Ce serait ainsi



Dans une aile du palais en ruines, au fond d’un local où se réunissaient autrefois les membres du pouvoir sacerdotal, une douzaine d’hommes masqués s’acharnent sur une femme qu’ils invectivent. Elle ravale ses larmes mais ne se souvient de rien. Elle a les yeux fixés sur un tableau au centre duquel se tient immobile un pendu masqué de noir, maintien stable. Douze hommes au visage glabre rient, ou grimacent, on les dirait en effet inquiets, inquiets que le pendu ne leur fasse soudain faux bond.
On frappe à la porte de chêne massif, deux enfants tendent un papier noirci de signes, l’un des douze hommes lit les ordres, ils se lèvent, soulèvent leurs masques, ce sont des inconnus qui ne dépendent d’aucune administration. Se saisissent chacun d’un balai et s’éloignent sans un regard pour celui dont les larmes se sont mises à couler. On croirait entendre un air de tango. La femme s’approche alors du tableau, retire la corde qui serre le cou de celui dont elle retire le masque. L’homme parle par geste. Ils quittent tous deux le local, longent le palais avant de se retrouver sur le front de mer, ils attendent debout tandis que le bruit de la mer écope le désespoir qui les entoure et dans lequel ils s’enlisent d’abord. On les voit pourtant se détacher des ruines qui les entourent, il n’y a bientôt plus qu’eux qui tanguent.

Jean Prod’hom