Marché de la vente de paroisse du Jorat
Cher Pierre,
Ce matin, j’ai mangé un croissant que les larmes d’une jeune boulangère ont arrosé. Si j’avais su, je n’aurais pas repris le commerce, me dit-elle, neuf ans de galère, que vont devenir mes enfants ? J’ajoute à mes emplettes un pain au chocolat, un peu de honte aussi lorsque je lui dis courage et que je m’en vais.
Au café de la Bourgade, le vieux René, loquace en diable, me raconte le livre qu’il est en train d’écrire sur la paysannerie locale. Il y évoque surtout, précise-t-il, ce qui a disparu, ce qui rendait les gens plus sociables. La pauvreté, les chevaux, les veillées, les coups de main, les échanges main à main, la belote. Mais aussi la guerre, le silence, les cachotteries. Les vignes, les olives, la betterave, le seigle, la garance cultivée autrefois dans le Vaucluse. C’est loin d’être gagné : sa petite fille dactylographie le texte ; des amies à lui, qui ont travaillé dans l’administration, s’occupent des photos et de la mise en page. Pas sûr que ça suffise. J’aime bien René.
Je laisse Isabelle Huppert et Claude Chabrol à Crest, ils m’on accompagné sur France Inter depuis La Bégude. La petit ville des rives de la Drôme est bondée, c’est jour de marché, sourires d’apparat de chaque côté des stands. J’ai la nette impression, assis sur les escaliers de l’église Saint-Sauveur, de voir défiler les sosies de gens que je connais depuis toujours, mais avec le sentiment qu’ils font à nouveau transparaître ce que je ne voyais plus : leur insouciance, leur innocence. Jean-Claude Ameisen présente, entre Crest et Voiron, une extraordinaire émission sur la mémoire, que je me promets de réécouter demain. René Char récite ensuite des poèmes qui me conduisent, en passant par Céreste et Lourmarin, jusqu’aux portes de Genève.
Je fais halte à Bursins, il y a un mariage à l’église, la porte est ouverte, j’entends sur le seuil un extrait du chapitre 5 de l’Epître de saint Paul aux Galates : Or les oeuvres de la chair sont manifestes : ce sont l'impudicité, l'impureté, le libertinage, l'idolâtrie, les maléfices, les inimitiés, les contentions, les jalousies, les emportements, les disputes, les dissensions, les sectes, l'envie, l'ivrognerie, les excès de table, et autres choses semblables. Je vous préviens, comme je l'ai déjà fait, que ceux qui commettent de telles choses n'hériteront pas du royaume de Dieu. Les invités rient, je les laisse.
Le village a bien changé, les deux cafés sont fermés ; de la boutique de Frida ne reste que l’enseigne. L’atelier de mon grand-père aussi ; je passe la fin de l’après-midi avec son petit-fils, sa femme et son arrière-petit-fils dans le jardin.
Lili et Louise sont allées chez le coiffeur, elles me racontent aussi leurs journées passées à Thierrens. Arthur participe ce week-end à une fête de jeunesse à Cossonay, Sandra tousse, je la gronde, elle m’assure qu’elle guérira de sa bronchite sans antibiotiques, Ça prendra, m’assure-t-elle, un peu plus de temps, c’est tout.
Je reçois encore un mail d’une responsable du marché de la vente de paroisse du Jorat qui se tiendra le 3 octobre à Mézières ; elle recherche des exposants divers afin de rendre ce marché attrayant. Elle se demandait si cela m’intéresserait de tenir un stand avec Tessons et Marges ; elle précise que la place est gratuite, que les stands mesurent trois mètres chacun et que l’installation se fait dès 7 heures, le démontage à 13 heures. Je réponds favorablement.
Jean Prod’hom