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Pourquoi un tel empressement, une telle agitation, joyeuse, autour d’une découverte qui pourrait tous nous mettre dans de beaux draps ? Car enfin, que des particules subatomiques puissent faire la pige à la vitesse de la lumière, c’est vraiment bien le pire qui puisse nous arriver. Et que ces neutrinos dissimulent leur nocivité derrière l’innocence d’un nom doit nous convaincre de l’importance de l’événement dont l’effet délétère s’est produit, quoi qu’il en soit, bien avant que celui-là ait eu lieu.
Entre le CERN et le Gran Sasso court une rumeur, c’est par Facebook que plusieurs physiciens ont appris la nouvelle, à cause de Twitter que les rêveurs se sont levés, simultanément, mêlant aux jours tristes du travail à la mine un enthousiasme incompréhensible, analogue à celui qui brûla l’âme des intellectuels d’il y a quelques décennies devant des structures et des courbes, dissipatives d’abord, fractales ensuite. J’en étais, gourmand et hébété.



Me voici aujourd’hui saisi par deux curieux sentiments. Je me réjouis d’une découverte qui pourrait mettre dans le pétrin la superbe des bien-pensants – avec la conviction pourtant qu’une couche supplémentaire, coûteuse, constituée de roues dentées et de cycles, épicycles, épicycles d’épicycles, rendra toujours plus improbable la mise au rebut des théories existantes. Je me réjouis ensuite à l’idée qu’on va enfin bazarder cette théorie de la relativité restreinte à laquelle je n’ai jamais rien compris, que je vais pouvoir enfin m’acheter un cahier neuf dans lequel je noterai les postulats et les théorèmes de la nouvelle théorie, enfin à ma portée, que je me promets de suivre pas à pas jusqu’à la nouvelle alliance.
Je m’emporte, je m’emporte, mais rien ne me console. Et je crains que la vérité ne s’éloigne encore un peu, avec le repos qui aurait dû l’accompagner, un peu parce que c’est de son ressort à la vérité de demeurer hors de nous, dans un monde qui ne demande rien d’autre qu’on y persévère. Je sens mon enthousiasme fléchir comme devant ces livres qu’on ne terminera pas et une fatigue radieuse se réjouir de la nuit qui tombe.

Jean Prod’hom