Abandons
Ne conviendrait-il pas de distinguer deux frénésies de rangement?
Celle qui conduit à nous débarrasser de ce qui encombre nos vies, de ce dont on veut s'alléger en le reléguant dans de petits purgatoires provisoires. Pour être en mesure de voir venir et demeurer libres la tête hors de l'eau – quitte à se pencher une ou fois ou l'autre, pour se consoler, ô merveille, sur la question des classements d'urgence et de leur invraisemblable nomenclature. Perec l'a fait dans Penser/classer.
Comme tout le monde, je suppose, je suis pris parfois de frénésie de rangement ; l'abondance des choses à ranger, la quasi-impossibilité de les distribuer selon des critères vraiment satisfaisants font que je n'en viens jamais à bout, que je m'arrête à des rangements provisoires et flous, à peine plus efficaces que l'anarchie initiale.
Le résultat de tout cela aboutit à des catégories vraiment étranges ; par exemple, une chemise pleine de papiers divers et sur laquelle est écrit «A CLASSER»; ou bien un tiroir étiqueté «URGENT 1» et ne contenant rien (dans le tiroir «URGENT 2» il y a quelques vieilles photographies, dans le tiroir «URGENT 3» des cahiers neufs).
Bref, je me débrouille.
Georges Perec, Penser/Classer (cité par CGAT)
Et une frénésie d'un autre genre, lointain rejeton de la manie dont parle Yoshida No Kaneyoshi – la manie “d’arranger les choses en séries complètes” - qui incite celui qui ne veut rien abandonner de ce dont il revendique la paternité à le contrôler frénétiquement, à le faire tinter comme des casseroles pour ne pas le perdre de vue, en tous lieux, et à y retourner comme le chien qui revient à l'ombre des arbres au pied desquels il a pissé, non pas pour se rafraîchir et bâiller à la vie qu'on fait aller, mais pour constater à heures fixes qu'il est seul ou qu'il partage le royaume avec quelques élus: du côté de Netvibes, de Twitter, de MySpace, de Facebook.
Jean Véronis évoque ces questions de territoire ici. Mais aussi là.
Jean Prod’hom