L’Ignorant | Philippe Jaccottet
Plus je vieillis et plus je croîs en ignorance,
plus j'ai vécu, moins je possède et moins je règne.
Tout ce que j'ai, c'est un espace tour à tour
enneigé ou brillant, mais jamais habité.
Où est le donateur, le guide, le gardien ?
Je me tiens dans ma chambre et d'abord je me tais
(le silence entre en serviteur mettre un peu d'ordre),
et j'attends qu'un à un les mensonges s'écartent :
que reste-t-il ? que reste-t-il à ce mourant
qui l'empêche si bien de mourir ? Quelle force
le fait encor parler entre ses quatre murs ?
Pourrais-je le savoir, moi l'ignare et l'inquiet ?
Mais je l'entends vraiment qui parle, et sa parole
pénètre avec le jour, encore que bien vague :
« Comme le feu, l'amour n'établit sa clarté
que sur la faute et la beauté des bois en cendres... »
Philippe Jaccottet, L’Ignorant, Gallimard, 1957
Ai trouvé sur le WEB, chemin faisant, les premiers vers de L’Ignorant, lus par l’auteur, voix d’ailleurs et d’un autre temps. Le poète est décidément un revenant, son poème se referme sur un silence auquel je joins ma voix, silence rapatrié comme d’outre-tombe. Commémoration ou transsubstantiation.
Jean Prod’hom