chocolat que la mère de Corentin préparait tôt le matin. Ils s’asseyaient côte à côte, accoudés au panneau de formica vert pâle, ils buvaient à petites gorgées le lait chaud de cet automne-là avant que la mère ne se rende dans la petite ville éloignée d’une trentaine de kilomètres, où plusieurs familles lui avaient confié l’entretien de leurs petites maisons. « Je reviens ce soir. »
Plus rien ne retenait Corentin dedans. Il coiffait comme à l’accoutumée son bonnet de laine à visière et mettait le nez dehors. Pas un regard en direction ni ciel ni des nuages, pas une hésitation non plus. Il allait coûte que coûte en direction du bois, à l’orée duquel il s’engageait sur le chemin des Censières, après la patte d’oie.
Corentin se promenait avec des écouteurs sur les oreilles, il n’écoutait rien en particulier, ou plutôt il écoutait tous les programmes que la radio nationale émettait. C’était tout ce qu’on avait trouvé pour que Corentin ne se perde plus dans les bois et qu’on ne soit plus obligé, comme autrefois, d’organiser des battues pour le ramener avant la fin de la journée à la Léchère.
De toutes façons on s’inquiétait moins, tant sa taille et sa connaissance du pays l’autorisaient à passer une nuit dehors sans qu’on s’en inquiétât: Corentin avait grandi et il reviendrait bien.
Qu’au début de ce siècle une telle vie soit possible, c’est cela qui étonne. Qu’on rencontre encore aujourd’hui de telles poches d’insubordination c’est, avant qu’on ne les vide, ce que je veux comprendre, ce que je veux raconter.
Jean Prod’hom