Le printemps 1
Après une nuit sans sommeil au cours de laquelle, à trois reprises, la mère avait longuement caressé le corps douleur de sa fille pour le désenkyloser et le ramener sur les rives du supportable, il crut deviner, lorsqu'il sortit à l'air libre, devant ou derrière la montagne blanche prête à bondir qui les accompagne à l'orient chaque jour depuis qu'ils sont là, un pays aux allures sombres. Il était son hôte – là ou là-bas, avec les siens tout proches – et s'en désola.
Il désherba la plate-bande une bonne partie de la matinée et fendit du bois pour réchauffer, quelques matins encore, les coeurs impatients des beaux jours. Au pied de la baie vitrée de la véranda, le premier crocus qu'il avait libéré du roncier ouvrait un oeil immense. Il sentait la terre meuble respirer sous ses pieds, la neige fondait et dessinait avec l'herbe qu'elle découvrait les lettres de nombreuses promesses.
L'homme se tourna vers l'orient. Et la montagne prête à bondir qui les accompagne à l'orient chaque jour depuis qu'ils sont là, mi-fauve mi-sauterelle, il la vit s'éloigner sans un regard pour lui. Il se sentit chassé du monde et ébahi par sa beauté, planté là, et là devant lui, sous ses yeux, au plus haut de son évidence, le jour qui n'avait jamais manqué de rien et qui continuera sans lui. Il demeura immobile un instant encore à la lisière du monde, puis se mêla à nouveau aux senteurs du printemps et au murmure de l'eau de la fontaine.
Jean Prod’hom