Pas de taupe dans les pièges posés hier
Pas de taupe dans les pièges posés hier, l'un d'eux pourtant s'est refermé, mais sur le vide. Je les retire après avoir vérifié les alentours, pas de nouvelles taupinières. Une heure dans les bois ensuite, Sandra, Oscar et moi, à la fraîche et d'un bon pas.
Du monde sur l'autoroute, avec deux pistes à largeur réduite entre Montreux et Villeneuve à cause des travaux, je roule à quatre-vingt-dix en maintenant les distances avec les véhicules qui me précèdent, un oeil sur la consommation. Moins de cinq litres au cent, comme hier entre La Cure et Corcelles, je n'en suis pas mécontent.
Je laisse Sandra et Louise à l'entrée du Parc Aventure d'Aigle et continue avec Lili jusqu'à Bex, puis Lavey. La piscine est presque déserte. Je cherche, mais en vain, les chamois qui ont l'habitude, dit-on, de descendre dans la paroi sous Morcles. Regarde de l'autre côté, du côté du Luisin et des années de la Creusaz. Pour le reste je fais le poisson et plonge dix fois, vingt fois au fond de la piscine avec Lili sur le dos. Une vieille dame porte sur le sien le portrait tatoué de Che Guevara qui grimace à chacun de ses pas. Qui faut-il plaindre ?
On s'arrête au retour à Bex, on y trouve une boulangerie, des pains au sucre, des croissants aux amandes, un taillé aux greubons. Je cherche sans succès l'hôtel de Crochet dans lequel Nietzsche est descendu avec Paul Rée en 1876. Ils y ont séjourné pendant une quinzaine de jours, lune de miel de notre amitié, écrit Paul Rée, avant de se rendre à Gênes où les attend un bateau pour Naples. On fait un saut dans une pharmacie dans laquelle on achète des sparadraps, les nouvelles sandales ont salement entamé le gros orteil de Lili.
Il n'y a plus de couleurs au milieu de l'après-midi, le soleil les a passées au chalumeau, seuls les arrosoirs, les bossettes et les ruches résistent.
On reprend Sandra et Louise à la sortie du Parc Aventure. Je file à Servion ramasser Elsa et May qui viennent manger et passer la nuit au Riau, sous la seconde tente que Sandra a dressée en fin d'après-midi.
Silence dans les bois, un ou deux grillons alors que la nuit tombe, Oscar a la truffe en l'air mais il perd vite la boule, trop d'odeurs. On étouffe et on ne voit pas d'autres issue que l'orage. Sandra me montre en rentrant sur le ruban noir du bitume une boule encore plus noire, c'est l'un des deux petits hérissons qui vivent avec leur mère dans les hortensias.
Une courte recherche sur Internet m'apprend qu'Amiel a séjourné à l'hôtel de Crochet en 1872, un hôtel à l'écart du centre de Bex, un hôtel qui n'existe plus. Les filles sont dans le jardin et n'en finissent pas de se raconter des histoires dans la nuit, des histoires pour dormir, dormir debout.
Le tonnerre avertit depuis très loin, il est 11 heures 30. Elles rentrent leur paillasse et leur couverture sur la pointe des pieds, avant les premières gouttes, elles s'organisent dans le salon, éteignent les lumières. C'est seulement alors que les éclairs font des Z dans la nuit et que le ciel se lâche, elles écoutent silencieuses le ramdam, heureuses d'avoir été aussi prudentes.
Jean Prod’hom